Pour ceux qui auraient raté l’article de Marie Verdier dans La Croix du 30/03/2009, le voici avec son aimable autorisation.
Bienvenue à Biovallée
102 communes de la Drôme projettent d’atteindre 50 % de leurs terres cultivées en bio en quelques années et ambitionnent de devenir une « biovallée », un territoire écologique modèle en matière d’énergie, de bâtiment, de transports, de déchets, d’eau.
- « On a longtemps parlé avec condescendance de “l’arrière-pays diois”, mais aujourd’hui nous sommes l’avant-pays du bio ! » Michel Breyton, héritier de la ferme familiale depuis cinq générations à Die dans la Drôme, a d’abord pris les pionniers du bio pour des rigolos. Mais peu à peu l’agriculteur a remisé son scepticisme, mis un pied dans l’aventure en cultivant des céréales bio dès les années 1990, puis a prolongé l’expérience sur les plantes aromatiques et finalement les vignes. Michel Breyton est ainsi devenu un agriculteur 100 % bio.
- « On nous prenait gentiment pour une réserve d’Indiens », ironise-t-il. Des « Indiens » qui ont fini par sortir de la marginalité et prospérer. Dans le Pays diois, 25 % de la surface agricole utile est aujourd’hui cultivée en bio. Plus bas dans la vallée, la communauté de communes du Val de Drôme (CCVD) affiche 15 % de cultures bio (contre 10 % pour la Drôme, premier département bio de France, et 2 % au niveau national).
- Ces communes, avant-garde nationale, voient bien au-delà du Grenelle de l’environnement qui a fixé un objectif de 20 % de surfaces agricoles bio en 2020. Quatre communautés de communes réunissent dans un « comité de bonnes volontés » 102 communes et 50 000 habitants.
Devenir le «Fribourg rural»
Sur un tiers de la superficie du département de la Drôme, elles défendent le projet de Biovallée, avec pour ambition 50 % de bio en moins de dix ans, mais aussi une autonomie énergétique à partir de productions renouvelables, le développement de l’écoconstruction, la mise en service d’une navette ferroviaire ceinturant la vallée, etc. « On veut être le “Fribourg rural” », explique l’ardent promoteur du projet Jean Serret, conseiller général et président de la CCVD, en faisant référence au modèle de développement écologique du célèbre écoquartier de la ville allemande de Fribourg.
- Pourquoi le bio a-t-il fait son nid dans la Drôme ? « En 1968, les “babas” sont venus pratiquer le retour à la terre et se sont installés dans ces arrière-pays dépeuplés. Un canton comme Bourdeaux ne compte plus aujourd’hui que 1 100 habitants, il en avait dix fois plus au début du XXe siècle », explique Jean Serret.
- Ces néoruraux qui voulaient refaire le monde sont venus de diverses régions, mais aussi de Suisse, d’Allemagne et des Pays-Bas, attirés par des bâtiments et des terres libres, par la beauté des paysages du Vercors et par le soleil.
- Personne n’a cru à l’époque à ces tocades de citadins en quête d’un mode de vie alternatif. « On débarquait de la Lune ! », se rappelle Sjoerd Wartena qui, en 1973, a quitté son travail à la bibliothèque universitaire d’Amsterdam pour venir, avec femme, enfant et deux mots de français, faire des fromages de chèvre à Die.
Les babas prennent racine
« Amsterdam, à l’époque, c’était le lieu de rencontre de tous les hippies du monde, et nous débarquions dans une culture du XIXe siècle, poursuit-il, mais nous nous intéressions à leurs pratiques qui étaient de fait proches du bio, nous leur demandions des conseils et les habitants étaient finalement agréablement étonnés. »
- Nombre de ces expériences ont tourné court. Mais certains, comme Sjoerd Wartena, ont pris racine. Ils ont eu l’idée de développer la culture des plantes aromatiques et ont finalement été l’aiguillon du renouveau économique de la vallée. Tijlbert Vink est un descendant de ces pionniers. Ses parents l’ont amené, en 1978, dans un couffin depuis les Pays-Bas pour vendre des fromages de chèvre sur les marchés, avant d’innover dans la culture de plantes aromatiques.
- Trente ans plus tard, Tijlbert Vink dirige, dans le village de 600 habitants de Châtillon-en-Diois, L’Herbier du Diois, un grossiste qui propose 260 variétés (et 6 000 produits différents) d’épices, de plantes aromatiques et médicinales et d’huiles essentielles venant des terres avoisinantes et de 25 pays. Le jeune dirigeant poursuit les idéaux soixante-huitards de ses parents, en version XXIe siècle. Les salariés qui viennent à vélo touchent une prime de cent euros par mois.
- Et le nouveau bâtiment qui sort de terre pour doubler les superficies sera un bâtiment « passif » en paille, couvert de 2 000 m2 de panneaux solaires photovoltaïques et d’une toiture végétalisée. Car l’entreprise grossit vite. Signe des temps, la petite entreprise de quatre salariés qui vendait 75 % de ses productions à l’export en 1997 a aujourd’hui 23 employés et vend à 67 % sur le sol français.
Le bio attire les géants de l'industrie
Le bio se sent des ailes. L’abattoir vieillissant de Die a été rénové en abattoir multi-espèces et atelier de découpe agréé pour le bio. Cogéré par les éleveurs et les bouchers, il alimente 10 % de la consommation locale. Quant à La Carline (du nom d’un chardon des montagnes), le petit magasin associatif bio réservé aux adhérents, il s’est transformé en janvier dernier en société coopérative d’intérêt collectif et ouvrira au début de 2010 un grand magasin ouvert à tous au centre de Die. La jeune société espère favoriser l’implantation de maraîchers et créer une plate-forme de distribution dédiée à la restauration collective, le conseil général ayant presque achevé de convertir au bio l’ensemble des collèges du département.
- Cette dynamique locale n’a pas échappé aux géants industriels. Sanoflore, le producteur de cosmétiques bio installé à Gigors-et-Lozeron depuis 1986, a été racheté par L’Oréal, tandis qu’Yves Rocher a acquis 30 % de Fytosan, producteur d’extraits végétaux bio pour les produits cosmétiques, pharmaceutiques et agroalimentaires implanté à Die. « Le bio a du succès ; d’une certaine manière on a gagné », reconnaît Tijlbert Vink. Ces entreprises suscitent des appétits et servent de vitrine au projet de Biovallée.
- « On est historiquement un territoire de résistance et d’innovation », analyse Éric Julien, président de la future École de la nature et des savoirs qui va s’implanter sur les hauteurs de Die. « Une terre d’accueil et de tolérance protestante », ajoute Jean Serret.
« Adapter d’anciennes cultures à l’époque contemporaine »
Le bio y a trouvé sa place parce que les exploitations agricoles sont toujours restées petites et diversifiées. « Parce que la Drôme est le jardin de la France : on y trouve toutes les cultures et tous les climats », poursuit Éric Julien. « Parce que les grandes organisations gérant l’agriculture en France n’ont jamais investi ces territoires qui ont gardé une latitude et une légitimité pour agir », renchérit Jean Serret. « Le bio, c’est la vraie modernité, la capacité à intégrer le passé, à adapter d’anciennes cultures à l’époque contemporaine », justifie Sjoerd Wartena.
- Leur histoire, les habitants entendent continuer à la maîtriser. « On ne va pas seulement se laisser racheter par les grandes entreprises », fait valoir Philippe Méjean, chef de projet Biovallée. L’École de la nature négocie actuellement avec deux banques la création d’une carte bancaire « Biovallée ». À chaque fois que le titulaire de la carte fera un achat, il versera quelques centimes à une Fondation. « Cette épargne solidaire sera intégralement investie localement dans des projets de Biovallée », explique Éric Julien, car Biovallée ne doit pas se transformer en un guichet pour uniquement percevoir des subventions du département, de la région ou de Bruxelles. »
Marie VERDIER
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