Guerres de l’eau : vers des conflits régionaux
Le XXe siècle, dominé en partie par des enjeux de type pétrolier, pourrait maintenant céder la place à des affrontements liés à des volontés d'accaparement et de contrôle de l'eau. Mais celle-ci, enjeu vital, et source potentielle de tensions sérieuses, représente aussi aujourd'hui un objet en voie de marchandisation. Ce qui ne manque pas de susciter des questions alors que les Nations unies ont établi que, vers 2025, la demande mondiale en eau douce pourrait être supérieure au total des réserves disponibles. Qui peut dès lors nier l'impossibilité qu'il y a à demeurer les bras croisés ?
L'eau est un défi partagé par l'ensemble de l'humanité. Le rapport de forces au niveau international est primordial, à une époque où nombreux sont ceux qui guettent la première et potentielle guerre pour l'eau. Mais cet aspect est aussi pleinement lié aux modalités concrètes et efficaces de gestion de l'eau à l'échelle internationale.
C'est dans ce contexte que cet ouvrage amène à s'interroger concrètement sur les enjeux posés par l'eau, que ce soit pour ce qui relève de ses utilisations, son statut, ou encore les défis géopolitiques qui en découlent. À partir d'analyses géographiques, politiques et juridiques, Barah Mikaïl apporte ici une réponse concrète à la bataille que la communauté internationale doit mener pour la préservation d'une ressource qui, cœur de la vie humaine, pourrait aussi être un moteur des conflits du troisième millénaire.
Cette ressource vitale est au coeur des discussions qui s'ouvrent jeudi, à Marseille, en préparation du Forum mondial de l'eau...
Si nous sommes habitués à le voir couler du robinet d’un simple geste, l’«or bleu» devient un enjeu géopolitique essentiel. «L’eau est un élément vital, ce qui n’est pas le cas du pétrole par exemple, important pour l’économie mais pas indispensable au maintien de la société», explique Barah Mikaïl, chercheur à l’Institut de relations internationales et stratégiques et auteur de L’eau, source de menaces ? (Ed. Iris/Dalloz). Au delà du stock d’eau, avec la pollution croissante des ressources, la qualité aussi devrait devenir une source de convoitises entre Etats.
L’eau douce, qui représente 3% de l’eau contenue sur la Terre, est utilisée, pour 70% par l’agriculture, entre 20 et 22% par l’industrie et entre 8 et 10% par la consommation domestique. «En 2035, on estime que la moitié des réserves d’eau douce auront disparu», souligne Pauline Lavaud, chargée de mission à la Fondation France Libertés. On en imagine aisément l’impact, notamment économique.
Entre la raréfaction, l’inégale répartition des ressources et la pollution par l’industrie et l’agriculture, l’eau risque donc de devenir un enjeu stratégique de plus en plus majeur.
Enjeux limités pour les pays développés
«Les pays développés, comme ceux de l’Union européenne, les Etats-Unis ou encore le Canada ont des moyens et des savoir-faire techniques qui leur ont permis de dépasser les contraintes en eau», détaille Barah Mikaïl. Pourtant, en Amérique du Sud notamment, «les Etats-Unis se positionnent sur des territoires riches en eau», note Pauline Lavaud, comme par exemple sur l’aquifère de Guarani, avec l’installation d’une base militaire.
Dans d’autres secteurs du globe, qui ont moins de ressources, les infrastructures ne sont pas forcément suffisantes et leur gestion laisse parfois à désirer.
Tensions intra-étatiques
En Chine, la répartition de l’eau et des besoins est inégale. «En caricaturant, on a les ressources dans le sud-est, bien alimenté, et le nord-ouest, beaucoup plus soumis à des manques, alors que l’agriculture est surtout présente dans cette zone», décrit Barah Mikaïl. La Chine a mis en place une politique de grands barrages mais aussi de déplacement des populations qui ont créé du mécontentement. «On se focalise sur les tensions inter-étatiques, mais selon moi, les tensions internes sont plus importantes», note le chercheur.
Situation similaire en Inde, où, il y a quelques années, les habitants du Kerala ont manifesté contre l’implantation d’usines de Coca-Cola, très gourmandes en eau. Sous la pression populaire, les autorités ont été contraintes à prendre des mesures contre les usines.
Plutôt des tensions que des conflits
Entre les pays, les tensions se cristallisent souvent autour de cours d'eau qui traversent plusieurs Etats. En effet, si un pays situé en amont du fleuve décide d'installer un barrage, il réduit de fait les ressources en eau pour les pays situés en aval. Dans certaines zones, comme pour certains bassins africains, des organismes supra-étatiques ont été mis en place afin de gérer les ressources d'eau et les infrastructures en évitant les tensions.
Au Moyen-Orient, il existe des tensions fortes, notamment autour du Tigre, de l’Euphrate et du Jourdain. Néanmoins, nuance Barah Mikaïl, «autour du Jourdain, on est dans le statu quo. Israël, en amont, n’a que peu de craintes envers les pays situés en aval. En effet, c’est l’Etat hébreu qui a les moyens de faire valoir ses intérêts par la force, et le rapport de force est écrasant». Peu de risque, donc, de voir la Syrie ou la Jordanie prendre des mesures importantes.
Le Nil est aussi un fleuve clé dans les enjeux hydrauliques entre ll'Ethiopie, le Soudan et l'Egypte. Mais là encore, «même si l’option d’un conflit n’est pas exclue, elle est à relativiser», note Barah Mikaïl, «l’option diplomatique reste posée, d’autant qu’il faudrait des moyens lourds à mettre en place (pour construire des barrages), qui laisseraient le temps aux autres pays de réagir.»
En Afrique ou en Amérique du Sud, les problèmes sont plus liés au manque d’infrastructures ou aux problèmes de gestion qu’à des tentatives de réappropriation de cours d’eau. (Photos C.V.; la Meyrosse au niveau des Fondeaux à Die ).
A moyen terme, l’enjeu sera notamment de dessaliniser l’eau de mer, afin de la rendre propre à la consommation. Mais pour cela, il va falloir trouver des ressources énergétiques pour le faire.
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