Le colonialisme se porte toujours fort bien. Et les blancs sont toujours les conseilleurs. A Madagascar, la crise politique a favorisé le pillage des bois précieux
Il y a deux semaines, j'ai encore vu dans le port de Vohémar (nord-est de Madagascar) des nouveaux conteneurs de bois de rose prêts à être embarqués", raconte au téléphone Sylvain Delomora, de l'organisation non gouvernementale malgache Fanamby, qui lutte pour la protection de la biodiversité. "Les autorités ont récemment interdit ce commerce, mais sur le terrain, je ne vois pas la différence, se désole-t-il. Dans les forêts, l'abattage continue."
Depuis la fin mars, la coupe et l'exportation de bois de rose et de bois d'ébène sont officiellement suspendus à Madagascar. Cette interdiction par décret vise à mettre un coup d'arrêt au pillage des bois précieux dans la Grande Ile, située au large de la côte est de l'Afrique. L'exploitation forestière illégale s'était considérablement accélérée depuis le début de la crise politique, notamment dans les zones protégées de la région Sava, dans le nord-est du pays.
Depuis le renversement, au printemps 2009, de l'ancien président, Marc Ravalomanana, la quinzaine de compagnies d'extraction de bois installées à Madagascar ont su profiter de l'instabilité politique pour multiplier les coupes. Fanamby estime qu'entre 12 000 et 20 000 hectares de forêt ont été rasés depuis la prise de pouvoir contestée d'Andry Rajoelina. En novembre 2009, deux organisations environnementales internationales, Global Witness et Environmental Investigation Agency, avaient dénoncé les failles de la réglementation encadrant cette activité et l'inaction du pouvoir.
Directeur des Parc nationaux malgaches, Guy Suzon Ramangason affirme qu'une centaine de petits coupeurs ont été arrêtés depuis la mise en place de l'interdiction. "Les contrôles sont plus faciles car un homme transportant du bois est désormais automatiquement suspect, explique-t-il. Avant, les collecteurs de bois trompaient la vigilance des contrôleurs en présentant des photocopies d'autorisations au bas desquelles se trouvaient un faux tampon rouge bien voyant." Selon des ONG, 10 000 à 15 000 tonnes de bois de rose abattues illégalement avant la date charnière sont toutefois en attente d'exportation.
3 000 euros le mètre cube
Le marché est lucratif. Le mètre cube de bois de rose, une variété de palissandre d'une solidité exceptionnelle utilisée pour fabriquer des meubles, peut être vendu à plus de 3 000 euros en Asie. Les autorités souhaitent obtenir le classement de ce bois dans l'annexe 3 de la Cites, l'organisme international de protection des espèces menacées, afin d'en rendre plus difficile l'importation par les pays demandeurs, essentiellement la Chine.
Pour parvenir à écouler leurs stocks, les opérateurs n'hésiteraient pas à utiliser la corruption. "Elle touche tout le monde, du contrôleur forestier sur le terrain aux agents des douanes, en passant par des membres de l'actuel gouvernement", confie un connaisseur sous le sceau de l'anonymat.
Pour renforcer les contrôles, les autorités réclament plus de moyens. Qualifiant d'illégal l'actuel régime d'Andry Rajoelina, les bailleurs de fonds internationaux ont suspendu leurs aides. "On est démuni, avoue Julien Noël Rakotoarisoa, directeur général des forêts. La protection environnementale devrait être considérée comme une activité humanitaire, et donc continuer à recevoir de l'argent." Fanamby a perdu un tiers de son financement. "Cela va entraver notre travail de sensibilisation auprès de la population sur les dangers de la déforestation", s'inquiète son directeur, Serge Rajaobelina. Un million d'hectares de forêt a été détruit à Madagascar depuis vingt ans.
Sébastien Hervieu
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