S’accomplir fait passer dans un autre temps
Marie de Hennezel avait déjà abordé la question « comment bien vieillir ? » - ou comment être heureux jusque dans le grand âge et jouer pleinement son rôle de senior vis-à-vis des autres ?
Ces interrogations, elle les formule à nouveau dans un très beau petit livre à deux voix, écrit avec le philosophe Bertrand Vergely : Une vie pour se mettre au monde (éditions Carnets Nord). Le propos de celui-ci complète bien celui de la psychanalyste, l’ancrant à la fois dans son expérience de vie et dans une profonde érudition. « On vieillit de façon dramatique, dit-il, non parce que l’enveloppe charnelle s’use, mais parce que la vie intérieure et l’esprit sont dramatiquement absents. » L’ouvrage est conçu en trois étapes - Vieillir, Mûrir, S’accomplir - qui révèlent la possibilité d’une évolution essentielle dans la dernière partie de la vie. Ainsi apprenons-nous quelles sont les « 7 peurs » principales de nos contemporains vis-à-vis de la vieillesse, et comment ces peurs peuvent servir de tremplins vers la sérénité, la convivialité et... la sensualité ! Même la plus partagée de ces peurs - devenir totalement dépendant - peut devenir une expérience enrichissante : en faisant appel à leur sollicitude, elle participe à la construction des autres. Une révolution intérieure serait la seule vraie solution pour échapper à la folle accélération du temps.
APIS : Eveillé par l’écriture de La Chaleur du cœur empêche nos corps de rouiller, on dirait que votre intérêt pour l’art de vieillir grandit !
Marie de Hennezel : Oui, d’autant plus qu’une importante caisse de retraite m’a demandé d’imaginer une façon de préparer les jeunes retraités à faire face à leur nouvelle vie. C’est en travail dans lequel je me suis investie à fond et qui me passionne. J’ai mis au point un séminaire de cinq jours où nous faisons une exploration en profondeur. Eh bien, je suis frappée de voir à quel point nos contemporains sont lucides : à partir de 60 ans, et même de 50, ils sont conscients de l’enjeu que représente une vieillesse réussie, pour eux-mêmes et pour les générations qui viennent. Ils n’ont pas envie de rater cette partie de leur vie et y réfléchissent. Souvent, je ne sers que de facilitatrice d’échanges entre eux. J’ai ainsi pu apporter dans ce nouveau livre de nombreuses données, qui émanent de l’expérience même des gens.
APIS : Vous avez écrit ce livre avec le philosophe Bertrand Vergely, qui dit notamment qu’il y a deux façons d’« épouser les limites » pour mieux vieillir : l’humour et la lenteur.
MdH : La grande affaire de Bertrand, c’est l’intériorité. Il est convaincant quand il explique qu’une vieillesse ne devient un naufrage tragique que si la personne ne chemine pas vers son propre esprit, n’édifie pas en elle-même un être intérieur. Un être qui semble obéir à un autre temps - car on peut être très vieux et continuer à se sentir jeune à l’intérieur. Attention, il ne s’agit pas de jeunisme. Au contraire, on est à l’opposé du mensonge. C’est pourquoi l’humour et la lenteur sont en effet essentiels. Ils permettent à la personne du 3ème ou du 4ème âges de prendre de la distance, de s’alléger, et aussi de découvrir une sensualité tout à fait nouvelle, dont elle n’avait aucune idée tant qu’elle vivait dans l’action et la vitesse. Elle découvre alors que c’est dans la vieillesse que s’opère le passage crucial du « faire » à l’« être ».
APIS : Vous distinguez trois étapes dans ce passage : vieillir, mûrir, s’accomplir.
MdH : En fait, c’était la trame d’un colloque de trois jours, que nous avions animé, avec Bertrand Vergely, en 2008 : le premier jour, je parlais de la difficulté de vieillir ; le second, il relançait le propos en parlant de la nécessité de mûrir ; et le troisième, nous intervenions ensemble sur la possibilité de s’accomplir. D’une certaine façon, cet accomplissement, j’en ai beaucoup parlé dans mes livres sur la fin de vie. Bertrand compare la vie humaine à une œuvre artistique. Tout artiste sait qu’il faut savoir achever une œuvre. Il faut savoir terminer sa vie. Pour soi-même et pour les autres. L’assimiler ouvre à l’essentiel.
Marie de Hennezel
Professeur d’anglais, puis psychologue spécialisée dans l’aide aux femmes pratiquant une IVG et à l’hôpital psychiatrique de Villejuif, Marie de Hennezel a intégré la première équipe de soins palliatifs de France, en 1986. Depuis, elle est devenue l’une des expertes de la fin de vie dans notre pays, notamment après la publication de La Mort intime, préfacé par son ami François Mitterrand.
Apis
Marie de Hennezel, psychologue et écrivain est ‘lune des invitée des Rencontres Régionales de L’ Ecologie de Janvier 2011 à Die.
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