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vendredi 14 mai 2010

Tout reste à changer...

Aucune révolution n’a réussi à concilier liberté et égalité
«Je crois toujours, disait Gabriel Péri, à la veille de son exécution par les nazis en 1941, que le communisme (1) est la jeunesse du monde et qu’il prépare des lendemains qui chantent.» Cette phrase rappelle celle de Saint-Just, prononcée le 3 mars 1794, alors que la France était menacée d’invasion : «Que l’Europe apprenne que vous ne voulez plus un malheureux sur la terre ni un oppresseur sur le territoire français ; que cet exemple fructifie sur la terre […] Le bonheur est une idée neuve en Europe.» L’espoir, la patrie, l’héroïsme : ces thèmes liés à une conception révolutionnaire du bonheur semblent avoir disparu de notre société dépressive en même temps que se sont effacées les références patriarcales issues de l’Etat-nation : l’armée, le parti, l’autorité. Et l’on a remplacé la politique par l’évaluation, le désir par l’hédonisme, l’inconscient par le neurone et l’idée de l’universel par le repli sur soi : ma religion, mon développement personnel, mon particularisme. Culture du malheur identitaire contre idéal du bonheur. On a tenté de mettre à la poubelle Mai 1968, pour affirmer que les humains seraient plus heureux dans un monde dominé autant par la spéculation financière que par un hygiénisme qui assimile tout comportement normal à une pathologie : boire un verre de vin relèverait de l’alcoolisme, aimer Internet serait une addiction, penser à la révolution un acte sanguinaire. Impossible d’être anxieux, exalté ou rebelle sans être aussitôt contraint d’avoir recours à des pilules afin de ne plus songer aux lendemains qui chantent : soyez conformes à ce que les experts attendent de vous. Ne désirez plus, ne pensez plus, soyez pragmatiques.
Et voilà que la réalité vient contredire cet arsenal de normalisation sécuritaire. Partout émergent de nouvelles espérances, au moment même où le capitalisme, loin de se moraliser, favorise la misère psychique et économique, au même titre d’ailleurs que les Etats de non-droit qui, par haine d’un Occident ayant certes commis des crimes, tournent en dérision la Déclaration des droits de l’homme afin de mieux persécuter leurs propres citoyens : ultralibéralisme sans limite d’un côté, fanatisme religieux de l’autre.
Le premier est réformable, le deuxième ne l’est pas. Contre la démocratisation hygiéniste des conduites, surgit donc une aspiration à une autre forme de vie qui se traduit par une insurrection des consciences. Sans aucun doute, il y a là le réveil d’un idéal de transformation qui avait été banni depuis trente ans par les tenants d’un conservatisme étriqué plus attachés à haïr l’esprit de la Révolution qu’à en critiquer les dérives. Mais il ne suffit pas de proclamer le retour des lendemains qui chantent, encore faut-il que les lendemains soient source de bonheur. On sait bien depuis 1789 que jamais aucune révolution n’a réussi à concilier la liberté et l’égalité et c’est la raison pour laquelle - de l’URSS à la Chine - on a assisté à un échec du socialisme réel et à un renversement de l’idéal révolutionnaire en son contraire. Est-ce une raison pour renoncer à l’idéal ? Certainement pas.
Ce qui arrive aujourd’hui, dans ce qu’on appelle le retour de l’idée communiste, c’est le rêve d’un ailleurs à venir non encore circonscrit et qui serait le nouveau nom de la révolution. Deux choix sont possibles : soit la reproduction à l’identique d’un modèle d’économie administrée, ce qui ne manquerait pas de conduire à une impasse criminelle ; soit l’avancée vers une révolution des droits inspirée par les principes de 1789-1793. «La Révolution est un bloc», disait Clemenceau. Il faut s’en souvenir pour faire exister un projet de changement social qui n’éliminerait pas les libertés fondamentales et permettrait de combattre l’ignorance, l’obscurantisme, le communautarisme. Voilà le vrai pari de notre époque et la seule épreuve de réflexion qui mérite qu’on s’y attache.
ELISABETH ROUDINESCO historienne et psychanalyste
(1) : Ici aussi communiste doit être imaginé comme une vision égalitaire, juste, bienveillante, fraternelle, etc... le contraire des vieux schémas des Partis communistes et leurs multitudes de sectes gauchistes.
Ouvrages :

- Pour une politique de la psychanalyse, Paris : La Découverte, 1977
- Histoire de la psychanalyse en France, vol. 1, Paris : Le Seuil, 1982 (réédition Fayard 1994)
- Histoire de la psychanalyse en France, vol. 2, Paris : Le Seuil, 1986 (réédition Fayard 1994)
- Théroigne de Méricourt. Une femme mélancolique sous la Révolution, Paris : Le Seuil, 1989
- Jacques Lacan. Esquisse d'une vie, histoire d'un système de pensée, Paris : Fayard, 1993
- Généalogies, Paris : Fayard, 1994
- Dictionnaire de la psychanalyse, avec Michel Plon, Paris : Fayard, 1997 (réédité en 2000 puis en 2006)
- Pourquoi la psychanalyse ?, Paris : Fayard, 1999
- L'analyse, l'archive, Paris : Bibliothèque Nationale de France, 2001
- La Famille en désordre, Paris : Fayard, 2002
- Le Patient, le thérapeute et l'État, Paris : Fayard, 2004
- Philosophes dans la tourmente, Paris : Fayard, 2005
- Pourquoi tant de haine ? : Anatomie du « Livre noir de la psychanalyse », Paris : Navarin, 2005
- La part obscure de nous-mêmes : une histoire des pervers, Paris : Albin Michel, 2007
- Retour sur la question juive, Albin Michel, Paris, 2009
- Théroigne de Méricourt : une femme mélancolique sous la Révolution, préface inédite d'Elisabeth Badinter, Paris : Albin Michel, 2010
- Mais pourquoi tant de haine? L'affabulation d'Onfray, Paris, Seuil, mai 2010.

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