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jeudi 14 juillet 2011

Street Art...

De Seattle à Melbourne en passant par Paris, le mobilier urbain s’habille de mailles colorées et éphémères. Un phénomène qui s’apparente aux graffs, version laine.
La statue en bronze de Rocky devant le Philadelphia Museum of Art n’était pas du goût de Jessie Hemmons. Trop grande, trop macho, trop piège à touristes… Alors, en avril dernier, cette artiste de 24 ans l’a vandalisée : couverte de tricot rose. Armée d’un escabeau et d’aiguilles à tricoter, Jessie Hemmons a cousu sur le boxeur de cinéma une veste à capuche couleur fuchsia, avec les mots “Go See the Art” [Allez voir les œuvres d’art] brodés sur le devant. Le but : inciter les touristes à entrer dans le musée, que la plupart ignorent, se contentant en général d’une photo avec la statue.
Ce vandalisme artistique, c’est ce qu’elle appelle du “yarn bombing” [qu’on pourrait traduire par “tag au tricot”, ou même “streecot”], adaptant l’expression anglaise “tag bombing”. “Le ‘street art’ et le graff sont des univers très masculins, rappelle Jessie Hemmons. Le ‘streecot’, c’est plus féminin. Genre graff avec des pulls de mamie.” Le yarn bombing, c’est un artisanat on ne peut plus féminin (le tricot) et un geste on ne peut plus maternel (envelopper quelque chose de froid dans une douillette couverture), déplacés dans les jungles de béton et d’acier de nos paysages urbains. Bouches d’incendie, réverbères, boîtes aux lettres, vélos, voitures, et même des objets aussi imposants que des bus et des ponts se sont fait emmailloter ces dernières années. La nuit le plus souvent.
En douceur toujours 
Le phénomène est mondial, et les vandales de la maille affichent leurs œuvres moelleuses et chamarrées en Europe, en Asie et ailleurs. A Paris, une tricoteuse invétérée a comblé les fissures des trottoirs à l’aide d’ouvrages aux belles couleurs. A Denver, la Ladies Fancywork Society a revêtu de pièces au crochet des troncs d’arbres, des bancs publics et des cabines téléphoniques. Seattle a le collectif YarnCore (“Hardcore Chicks with Sharp Sticks” [Des dures-à-cuire aux aiguilles acérées]) et Stockholm, un bataillon du tricot baptisé Masquerade. A Londres, c’est Knit the City [Tricote la ville], qui “streecote” sur les fontaines et les grilles. Et à Melbourne, en Australie, une artiste du nom de Bali s’emploie à réchauffer parcs à vélos et arrêts de bus. Pour immortaliser leurs œuvres éphémères (ces pièces fragiles s’effilochent en quelques semaines) et les montrer, les yarn bombers réalisent des photos et des films, qui sont diffusés sur la blogosphère, les réseaux sociaux et des sites Internet.
Parfois surnommé “graff de mamie”, le mouvement a pris son envol en 2009 grâce à un manifeste, le livre Yarn bombing : The Art of Crochet and Knit Graffiti, de Mandy Moore et Leanne Prain, deux tricoteuses canadiennes de Vancouver. Un ouvrage qui est à la fois un beau livre, avec ses photos en couleurs de “graffs” originaux, et un manuel pour les amateurs, avec des conseils pratiques (s’habiller en “noir ninja” pour éviter de se faire prendre, par exemple). Yarn bombing emprunte au jargon du graff et présente, mi-figue mi-raisin, le “graff au tricot” comme une échappatoire illégale pour tous les accros du tricot qui en ont ras la pelote de faire des pulls Jacquard pour Noël. Il invite ses lecteurs à lever leur popotin de leur rocking-chair pour “reprendre les aiguilles”.

Une diffusion mondiale 
Depuis sa parution, Leanne Prain dit recevoir chaque semaine des dizaines de courriels de yarn bombers du monde entier, de Russie, du Maroc ou de l’Iran. Le mois d’avril a été particulièrement chargé, une tricoteuse canadienne ayant décidé sur Facebook de faire du 11 juin la Journée internationale du yarn bombing. Trois équipes de cinéma l’ont contactée en vue de réaliser des documentaires sur cette nouvelle pratique du “street art”, et plusieurs étudiants souhaitant faire une thèse sur le sujet lui ont écrit.
Ils ont été nombreux aussi à contacter Magda Sayeg, une Texane de 37 ans, largement considérée comme la mère du yarn bombing. Dans ses souvenirs, tout a commencé en 2005, par une journée un peu trop calme dans sa boutique de Houston. Pour s’amuser, elle a décidé de tricoter une housse rose et bleu pour la poignée de la porte du magasin – une création qu’elle a depuis rebaptisée l’“alpha”. Les passants s’arrêtaient pour regarder la poignée et, visiblement, adoraient cette idée. “Des gens sortaient de leur voiture juste pour regarder !” Magda Sayeg s’est ensuite lancée dans la confection d’une sorte de jambière pour un panneau de stop dans sa rue. Et, peu à peu, ses tricots ont envahi Houston. En quelques années, elle avait rhabillé des dizaines de réverbères et de panneaux de stop, et réuni une équipe de “streecoteurs” au sein de Knitta Please. Rapidement, elle a reçu des commandes pour des projets plus importants. Les clichés de ses œuvres se sont multipliés sur la Toile, incitant d’autres amateurs de tricot à rejoindre cette nouvelle école artistique.
Artisanal mais illégal 
Le yarn bombing s’inscrit dans le mouvement plus large du fait-main [do it yourself], qui redonne vie à des artisanats traditionnels “souvent associés aux grands-mères, comme le tricot, les conserves, le jardinage, ou même l’élevage de poules”, explique Annette DiMeo Carlozzi, conservatrice au Blanton Museum of Art d’Austin (Texas). En mars, le musée a commandé à Magda Sayeg des tricots pour 99 arbres devant ses locaux.
“Cette résurgence de l’artisanat est visible aussi dans l’art, poursuit Annette Carlozzi. Cela explique en partie le succès du yarn bombing : une juxtaposition étonnante, avec des réalisations artisanales, très personnelles, reposant exclusivement sur le travail manuel, installées dans un environnement urbain et industriel.”
Pourtant, la tendance ne fait pas l’unanimité chez les artistes qui travaillent sur la maille. “Je ne suis pas une yarn bomber, je suis une artiste”, insiste Agata Oleksiak, une New-Yorkaise de 33 ans qui pare êtres humains, vélos et piscines de pièces au crochet aux couleurs flashy depuis 2003. Lors du réveillon de Noël dernier, Olek, comme elle préfère qu’on l’appelle, a couvert la célèbre statue du “Charging Bull” [taureau représentant la vitalité de la Bourse], près de Wall Street, d’un habit de lumière rose et violet. “Et je n’aime pas du tout qu’on parle de yarn bombing pour mon taureau.”
Pour Olek, dont le travail est exposé dans des musées et galeries du monde entier, le “streecot” n’est que le travail banal d’amateurs et d’exhibitionnistes. “Tout le monde ou presque a une tante ou une grand-mère qui font de la peinture, poursuit-elle. Est-ce qu’on a envie de les voir dans des musées ? Non ! Or la rue est un prolongement du musée. Tout le monde ne mérite pas d’être exposé au public.” Que le yarn bombing soit le fait d’artistes ou de tricoteurs habiles, la loi, elle, ne s’embarrasse pas de détails : c’est du vandalisme ou de l’abandon de détritus. La police, cependant, semble adopter une certaine tolérance. Les “streecoteurs” disent avoir rarement maille à partir avec les autorités. Et les rares fois où ils sont interrompus dans leurs installations, les agents sont plus enclins à rire qu’à verbaliser.
Leanne Prain a voulu un jour habiller un panneau de signalisation devant le siège du FBI, à Washington. Un vigile en gilet pare-balles l’a alors approchée, raconte-t-elle, pour lui demander d’arrêter immédiatement : “Allez donc tricoter ailleurs, m’dame.” Pas de doute, le yarn bombing connaît aujourd’hui son heure de gloire au sein de la pop culture. Des entreprises du Fortune 500 déboursent pas moins de 20 000 dollars [14 000 euros] pour que Magda Sayeg emballe leurs produits. A Noël dernier, Toyota l’a ainsi chargée, pour une publicité, de tricoter un pull pour une Prius. Les fabricants de la Smart l’ont envoyée à Rome pour emmitoufler une voiture dans des plaids très seventies et une commande du même genre vient de lui être passée par Mini Cooper.
Magda Sayeg est si occupée qu’elle a fermé sa boutique en 2009, déménagé à Austin et fait de son passe-temps un travail à plein temps. Aujourd’hui, elle a même cinq assistants tricoteurs, et ne confectionne plus ses œuvres aux aiguilles, mais sur des métiers à tisser, afin de pouvoir satisfaire la demande. “Les premières années, je m’identifiais complètement aux graffeurs qui vivent dans l’ombre, se souvient-elle. Aujourd’hui, ce sont ceux-là mêmes avec qui je craignais d’avoir des ennuis qui viennent me chercher.”
APL

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