La terre, un terreau pour la paix
COLOMBIE - Les initiatives communautaires et de la société civile colombienne en faveur de la paix font de la résolution du problème agraire leur priorité. L'explication de leur porte-parole Rafael Figueroa Rincón.
«Si le problème de l'accès à la terre n'est pas résolu, une solution politique au conflit armé demeurera impossible en Colombie.» Telle est l'hypothèse centrale du juriste colombien Rafael Figueroa Rincón, l'un des partenaires du Programme pour la promotion de la paix (SUIPPCOL), la plate-forme des ONG actives en Colombie. Avec deux autres activistes colombiens, le représentant du Réseau d'initiatives et de communautés de paix depuis la base (PdB) sera ces prochains jours pour un campagne de sensibilisation du public.
Pourquoi la terre joue-t-elle un rôle si important en Colombie ?
Rafael Figueroa: Le contrôle des ressources naturelles qui se trouvent dans les territoires des communautés, leur accès ainsi que l'appropriation de terres des communautés sont le butin de la guerre en Colombie. Celui-ci est accumulé par les élites et les pouvoirs régionaux qui contrôlent de véritables armées privées ainsi que le pouvoir politique et économique local. Dans ce contexte de conflit armé et de pillage des communautés se développent de grands investissements privés, souvent multinationaux, ce qui, bien sûr, accentue le problème. Les trente et une communautés et organisations qui font partie du Réseau PdB n'ont pas seulement été victimes de la violence et du conflit armé, mais surtout du vol de leurs ressources. Même des représentants du nouveau gouvernement ont identifié cette question comme la pierre angulaire du conflit armé.
Pouvez-vous donner un exemple ?
Je citerais le vol des terres des paysans d'El Garzal, dans le sud du département de Bolivar. Ces communautés (dont un représentant participe à la tournée Suippcol, ndlr) vivent depuis plus de cinquante ans sur leurs terres en se dédiant exclusivement à la production vivrière. Depuis une dizaine d'années, elles sont l'objet de pressions illégales, de menaces et de disparitions forcées. La justice et les autorités locales ont aussi été mobilisées pour tenter de déplacer ces trois cents familles paysannes et les dépouiller définitivement de leurs terres. Des manoeuvres qui ont pour objectif de remettre ces parcelles à un ancien commandant paramilitaire qui, à la tête du Bloc central Bolivar, a dominé publiquement et ouvertement la région du Magdalena Medio durant plus de sept ans. Cette personne ne s'est jamais démobilisée ni livrée à la justice, mais est demeurée, au contraire, dans la vie civile et a fondé une compagnie de culture du palmier à huile. C'est cette entreprise qui promeut toutes les actions illégales contre les communautés.
Ailleurs en Amérique latine, les mouvements sociaux mettent l'accent sur la terre et la réforme agraire. Mais ils se réfèrent moins au concept de territoire. Que signifie, dans votre perception colombienne, cette notion ?
En général, on présente le territoire comme le lieu et le corps où les communautés paysannes, les minorités ethniques et les femmes tissent leur vie collective, culturelle, économique, sociale et politique. Le territoire est un horizon beaucoup plus large que le concept de terre, qui, de manière presque exclusive, se réfère à un espace physique délimité, situé en zone rurale, et qui peut être exploité économiquement pour la production ou l'exploitation des ressources qui s'y trouvent. Le territoire inclut bien sûr la terre, mais il va au-delà, parce qu'il incorpore également tout le patrimoine immatériel généré par les communautés qui l'ont habité et conservé, qui le chantent dans leurs chansons, qui le représentent dans leurs histoires, l'ont intégré dans leurs us et coutumes, dans leurs langues et dictons populaires. Les revendications actuelles en Colombie se dirigent de plus en plus non seulement vers la réforme agraire, l'accès et la démocratisation de la terre, mais en outre elles exigent la reconnaissance d'un statut spécial du territoire, politique et juridique, ainsi que des droits qui en découlent. Ces statuts ont même été recueillis comme instruments internationaux, comme dans la Convention 169 de l'Organisation internationale du travail ou dans la Déclaration des peuples indigènes de l'ONU.
Quelles sont les perspectives qui se font jour avec le nouveau gouvernement de Juan Manuel Santos ?
Le gouvernement actuel a montré un changement par rapport au précédent en ce qui concerne la politique agraire. Nous sortons de huit années de négation absolue de la part de l'ensemble de l'Etat de thèmes comme le vol ou l'extrême concentration de la terre – qui place la Colombie au 15e rang mondial de l'iniquité en matière de propriété de la terre. Plus grave encore a été l'absence de réparation et de restitution des terres arrachées aux presque quatre millions de déplacés. Aujourd'hui, le nouveau gouvernement, au contraire, a annoncé comme étant l'un des thèmes fondamentaux à résoudre le dépouillement des terres aux victimes, au travers du lancement du projet de loi de restitution des terres volées. Cependant, les bonnes intentions n'impliquent pas nécessairement une modification fondamentale de la politique agraire globale et des visions économiques de fond. Les communautés croient qu'avec ces politiques on cherche à rendre plus efficaces les modèles économiques agro-industriels et extractifs qui ont été développés durant les huit dernières années et qui, précisément, génèrent iniquité, concentration de la terre et abandon de l'économie paysanne.
Pour l'Etat ainsi que pour les organisations et communautés en Colombie, un défi fondamental consiste non seulement à générer le débat sur les aspects fondamentaux de la restitution et la formalisation de l'accès à la terre, mais également à ouvrir une véritable concertation sur le modèle économique, qui doit assurer la permanence des communautés paysannes, indigènes et afro-descendantes, ainsi que la souveraineté alimentaire du pays.
Comment voyez-vous ces initiatives provenant de la communauté internationale?
La solidarité internationale directe joue un rôle fondamental pour la promotion des revendications légales et légitimes des communautés en Colombie. La campagne en Suisse essaye de promouvoir un rapprochement entre la société civile helvétique et les organisations qui résistent. Leur action doit être comprise également comme un apport à la préservation de territoires et d'écosystèmes qui, pour leur valeur en termes environnementaux et alimentaires, devraient intéresser le monde entier, parce qu'ils appartiennent à l'humanité toute entière. Les problèmes que nous affrontons dans notre pays ne pourront être résolus qu'à travers la mobilisation de la société civile colombienne – et en particulier des communautés et organisations qui affrontent cette réalité au quotidien. Mais également avec la fraternité active d'autres peuples, organisations et personnes de bonne volonté du reste du monde.
SERGIO FERRARI
Note : Traduction Mathieu Glayre
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