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vendredi 22 juillet 2011

Eloge de la Folie d' Erasme à Foucault....(3)

Chimères des grandeurs
Folie (III) Des pyramides aux JO en passant par l’Empire State Building, la folie architecturale rime depuis toujours avec gigantisme. Une grandeur qui traduit les ambitions du pouvoir et colmate souvent les failles d’un système. Entretien avec Christophe Catsaros, rédacteur en chef de la revue «Tracés».
L’une des représentations toutes faites de l’architecte au travail consiste à montrer un homme gesticulant par-dessus une énorme maquette. A côté de lui, un deuxième admire en silence; subtilement, dans ses yeux qui ne regardent plus, on peut voir les volumes prendre forme, les palais se dresser et le mécène rêvasser les yeux grand ouverts.
La représentation n’est pas loin de la réalité: «Souvent les dictateurs et autres hommes de pouvoir, se définissent comme les architectes de quelque chose», assène d’emblée Christophe Catsaros, rédacteur en chef de la revue d’architecture et urbanisme Tracés, joint pour l’occasion. En effet, des pyramides des pharaons au Berlin de Speer et Hitler en passant par Dinocrate de Rhodes ou encore la statue colossale de Néron érigée près du Colisée, à Rome, autoritarisme et gigantisme architectural font bon ménage. C’est d’ailleurs au mot «kolossos» créé par Hérodote pour désigner les énormes statues égyptiennes – et plus généralement la notion «d’échelle surhumaine» – que le Colisée devrait son nom.
Mais si l’excès et la «sur-dimension» comme catégorie esthétique hante depuis la nuit des temps les créateurs (de Michel-Ange aux architectes de la Renaissance) pour l’élévation morale, voire l’extase mystique qu’elle peut susciter chez le spectateur, on pourrait penser que ce n’est qu’avec la modernité que la grandeur et ses folies se mettent au service d’aspects idéologiques globalisants, voire aberrants.
Lourd tribut
«Les grands monuments, aussi extravagants soient-ils, correspondent toujours à des moments historiques et économiques propices à ce genre d’opération, nous contredit Catsaros. En définitive, la folie des grandeurs n’est finalement ni folie ni pulsion. Mais plutôt un calcul aberrant. Une spéculation avec des retombés, autrefois symboliques, en termes d’image, aujourd’hui économiques.»
Mais ces calculs, aussi scientifiques qu’ils paraissent, ne sont jamais infaillibles. «Loin de là. Si des actes d’autorité odieux comme ceux de Napoléon III et de son bras droit Haussmann – qui avaient évacué les quartiers populaires occupant encore en grande partie le centre – a eu comme résultat de créer le Paris des grands boulevards que nous connaissons, ailleurs, non seulement les méthodes mais aussi les calculs ont trahi les expectatives. Ainsi, la Grèce et l’Europe payent aujourd’hui un lourd tribut économique au gigantisme trop optimiste des instigateurs des Jeux Olympiques d’Athènes de 2004. Bientôt peut-être, nous irons même admirer les ruines laissées à Dubaï par les projets pharaoniques des îles artificielles «Palms Islands» («visible à l’œil nu de la station spatiale internationale», vantaient autrefois les brochures, ndlr) dont les promoteurs ont déclaré faillite en 2009 suite à la crise financière.» Et que deviendra le Burj Khalifa, à quelques kilomètres? Avec 828 mètres de haut et 160 étages «habitables», c’est de loin le plus grand gratte-ciel du monde, mais il peine à se remplir...
La tentation de la dérive
A côté d’exemples vertueux maintes fois applaudis (tel les J. O. de Barcelone de 1992), une foule de projets d’envergure connaissent donc des échecs clinquants. La responsabilité en est-elle uniquement politique? «Non. Si la vocation d’architecte hante tout homme de pouvoir, le contraire est aussi vrai, malheureusement, estime Christophe Catsaros. Et la mégalomanie de certains architectes a souvent contribué à donner à la grandeur de certains projets une connotation négative. Enfin, tout projet d’envergure ou de réaménagement à grand échelle contient potentiellement une tentation de dérive autoritaire, que ce soit de la part des dirigeants ou de celle des architectes et urbanistes qui imposent parfois des visions esthétiques difficilement partageables.»
«Même le projet moderne, rationnel et fonctionnaliste du XXe siècle entamé entre autres par Le Corbusier, malgré toute sa charge démocratique, connaît une dérive autoritaire à l’époque de la reconstruction d’après-guerre.» On s’en souvient (lire Une utopie concrète, Le Courrier du 28 août 2010), les situationnistes critiquaient le cadre de vie moderne: «On ne saurait oublier que si l’Urbanisme moderne n’a encore jamais été un art – et d’autant moins un cadre de vie –, il a en revanche toujours été inspiré par les directives de la police», cite l’un des nombreux pamphlets du mouvement situationniste contre le modernisme. «Une dérive symbolisée par les banlieues et ses barres de ciment qui écrasent l’individu», poursuit Christophe Catsaros.
L’antidote paraît donc simple: «L’architecte et l’urbaniste doivent être vigilants contre leur ego et ne jamais perdre de vue les futurs habitants de leurs projets.» Chimérique ?
Architectures compulsives
Si la folie des grandeurs s’attaque souvent aux hommes de pouvoir, le démon de la construction échappe parfois aux règles. A l’ombre des mausolées de régimes divers poussent ainsi régulièrement des exemples de monumentalité tout aussi ambitieux mais d’initiative privée, voire intime, et aux finalités sauvagement poétiques. Architecture naïve ou brut, ces quelques folles constructions éparpillées dans le monde, témoignent d’une facette intrigante de la folie architecturale, et emmènent leur visiteurs en une terre inconnue. Entre pathologie et poésie, naïveté et savoir-faire, compulsion et grandeur. Un monde où un Antoni Gaudì, représentant presque idéal de cette troupe de bâtisseurs hétéroclites, ne pourrait entrer à cause des moyens dont il dispose.
Un cas exemplaire est celui du Palais idéal de Ferdinand Cheval, facteur de profession et bâtisseur par vocation. Son projet est né un jour d’avril 1879, alors qu’il trébuche sur une pierre lors de sa tournée. Vertige. Ce soir-là, il rentre chez lui avec la pierre en question. Le lendemain avec un autre caillou, et ainsi de suite. Puis il commence à tracer les contours d’un palais idéal, sans plan précis – une œuvre qui l’occupera pendant 33 ans. La littérature née autour du cas Cheval parlera dès lors d’«environnements d’art».
Le cas Cheval est loin d’être isolé. A la même époque à Eben-Emael (Belgique) Robert Garcet, tailleur de pierres, s’invente une tour-musée inspirée par rien de moins que la Nouvelle Jérusalem de l’Apocalypse de Saint Jean. Et la tâche fut à hauteur de sa force de conviction puisqu’il bâtit une œuvre inquiétante: quatre tours de 33 mètres de haut où trônent quatre chérubins blancs. Aux pieds de chaque tour, on trouve douze stèles distantes de 3,33 mètres l’une de l’autre.
Les âmes damnées de winchester
De 1921 à 1954, dans le quartier Watts de Los Angeles, Simon Rodia a construit un ensemble de tours composées de câbles d’acier plongés dans du ciment. Au final, l’improbable monument s’apparente à une sorte d’arche, avec des tours hautes de 31 mètres qui ressemblent à des mâts. Menacés de destruction en 1958, les Watts Towers seront classées monument historique en 2010. Entre 1948 et 1971, sur la Ohayo Mountain de Woodstock, Clarence Schmidt a bâti de manière compulsive un ensemble fait de matériel de récupération qui sera appelé «House of mirrors». La construction a été détruite dans un incendie.
Une légende, pour terminer: celle de Sarah Winchester, contemporaine de Cheval. Veuve très jeune de l’héritier des fusils homonymes, elle a aussi perdu une fille. Déstabilisée, elle consulte des médiums et l’un d’eux esquisse une explication prophétique: sa famille est victime d’un destin meurtrier dû aux esprits des personnes tuées par des carabines Winchester. Pour éviter un sort similaire, Sarah doit fuir vers l’ouest et s’employer à construire une maison pour elle et les esprits. Après avoir déménagé en Californie, Sarah Winchester, héritière d’une très grosse fortune, dédie le restant de ses nombreux jours – elle meurt à 82 ans – à bâtir, à l’aide d’une équipe d’ouvriers, une maison sans queue ni tête. Dédale de couloirs, chambres et culs-de-sac où reposent à jamais les esprits des morts.
Dubaï, alt. 828m
Ce devait être la tour de tous les superlatifs. Malheureusement pour elle, la crise financière mondiale a quelque peu gâché la fête. A Dubaï, dans les Emirats arabes unis, le gratte-ciel Burj Khalifa, inauguré le 4 janvier 2010, n’en est pas moins la plus haute structure au monde. Le bout de son antenne pointe à 828 mètres, son toit à 739 mètres – c’est presque 400 mètres de plus que l’Empire State Building de New York. Et, second édifice en hauteur, le Taipei 101 de Taiwan ne pointe «qu’à» 509 mètres. Il compte 101 étages, contre 162 pour le Burj Khalifa.
Imaginé par le bureau d’architecture de Chicago Skidmore, Owings et Merrill, le gratte-ciel a été développé par la société immobilière Emaar Properties, détenue à 31% par le gouvernement de Dubaï. La tour est le joyau du projet Downtown Burj Khalifa, comprenant 30 000 résidences, plusieurs hôtels, le plus grand centre commercial du monde – il rassemble quelque 600 magasins –, des parcs et un lac artificiel.
Le «Khalifa» du nom de l’édifice n’était pas prévu au programme: le géant devait s’appeler Burj Dubaï, «Tour de Dubaï», pour chanter la gloire de l’émirat-ville. Or à la suite de ses difficultés financières liées à la crise de 2008, Dubaï a été contrait d’appeler à l’aide. Le Cheikh Khalifa ben Zayed Al Nahyane, émir du voisin, Abou Dabi, par ailleurs président des Emirats arabes unis, a répondu présent en allongeant quelque 10 milliards de dollars de refinancements. De l’argent bienvenu, mais ça fait mal à l’ego. Surtout qu’au final, les espaces disponibles dans la tour peinent à trouver preneur...
Quelque 22 millions d’heures de travail ont été nécessaires pour l’édification de Burj Khalifa. Les conditions de labeur étaient déplorables, souligne un rapport de l’ONG de défense des droits humains Human Rights Watch. Avec des salaires inversement proportionnel aux risques encourus  – moins de 8 dollars par jour, pour les plus bas –, nombre d’ouvriers se sont retrouvés dans des situations proches de l’esclavage, pour cause de frais de transport et de visa à rembourser – ils venaient pour la plupart d’Asie du Sud. Les chantiers auraient provoqué plusieurs centaines de suicides et de morts par accident parmi les ouvriers.
Nicola Demarchi

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