Voici un autre article intéressant de cette journaliste.
« On peut perdre la moitié des espèces vivantes d'ici à la fin du siècle »
Gilles Bœuf, président du Muséum national d’histoire naturelle, lance avec une soixantaine de scientifiques un appel en faveur de la biodiversité
Marie Verdier : Vous venez de lancer, avec 60 scientifiques, un appel pour la biodiversité (lire encadré). Quel est le sens de cette initiative ?
Gilles Bœuf : La multiplication, ces derniers temps, des « petites phrases » sur l’environnement émanant des milieux politiques et économiques témoigne d’un discours très rétrograde. L’opposition entre économie et écologie, que l’on croyait périmée, a fait un retour en force. L’homme fait partie de la nature. On ne sauvera pas la nature sans l’homme et inversement.
Plus de 1 300 scientifiques de la planète ont participé pendant quatre ans à la réalisation du rapport « Millennium Ecosystem Assessment », publié en 2005 sous l’égide des Nations unies. Ce rapport a été une vraie bombe. Pour la première fois, les services rendus par les écosystèmes, tels que l’épuration naturelle des eaux ou la pollinisation des plantes, ont été évalués. Soixante pour cent de ces services sont déjà perdus. Qu’ils viennent à disparaître totalement et l’homme en sera la première victime.
Le coût pour faire le travail de pollinisation à la main à la place des insectes est évalué à 250 milliards d’euros par an pour la planète. De même, le coût de l’épuisement des stocks halieutiques (NDLR : ressource provenant du milieu marin) est estimé à 100 milliards d’euros par an. Il faut absolument arrêter le processus selon lequel la création de richesses se fait sur le dos des écosystèmes et grâce à la surexploitation des ressources.
Quelle est l’évolution la plus inquiétante selon vous ?
On sait par le travail des paléontologues que, depuis soixante-cinq millions d’années, une espèce sur 1 000 disparaît tous les mille ans. Aujourd’hui, une espèce sur 1 000 s’éteint tous les ans. Promesse avait été faite lors du sommet de la Terre de Johannesburg, en 2002, de freiner l’érosion de la biodiversité d’ici à 2010. L’Europe avait même promis de l’arrêter.
Depuis, le monde a continué à ronronner et le rythme d’extinction des espèces à s’emballer. En continuant sur cette lancée, le taux de disparition ne sera plus 1 000 fois, mais 10 000 fois supérieur au rythme naturel attendu. On peut perdre la moitié des espèces vivantes d’ici à la fin du siècle. Notre cri d’alarme, il est là.
Quelles sont les causes de la disparition d’espèces ?
Elles sont bien connues : la destruction et la pollution, la surexploitation des stocks – forêt tropicale et pêche maritime en sont les plus beaux exemples –, la dissémination anarchique des espèces et, enfin, le changement global qui affecte la diversité biologique. Parfois la nature s’adapte de manière spectaculaire. En trente ans, les merluchons de Méditerranée ont été capables d’anticiper de deux ans l’âge à partir duquel ils se reproduisent pour réagir à la capture permanente des individus adultes.
Mais la plupart du temps, la vitesse du changement est beaucoup trop rapide. Dans une forêt, vous coupez un arbre, puis un autre et ainsi de suite. Et un jour, vous ôtez l’arbre de trop, ce qui fait basculer le milieu. Ce moment précis est difficile à prévoir, mais le jour où il survient, il est trop tard.
En a-t-on déjà des exemples ?
Le cas de la morue, au large du Canada, est emblématique. Elle a été pêchée et a fait vivre les pays riverains de l’Atlantique nord pendant cinq siècles. Puis les techniques de pêche destructrices utilisées à partir des années 1970 ont eu raison de ce poisson. Et vingt ans de moratoire ne l’ont pas fait revenir.
Alors, va-t-on faire la même chose pour le thon rouge en Méditerranée, assister à sa disparition sans réagir ? Le milieu marin, que je connais particulièrement bien, est préoccupant. La capture systématique des grands individus et crustacés fait basculer l’écosystème marin au profit des seules méduses. On assiste à la « gélification » des océans – de l’anglais jellyfish (méduse).
Que peut faire la France ?
Pour l’instant, la France parle plus qu’elle n’agit. À son niveau, elle peut agir sur les modes de production agricole pour limiter les épandages de pesticides, sur la gestion des pêcheries, sur l’exploitation des forêts tropicales (à laquelle les Français participent activement en achetant des produits issus des bois tropicaux) ou sur l’importation d’espèces qui deviennent proliférantes. Plus aucune décision d’aménagement ne devrait être prise sans que la préservation de la biodiversité soit un préalable.( p hoto : 300 espèces de singes vont disparaitre).
En tant que président du Muséum, un des trois plus grands musées d’histoire naturelle au monde, qui dispose d’une des plus belles collections de la planète, avec 70 millions d’échantillons, j’ai aussi le devoir d’alerter sur la grande faiblesse de la recherche française. Notre appel dit en substance : aidez-nous, et nous vous aiderons à trouver des solutions.
Recueilli par Marie VERDIER |
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