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lundi 18 juillet 2011

La journée de la Femme c'est tous les jours


L'émancipation des femmes passera par celle des hommes appelés à se débarrasser de leurs stéréotypes et à refuser les assignations de genre
Dans le cadre du Festival d'Avignon, se joue, jusqu'au 26 juillet, une pièce d'August Strindberg, "Mademoiselle Julie", mise en scène par Frédéric Fisbach. Cette oeuvre, qui représente une femme - Julie - aux prises avec les conventions de l'époque et son désir pour Jean, le valet de son père, se prête-t-elle à une lecture féministe ?
Dominique Méda : Le texte de Strindberg est porteur d'un message très dur envers l'émancipation féminine : toute femme élevée selon des principes égalitaristes est vouée à la folie et à la mort. Pour Strindberg, les femmes doivent s'en tenir à leur fonction de maternité. L'émancipation féminine a pour conséquences la confusion des genres et le désordre social.
Joy Sorman : Cette pièce traite certes de la guerre de sexes, mais aussi de la lutte des classes : d'un côté Mademoiselle Julie, l'aristocrate, de l'autre Jean, le prolétaire. Le rapport entre hommes et femmes est ici déterminé par l'impossible réconciliation des classes sociales. Sur ce point aussi, l'actualité de la pièce est frappante : les questions de genres et de classes n'ont pas fini de se croiser. Aujourd'hui, les femmes sont les prolétaires de la société.
Mais de "Mademoiselle Julie" à aujourd'hui, le statut des femmes a pourtant bien changé dans la vie sociale comme dans la sphère artistique et littéraire...
D. M. : Après la Révolution française et les tentatives de permettre aux femmes l'accès à l'espace public, le code Napoléon a donné aux femmes le statut de mineures : l'incapacité juridique des femmes se traduit par le fait qu'elles passent, lorsqu'elles se marient, de la tutelle du père à celle du mari.
La première guerre mondiale, où elles ont joué un rôle fondamental, notamment en occupant des postes généralement réservés aux hommes, a été suivie d'une longue période de régression dans l'entre-deux-guerres et sous Vichy.
La France sera l'un des derniers pays à leur accorder le droit de vote, en 1945, et certaines dispositions du code Napoléon ne seront abolies qu'en 1938. L'autorisation d'ouvrir et d'utiliser seules un compte en banque, l'autorisation de travailler sans l'accord de leur mari, la dépénalisation de l'avortement, la contraception : toutes ces mesures datent des années 1960-1970...
Or ces droits, acquis de haute lutte, sont fragiles et toujours susceptibles d'être remis en cause. Aujourd'hui, la situation des femmes n'est pas à la hauteur de ce qu'elle devrait être, notamment au vu de leur extraordinaire évolution en matière d'éducation : les femmes font plus d'années d'études que les hommes et réussissent mieux à tous les niveaux du cursus scolaire. Pourtant, leur situation dans le monde du travail ne reflète pas ces changements.
J. S. : Depuis Madame de Staël, George Sand, Colette et bien d'autres encore, les femmes investissent de plus en plus le champ littéraire. L'histoire du féminisme est d'abord l'histoire de l'avènement des femmes à la visibilité, de leur irruption sur la scène publique, et la littérature accompagne ce mouvement. Devenir écrivaine, c'est publier, c'est-à-dire se rendre publique, c'est accéder à un espace longtemps interdit aux femmes, créatures fragiles traditionnellement destinées à rédiger des lettres d'amour mélancoliques dans l'intimité de leur boudoir.
Aujourd'hui, sur les tables des librairies on trouve une "littérature féminine", héritée de cette image d'Epinal qui cantonne la femme à l'intériorité, à la sentimentalité, à l'intimité - sujets qui donnent aussi lieu à de magnifiques textes.
Mais ce qui a changé, c'est que de nouvelles figures féminines romanesques ont émergé, portées, par exemple, en France par des auteures comme Virginie Despentes, qui s'inscrit dans une esthétique punk et crée des personnages féminins à rebours des canons de la littérature : des héroïnes qui boivent, se frottent à tous les excès, revendiquent leur violence, se battent et refusent de se conformer aux stéréotypes féminins. Aujourd'hui Madame Bovary peut être punk !
Quand on voit des femmes comme Laurence Parisot, Martine Aubry ou Christine Lagarde occuper de hautes fonctions, on pourrait penser que l'égalité est acquise. Y aurait-il un décalage entre l'affichage politico-médiatique et la réalité ?
D. M. : Jusque dans les années 1990, il y a eu en effet un mouvement de réduction des inégalités salariales et une amélioration de la position des femmes dans l'emploi.
Cette dynamique s'est enrayée pour des raisons conjoncturelles : le taux de chômage était alors extrêmement haut et on a encouragé le travail à temps partiel et le retrait d'une partie des femmes du marché du travail avec l'ouverture de l'allocation parentale au deuxième enfant.
Mais aussi pour des raisons structurelles : tout se passe comme si on avait été au bout du bricolage et qu'il fallait vraiment maintenant reprendre les choses de fond en comble.
Car la société ne s'est pas adaptée à cette véritable révolution qu'a constituée, à partir des années 1960, l'arrivée massive des femmes dans le salariat.
Il aurait fallu tout repenser dès lors que ces "réservoirs de temps" qu'étaient les femmes devenaient plus rares. Il aurait fallu débattre, renouveler les politiques publiques, développer des modes d'accueil des jeunes enfants, en qualité et quantité, revoir radicalement l'organisation du temps de travail (raccourcir la norme de travail à temps complet), impliquer les pères dans la vie familiale...
Comme tout cela s'est fait sans débat, les femmes sont rentrées dans ce monde du travail-là et c'est sur elles que s'est fait l'ajustement : l'arrivée d'un enfant continue de constituer un très fort choc sur l'activité féminine, pas du tout sur l'activité masculine.
La France est très fière de son taux de natalité, mais ce que certains considèrent comme un bienfait public est supporté par les seules femmes en termes de qualité de l'emploi. Et on ne demande qu'à elles qui va garder les enfants...
Pour libérer les femmes, il conviendrait, selon vous, de libérer les hommes d'un modèle viril et patriarcal tout aussi sclérosant. L'horizon serait-il celui d'une double émancipation identitaire ?
J. S. : Nous sommes arrivées à un moment historique décisif : le combat féministe n'est plus un combat des femmes contre les hommes ou des dominés contre les dominants, mais un combat pour unir nos forces contre cet ennemi commun, les assignations de genre.
Face à cette déconstruction de la féminité, certains hommes commencent à s'interroger sur leur propre virilité et sur la nécessité de déconstruire et d'interroger également la masculinité. Si les femmes ne sont pas naturellement vouées à confectionner des tartes aux pommes, alors les hommes ne sont pas naturellement voués à faire la guerre.
De plus en plus d'hommes refusent d'être assignés à cette virilité fictive et autoritaire. Le contexte économique des années 2000 n'est plus celui du golden boy des années 1980. La crise économique aura peut-être au moins eu cette vertu de mettre à mal le modèle unique de l'homme fort, ambitieux et arrogant.
Les femmes doivent aider les hommes à se libérer de ces injonctions d'abord parce qu'elles ont tout à y gagner : ainsi, un homme qui préfère être père au foyer et a la possibilité d'assumer cette préférence permettra, de fait, à la mère de ne pas sacrifier sa carrière professionnelle et d'oeuvrer pour l'égalité des salaires et des responsabilités. C'est mécanique.
Il ne s'agit pas tant de se débarrasser des stéréotypes que de les faire jouer. De ce point de vue, la vie amoureuse, sentimentale et sexuelle, est une question politique. La question du désir dans un couple et la façon dont il se structure est politique parce que les enjeux de désir sont aussi des enjeux de pouvoir.
D. M. : D'après toutes les enquêtes, les activités familiales et domestiques sont très mal réparties et contribuent à arrimer les femmes à leur foyer. C'est donc bien sur les hommes qu'il faut jouer. Prendre au sérieux cette idée consisterait à déspécialiser les rôles, à faire en sorte que les femmes puissent accéder à tous les métiers et tous les emplois et cessent d'être massées dans des emplois dits non qualifiés et mal payés et trop souvent à temps partiel subi.
Cela passe évidemment par un débat de société et sans doute par une reconstruction des normes de genre : les hommes doivent pouvoir s'occuper des enfants autant que les femmes, les femmes doivent pouvoir exercer tous les métiers et accéder à tous les postes.
Cela n'ira pas sans résistances de la part de certains hommes et de certaines femmes et sans une réflexion de fond, plus engagée outre-Atlantique qu'en France - je pense notamment à la philosophe Judith Butler - sur la force des normes qui s'exercent sur nous, dès le plus jeune âge, pour devenir un homme ou une femme.
L'affaire Strauss-Kahn, quelle que soit son issue, a-t-elle permis de faire avancer la cause des femmes ?
J. S. : On a en effet pu entendre des voix féministes s'élever et c'est une bonne nouvelle. Mais cela m'inspire aussi une forme de regret : pourquoi ne les entendons-nous pas autant pour soutenir les caissières de Lidl qui tiennent le piquet de grève tous les dimanches depuis trois ans devant leur supermarché ?
Pourquoi les féministes ne rejoignent-elles pas ces manifestantes alors qu'on sait que la quasi-totalité des emplois précaires et à temps partiel en France sont occupés par des femmes ? Sur cette question du travail, féministes et syndicats devraient unir leurs forces.
J'aimerais qu'on réagisse avec autant de ferveur pour soutenir ces femmes qui mettent en lumière la précarité féminine. Il faut se méfier de la valeur ajoutée médiatique des combats.
D. M. : Cette affaire a mis en lumière la vigueur du féminisme français, la diversité et le renouvellement de ses leaders (en particulier la forte présence des jeunes générations) mais aussi de ses combats et de ses modes d'action. Elle a permis de mettre le projecteur sur des sujets et des associations qui font un travail très important, habituellement trop peu relayé par les médias.
L'association La Barbe existe depuis 2008, Osez le féminisme depuis 2009, le Laboratoire de l'égalité depuis 2010, et on ne les avait pas entendues sur les grands médias jusqu'à présent !
La Barbe dénonce la présence exclusivement masculine dans de nombreux lieux de pouvoir et de débat ; Osez le féminisme aborde des sujets qui vont de l'égalité professionnelle aux violences faites aux femmes ; le Laboratoire de l'égalité, auquel je participe, attire l'attention sur l'égalité professionnelle et est intervenu sur tous les sujets susceptibles d'avoir une influence sur cette question : réforme des retraites, congé parental, temps partiel, service public de la petite enfance, rythmes scolaires... Ces mouvements s'occupent des vrais sujets et ne font pas que réagir à des coups médiatiques comme l'affaire Strauss-Kahn.
Le Laboratoire de l'égalité a soumis aux candidats à l'élection présidentielle de 2012 une charte de l'égalité. Quelles en sont les mesures concrètes ?
D. M. : Le Laboratoire de l'égalité défend l'idée que seule une politique systématique qui se déploie sur le long terme et dans plusieurs domaines à la fois sera efficace. En 2006, Jacques Chirac s'était engagé à ce que l'égalité salariale soit réalisée en 2010. On attend toujours... La dernière loi sur les retraites a intégré un article imposant une sanction financière aux entreprises qui n'auraient pas signé d'accord ou de plan d'action concernant l'égalité salariale. Mais les décrets d'application seront probablement moins stricts.
Depuis vingt ans, les lois ne sont pas appliquées, ou leurs décrets d'application les vident de leur substance. Le Laboratoire propose la suppression des financements des partis politiques qui ne présentent pas 50 % de femmes aux élections, la création sur cinq ans de 500 000 places d'accueil pour les jeunes enfants, la pénalisation du temps partiel subi, le développement de mesures permettant d'impliquer les pères dans la vie familiale, comme un congé paternité obligatoire, et une campagne nationale contre les stéréotypes.
J. S. : Je suis en phase avec la radicalité et le volontarisme de ces propositions. L'avenir du féminisme passe par les hommes, mais surtout par la mixité : s'il faut de la parité à l'Assemblée nationale, il en faut aussi dans les mouvements féministes.
La France est gouvernée par une meute de vieux mâles blancs hétérosexuels. Et je constate que les députés veulent bien s'intéresser au féminisme et défendre les droits des femmes, mais dans certains cas bien précis et pour des motifs douteux, par exemple lors du débat sur la burqa, quand il s'agit de démontrer qu'eux, hommes blancs occidentaux, savent bien traiter leurs femmes, alors que les hommes arabes ne savent que les asservir. Bref, quand il s'agit de se donner le beau rôle.
L'affaire Strauss-Kahn a fait apparaître un débat au sein même du féminisme. Y aurait-il un féminisme à la française, qui permettrait l'asymétrie entre les genres et le jeu de la séduction, et un féminisme outre-Atlantique, qui voudrait déconstruire le genre au point de neutraliser la séduction, l'altérité et l'amour entre hommes et femmes ?
D. M. : Les mouvements féministes sont très divers en France et je ne suis pas sûre que le féminisme à la française existe. La principale question qui se pose à mes yeux aux féministes aujourd'hui est de savoir comment éviter qu'au nom de l'égalité et de la réussite des femmes on ne pousse tous les membres de nos sociétés à devenir exclusivement des travailleurs et des producteurs, oublieux du fait que d'autres activités existent, également très importantes, comme les activités de care, de soins ?
Comment faire pour promouvoir un modèle à "deux apporteurs de revenus et deux apporteurs de soins" dans lequel hommes et femmes accéderaient à la gamme diversifiée des activités humaines : productives, politiques, amoureuses, familiales, au-delà d'une spécialisation anachronique ? Comment éviter que la mise au travail des femmes ne se transforme en seul instrument au service du capitalisme ?
J. S. : On parle beaucoup de séduction hétérosexuelle mais il y a une séduction homosexuelle ! Réduire l'altérité à la différence sexuelle me semble donc une fausse piste. La séduction implique du jeu : jeu au sens de jouer un rôle, mais aussi au sens de marge de manoeuvre.
Il ne s'agit évidemment pas de réglementer ce qui se passe dans les chambres à coucher, mais d'avoir une forme de distance et d'ironie vis-à-vis de son propre genre, pour dédramatiser aussi, ne pas trop prendre au sérieux le fait d'être une femme ou un homme. C'est là que la séduction peut être égalitaire, ou "démocratique", pour reprendre la formule du sociologue Eric Fassin ; c'est une séduction qui respecte l'autre, qui l'entend.
Le véritable enjeu consiste à réinvestir les archétypes et à en jouer. Mon premier mouvement est un mouvement de rejet, qui m'amène à refuser ce que je perçois comme une assignation identitaire, mais dans un deuxième temps, je peux la réinvestir sur un mode ludique, libre, joyeux, conscient.
Faut-il changer le mot de "féminisme" pour inventer ce nouvel âge de l'émancipation ?
D. M. : La philosophe Geneviève Fraisse rappelle que le mot "féminisme" a été utilisé au départ pour désigner la maladie du jeune garçon atteint de tuberculose et ne parvenant pas à atteindre un stade de développement normal... Le sens du mot a changé...
Je pense qu'il faut conserver ce mot, chargé d'histoire, mais que nous devons parvenir une nouvelle fois, ensemble, hommes et femmes, à lui donner une nouvelle signification, plus partagée.
J. S. : Il est en effet triste de constater que le mot "féminisme" sent désormais la naphtaline ou qu'il est assimilé à un mot d'ordre agressif, alors que c'est la réalité imposée aux femmes qui est agressive ! Il me semble pourtant que le féminisme est une cause populaire, qui s'adresse au plus grand nombre.
Des mouvements comme La Barbe ont su faire évoluer l'image des féministes : ces collectifs témoignent du renouveau du militantisme politique dans la jeune génération. Un militantisme affranchi des fonctionnements sclérosants des vieux partis politiques.
Même si je suis convaincue que l'avenir du féminisme tient à la mixité, je reste attachée à ce terme, parce que, malheureusement, les femmes auront toujours besoin du féminisme, elles seront toujours l'objet d'une menace qui tient simplement à leur infériorité physique : ce sont toujours les hommes qui violeront les femmes.
Mais par ailleurs, je suis aussi tentée de me débarrasser de ce mot qui renvoie au temps révolu de la guerre des sexes et qui n'attire plus les foules. Demandons à une boîte de communication de nous trouver un nouveau mot ! Mais surtout, faisons en sorte que le féminisme soit si évident et naturel que le mot même ne s'entendra plus.
Nicolas Truong

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