Cette réflexion de Leonardo Boff (un auteur que nous chérissons) dépasse largement le problème de Haïti et vaut pour l’humanité. C.V. HAÏTI, UN TEST POUR L’HUMANITÉ
Le désastre qui s’est abattu sur Haïti, détruisant Port-au-Prince, tuant des milliers de personnes et privant le peuple des structures minimales pour la survie, est une épreuve pour l’humanité. Selon les pronostics de ceux qui suivent systématiquement l’état de la Terre, il ne passera pas beaucoup de temps avant que nous soyons confrontés à d’autres Haïti, avec des millions et des millions de réfugiés climatiques provoqués par des événements extrêmes qui pourront occasionner une véritable destruction écologique et détruire d’innombrables vies humaines.
- Dans ce contexte, deux vertus, liées à l’essence même de l’être humain, doivent revêtir une importance spéciale : l’hospitalité et la solidarité.
L’hospitalité, comme l’a dit le philosophe Kant, est un droit et un devoir de tous, car nous sommes tous des habitants, ou plutôt des fils et des filles de la même Terre. Nous avons le droit d’y circuler, de recevoir et d’offrir l’hospitalité. Les nations seront-elles prêtes à satisfaire à ce droit fondamental de la multitude de personnes qui ne peuvent déjà plus vivre dans leurs régions surchauffées, sans eau et sans récoltes? L’instinct de survie ne respecte pas les limites des États-nations. Les barbares d’autrefois ont renversé des empires, et les nouveaux « barbares » d’aujourd’hui ne feront pas autre chose -s’il ne sont pas exterminés par ceux qui ont usurperont la Terre pour eux-mêmes. J’arrête là, parce que les scénarios probables et non impossibles sont dantesques.
- La seconde vertu est la solidarité. Elle est inhérente à l’essence sociale de l’être humain. Les classiques de l’étude de la solidarité -comme Renouvier, Durkheim, Bourgeois et Sorel- ont déjà souligné le fait qu’une société ne peut exister sans la solidarité des uns envers les autres. Elle suppose une conscience collective et le sentiment d’appartenance de tous. Tout le monde accepte naturellement de vivre ensemble pour exercer ensemble la politique -qui est la recherche conjointe du bien commun.
- Nous devons soumettre à la critique le concept de modernité qui part de l’autonomie absolue du sujet dans la solitude de sa liberté. On dit que chacun doit s’occuper de ses affaires sans avoir besoin des autres. Pour que les êtres humains ainsi solitaires puissent vivre ensemble, ils ont besoin de fait d’un contrat social, comme celui élaboré par Rousseau, Locke et Kant. Mais cet individualisme est faux et illusoire. Il faut reconnaître le fait réel, auquel on ne peut renoncer, que l’être humain est toujours un être de relation, un-être-avec-les-autres, toujours entremêlé dans une chaîne de toutes sortes de connexions. Il n’est jamais seul. Le contrat social ne fonde pas la société, il l’ordonne simplement au niveau juridique.
- De plus, la solidarité repose sur une base cosmologique. Tous les êtres, depuis les quark top [1] mais spécialement les organismes vivants, sont des êtres de relation, et personne ne vit en-dehors du réseau d’inter-rétro-connexions [2]. C’est pour cela que tous les êtres sont réciproquement solidaires. Chacun aide l’autre à survivre -c’est le sens de la biodiversité-, et ils ne sont pas nécessairement victimes de la sélection naturelle. À la place de celle-ci, nous introduisons au niveau humain, pour cause de solidarité, le souci de l’autre -spécialement envers les plus vulnérables. Ils ne succombent pas ainsi aux intérêts exclusifs de groupes ou d’un type de culture féroce qui place l’ambition au-dessus de la vie et de la dignité.
- Nous sommes arrivés à un point de l’histoire où nous nous découvrons tous entremêlés dans une unique « géosociété ». Sans la solidarité de tous avec tous -et avec la Terre-Mère-, il n’y aura de futur pour personne. Les malheurs d’un peuple sont nos malheurs, ses larmes sont nos larmes, ses avancées, nos avancées. Che Guevara l’a bien dit : « La solidarité est la tendresse des peuples ». C’est cette tendresse que nous devons donner à nos frères et sœurs dans la souffrance, en Haïti.
Leonardo Boff
[1]. Le quark top (souvent abrégé en quark t) est un quark, une particule élémentaire de la physique des particules.
[2]. Par cette notion d’inter-rétro-connexions, l’auteur désigne les relations de connexion et d’information qui s’établissent entre tous les êtres -ce qui fait dire à la physique quantique que « tout est lié à tout, en tous points et en toutes circonstances ».
Cheminement : De 1970 à 1992, Leonardo Boff est professeur de théologie systématique et œcuménique à l'Institut Théologique Franciscain de Petrópolis, et dans plusieurs universités brésiliennes. Il est aussi professeur associé aux universités de Lisbonne (Portugal), Salamanca (Espagne), Harvard (États-Unis), Bâle (Suisse) et Heidelberg (Allemagne).
De 1970 jusqu'à 1985 il participe au conseil de rédaction d'Editora Vozes et à la coordination, ainsi qu'à la publication de la collection : "Théologie et Libération". Il dirige l'édition des œuvres complètes de C. G. Jung. Il est le rédacteur en chef « de la Revue Eclesiástica Brasileira » de 1970 à 1984, « de la Revue de Cultura Vozes » de 1984 à 1992 et « de la Revue Internacional la Consultation » de 1970 à 1995.
Mise au silence
En 1984, la Congrégation pour la doctrine de la foi, présidée par le cardinal Ratzinger, convoque Leonardo Boff au Vatican, à Rome, en raison de ses thèses liées à la théologie de libération exposée dans son livre "l'Église : Charisme et Pouvoir. En 1985, il est sanctionné par les autorités doctrinales du Vatican, qui assimilent la théologie de la libération au marxisme; elles lui intiment « silence et obéissance ». Il est suspendu de ses devoirs religieux. En raison de la pression internationale sur Vatican, la décision est abrogée en 1986, lui permettant de retourner à certaines de ses activités précédentes.
A la différence, toutefois, de la procédure « extraordinaire » enclenchée contre le théologien français Jacques Pohier, Léonardo Boff n'est soumis qu'à une procédure « ordinaire ». Il peut ainsi rester prêtre, et reste actif au sein de l'Église au Brésil.
« Promu à l'état de laïc ».
En 1992, sous les menaces renouvelées d'une deuxième action par les autorités du Vatican, il quitte le sacerdoce franciscain et s'engage dans le Service d'organisation populaire d'aide aux mères et aux enfants des rues, à Petrópolis. "J'ai changé de tranchée pour continuer le même combat." Il continue comme théologien de libération, auteur, professeur, conférencier au Brésil parmi d'autres pays, aussi comme conseiller des mouvements sociaux tel le Mouvement des sans-terre et la Base des Communautés Ecclésiastiques (CEBs), entre autres.
En 1993, il est choisi comme professeur d'Éthique, de Philosophie de la Religion et d'Écologie à l'Université fédérale de Rio de Janeiro. En 2001, il participe au Forum social mondial à Porto Alegre.
L'écologie tient un rôle central dans les activités de Léonardo Boff comme en témoigne certains de ses écrits, tel le livre, « Cry of the Earth, Cry of the Poor », qui met l'accent sur l'Amazone menacée.
Il vit actuellement à Jardim Araras, un secteur de désert écologique sur la municipalité de Petrópolis, le Rio de Janeiro. Il partage sa vie avec la militante des Droits de l'homme, Marcia Maria Monteiro de Miranda.
Leonardo Boff est l'auteur de best-sellers ou co-auteur de plus de 60 livres publiés dans plus de 20 pays; une partie de ses écrits est traduite en français :
- L. Boff, Témoins de dieu au coeur du monde : la vie religieuse, expérience actuelle, Centurion, 2 février 1982.
- L. Boff, Jésus-Christ, le libérateur, Cerf / Traditions Chrétiennes, 1 janvier 1983 (éd. originale publiée en 1971), 269 p.
- L. Boff, Chemin de Croix de la justice, Pour quoi je vis, 1984, 83 p.
- L. Boff, Dider Voita et Jane Lessa, Eglise, charisme et pouvoir , la théologie de la libération, Lieu commun / Spiritualité, 1 février 1985, 288 p.
- L. Boff, François d'assise, force et tendresse. une lecture a partir des pauvres, Cerf / Theologies, 1 avril 1986, 297 p.
- L. Boff, Trinité et société, Cerf / Libération, 7 novembre 1990, 297 p.
- L. Boff, La Nouvelle Evangélisation : perspectives des opprimés, Cerf / Théologies, 23 septembre 1992, 176 p.
- L. Boff, La terre en devenir : une nouvelle théologie de la libération, Albin Michel / Paroles vives, 4 novembre 1994, 259 p.
- L. Boff, Je m'explique : Entretiens avec Christian Dutilleux, Desclée de Brouwer, 16 novembre 1994, 138 p.
- L. Boff, Plaidoyer pour la paix. Une nouvelle lecture de la prière de saint François, Fides, mai 2002, 128 p.
- L. Boff et Mark Hathaway, The Tao of Liberation: Exploring the Ecology of Transformation, Orbis Book, 2009, 448 p.
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