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dimanche 31 juillet 2011

L' art est le plus court chemin vers le politique...


L'art, le plus court chemin vers la politique
Dinard (Ille-et-Vilaine) - En bordure de la plage de Dinard, on a sorti les drapeaux gris. Ils ne sont pas là pour signaler l'état de la mer, mais celui de la planète. Œuvre de l'artiste cubain Wilfredo Prieto (né en 1978), ce sont des étendards nationaux qui ont perdu leurs couleurs.
Intitulée Apolitico, l'installation est posée jusqu'au 11 septembre, dans le cadre d'une exposition au thème rude pour une période estivale dans une riante station balnéaire, l'art et la politique : "Est-ce qu'on doit s'interdire, parce qu'on est en été, de réfléchir un peu ?", s'interroge Sylvie Mallet, maire des lieux.
Trente-deux artistes ont été réunis pour ce faire par le commissaire d'exposition Ashok Adicéam. Il a fait ainsi installer, à quelques mètres de Apolitico, un grand néon conçu par l'artiste sud-africain Kendell Geers (né en 1968). Le mot "believe" (croire) dont les trois lettres centrales s'illuminent dans une couleur différente, ce qui donne "lie" (mensonge).
Dès l'entrée, pour la réflexion, on est servi. Elle peut même prendre des dimensions qui fâchent. Ainsi, cette sculpture de Zhang Huan. Né en 1965, installé à Shanghaï, il a fondu une monumentale main de Bouddha en récupérant des fragments d'autres sculptures en bronze détruites au Tibet pendant la Révolution culturelle. Gonflé. Surtout quand le thème art et politique est précisé, dans le sous-titre de l'exposition, par la mention : "L'artiste face aux tyrans".
Les tyrans ? "Ils ne sont grands que parce que nous sommes à genoux", sourit madame le maire, en citant La Boétie. Et en ajoutant que l'exposition de 2010, intitulée "Hope" (espoir), était sans doute plus "tendre", "mais la tendresse n'empêche pas la lucidité", ajoute-t-elle.
Mais de quels tyrans cause-t-on ? Ils sont nombreux, et de natures diverses. Braco Dimitrijevic (né en 1948), dans une de ses meilleures pièces, une vidéo intitulée The Resurrection of Alchemists, en signale un, et pas des moindres : alors qu'il tient un discours passionnant sur l'importance de l'art dans la société, l'écran du téléviseur est peu à peu envahi par des "bizz bars", ces défilés de bandeaux en surimpression qui annoncent sur certaines chaînes de télévision l'évolution des valeurs boursières.
L'exposition, divisée en plusieurs sections, explore la plupart des facettes du totalitarisme. On y retrouve quelques figures historiques, comme Käthe Kollwitz (1867-1945), qui fut démise de son poste d'enseignante par les nazis et interdite d'exposition, mais surtout des artistes plus jeunes, pour la plupart (à l'exception de Martial Raysse) nés après la seconde guerre mondiale, et qui se penchent chacun à sa manière sur la nature de cette aberration politique.
C'est le Sud-Africain William Kentridge (né en 1955) qui, dans une vidéo fascinante qui exploite les procédés de l'anamorphose, s'interroge sur la guerre que les troupes de Mussolini livrèrent à l'Ethiopie dans les années 1930. C'est la série des "War Games" dans laquelle Joana Vasconcelos, née en 1971, met en lumière la déresponsabilisation des soldats chargés de faire régner un ordre injuste, ou cette autre série dans laquelle l'Américaine Jenny Holzer reproduit précisément sur toile les plans de bataille des troupes chargées de conquérir l'Irak en 2003.
Du basique, en somme. Là où cela devient plus subtil, c'est quand l'artiste questionne l'art lui-même ; comme dans cette vidéo de Ziad Antar (né en 1978) dans laquelle un pianiste est filmé, vu d'en haut, la caméra cadrant seulement ses mains, en train de jouer La Marche turque, de Mozart. Si ce n'est que l'instrument est privé de cordes, et que seul le bruit de la frappe des doigts, et son rythme, est audible. Ce qui en fait réellement une marche militaire : en fermant les yeux, on entend un bruit de bottes.
L'exposition explore ainsi plusieurs thèmes, mais les plus intéressants sont les moins attendus, quand le tyran s'avère être non pas un homme politique, mais un démon personnel. Le monde de l'art, par exemple, crucifié par Maurizio Cattelan qui scotche son galeriste italien Massimo De Carlo à mi-hauteur d'un mur. On ne sait combien de temps ce pauvre homme a dû passer suspendu ainsi à sa cimaise, mais devoir demeurer muet et sans même pouvoir parler avec les mains, quand on est un des plus grands marchands du monde, cela a probablement été terrible. Spécialement quand Cattelan croit bon de baptiser l'oeuvre Un jour parfait.
Car c'est quand les artistes dévoilent leurs propres contradictions que l'exposition est à son meilleur. Andrei Molodkin, expliquant que lorsqu'il avait exposé à la Biennale de Venise de 2009, au Pavillon russe, du sang transfusé de soldats et du pétrole, lesquels avaient pour caractéristique commune d'avoir été récoltés en Tchétchénie, il lui avait été demandé de ne pas répondre aux questions des journalistes sur les aspects politiques de son travail, mais seulement sur son côté métaphysique...
Ou l'excellent Claude Lévêque, capable du meilleur comme du pire, déclarant en conférence de presse : "L'art engagé m'emmerde et est suspect. Mais je crois à la politique et mon engagement, je le vis au quotidien." Un mois plus tard, il figurait dans la liste des récipiendaires de la Légion d'honneur du 14-Juillet.
"Big Brother. L'artiste face aux tyrans". Palais des arts, 2, boulevard Wilson, à Dinard (Ille-et-Vilaine). Du mardi au dimanche, de 11 heures à 19 heures, nocturnes le vendredi jusqu'à 21 heures. Jusqu'au 11 septembre. Entrée : 5 euros. Jusqu'au 11 septembre.
Catalogue, Editions Skira/Flammarion, 160 p., 29 euros.
Harry Bellet

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