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samedi 23 juillet 2011

Eloge de la Folie d' Erasme à Foucault....(4)


Histoire de l’ histoire de la Folie
Folie (IV) Chapitre XL, Eloge de la folie d’Erasme
Vous trouverez ci-dessous un plan détaillé du commentaire littéraire du chapitre XL de l’Eloge de la folie d’Erasme, rédigé par J. Cuvillier, professeur de français.
Texte : L’Eloge de la folie, chapitre XL intégral
I. La critique de la folie humaine
Cet extrait de l’Eloge de la Folie est l’occasion de pointer du doigt un des travers majeurs de l’humanité qui est sa crédulité et sa facilité à croire toutes sortes de superstitions et autres fables, c’est qu’Erasme critique ici, mais cette critique se veut plus profonde et nous verrons ensuite qu’il s’agit surtout de mettre en cause la religion qui se sert de cette faiblesse humaine « pour son plaisir ou son profit ».
1. Se placer du point de vue de la folie
Dans l’Eloge de la folie, Erasme choisit de donner la parole à celle-ci, et s’efface derrière elle. C’est le cas ici : « voici un genre d’hommes qui, sans aucun doute, est tout à fait de notre farine » (le déterminant possessif renvoyant à la folie elle-même).
La folie est donc personnifiée car présentée sous des traits humains, du fait notamment que c’est elle qui parle.
Le choix de cette instance narrative permet une mise à distance, un ton critique et l’exclusion du narrateur de cette crédulité puisqu’il ne s’agit pas d’un membre de la communauté humaines, comme le rappelle l’utilisation du « ils » : « ils aperçoivent », «s’ils n’adorent », « ils ne mourront pas » et du « on » qui vise un vaste ensemble duquel le narrateur reste exclu : « on salue », « on reviendra », « on rend visite ». De même cette mise à distance est réactivée par les occurrences du pronom démonstratif : « ceux » (« ceux qui se bercent », « ceux qui s’appuient »…).
Choisir la folie permet donc d’avoir un point de vue distant et critique sur les actions des hommes.
En même temps, il est intéressant de voir que la masque de la folie derrière lequel se tient l’auteur semble s’effacer à la fin du texte pour laisser entendre la voix de l’auteur et son indignation, car lorsqu’il utilise un registre polémique et marque l’implication du narrateur, nous sommes en droit de nous demander si le narrateur est toujours la folie ici : « Et de pareilles folies, si folles qu’elle me font presque honte, sont approuvées non seulement du vulgaire mais de ceux qui enseignent la religion ».
2. Le portrait de l’homme crédule
Comme le narrateur ne fait pas partie de l’humanité, il peut à loisir faire le portrait d’une catégorie d’homme, celle des hommes crédules, naïfs, cible potentielle pour les charlatans et… la religion.
Apparition d’un lexique du monstrueux dans une énumération : « fables », « histoires monstrueuses », « spectres », « lémures », « larves », « enfers », « merveilles ».
Portrait d’homme recherchant les « fables » pour se distraire : « plus elles s’éloignent de la vérité, plus sont agréables les démangeaisons dont elles chatouillent les oreilles » : cette phrase souligne que le plaisir est proportionnel à l’éloignement de la vérité. Il présente les fables comme de parfaites inepties puisqu’elles n’atteignent pas l’esprit mais se contentent de « chatouiller » « les oreilles » : signe de superficialité, d’éphémère. De même, « cela sert à merveille (…) à soulager l’ennui des heures ».
Volonté de viser l’ensemble le plus vaste comme nous l’avons vu avec le choix de « ils », « on » et « ceux » mais également de donner corps à cette humanité en particularisant cette humanité à travers des exemples plus précis : « Ici, disons un commerçant ou un soldat, ou un juge », exemples précis mais qui montrent aussi qu’aucune catégorie sociale n’est exclue et que toutes peuvent être victime de ce fléau.
L’homme est crédule aussi parce qu’il y a été culturellement préparé, c’est du moins ce qui semble être suggéré par les références à la mythologies, autres « fables » qui bercent l’enfance des hommes, par exemple : « Polyphème » qui d’ailleurs est la représentation de St Christophe sous les traits d’un personnage de la mythologie grecque, les mythes, les superstitions, les religions se confondent ; « Hercule », « le marais de Lerne ».
3. Les manifestations de cette naïveté
Une fois le portrait de l’homme naïf, il s’agit d’illustrer cette crédulité par des exemples, et ceux-ci ne manquent pas car Erasme en profite pour prendre des cas concrets comme point de départ pour une critique plus ciblée, comme nous le verrons ensuite. La recherche du plaisir : Insistance sur le plaisir qui doit amener à la crédulité : l’homme est faible, il se laisse entraîner par ce qui semble agréable : sont « agréables les démangeaisons dont elles [les « fables »] chatouillent les oreilles ». Il revient sur cette idée qui semble nuancer son propos : « les gens qui nourrissent la folle conviction, cependant bien agréable ».
Volonté d’être concret par la multiplication d’exemples, et l’association de saint aux « miracles » qu’ils sont censés accomplir : « s’ils aperçoivent un Polyphème, (…) ils ne mourront pas dans la journée… » (le choix de l’hypothétique n’est à ce titre anodin puisqu’il permet de ne pas utiliser de connecteur entre les deux proposition signifiant ainsi l’absence de lien logique entre les 2 actions même si elles sont associées.
De même, il utilise des énumérations et des renchérissements : « tant de parjures, tant de débauches, tant d’ivrogneries, tant de rixes, tant de meurtres, tant d’impostures, tant de perfidies, tant de trahisons »(énumération)/ « non seulement à soulager l’ennui des heures, mais aussi à procurer quelque profit, surtout pour les prêtres et les prédicateurs » ou « sont approuvées non seulement du vulgaire mais de ceux qui enseignent la religion » (renchérissement).
II. La dénonciation de la religion
Si la critique de la crédulité humaine se fait de façon légère, la dénonciation de la religion qui est faite doit être considérée avec plus de sérieux, car les religieux manipulent le peuple, eux, étant plus instruits, ils encouragent l’absence de sens critique du peuple pour mieux le posséder et en tirer profit.
1. L’hypocrisie : un repentir de façade
La première critique mise en relief par le texte est le fait que la religion chrétienne favorise un repentir apparent, de façade, totalement disproportionné vis-à-vis des fautes qu’il est supposé racheter.
Disproportion entre les attentes et les efforts : « ceux qui s’appuient sur certaines petites formules ou prières magiques qu’un pieux imposteur a inventées pour son plaisir ou son profit, et s’en promettent tout : richesses, honneurs, plaisirs, abondance, santé toujours florissante, très longue vie, verte vieillesses, et pour finir une place auprès du Christ, mais le plus tard possible, quand les voluptés de cette vie les abandonneront, malgré leurs efforts opiniâtres pour les retenir, et céderont la place aux délices célestes ». Ton ironique, présence d’oppositions : longueur excessive de la 2ème partie de la phrase faisant état des attentes, par rapport aux efforts déjà minimisés par une caractérisation péjorative (« petites », « magiques », ou l’oxymore ironique : « pieux imposteur »). Au contraire, les attentes sont amplifiées par le pronom indéfini « tout », l’énumération qui suit, l’utilisation de pluriels, la multiplication d’adjectifs mélioratifs et qui donne l’impression que le phrase qui devrait être terminée ne cesse d’être rallongée. On trouve le même procédé à l’inverse quelques lignes plus loin, cette fois c’est l’énumération de méfaits qui s’oppose au faible investissement qui doit les effacer : « estime que tant de parjures, tant de débauches, tant d’ivrogneries, tant de rixes, tant de meurtres, tant d’impostures, tant de perfidies, tant de trahisons sont rachetés comme par un comme par un contrat, et si bien rachetés qu’il peut maintenant repartir à neuf pour un nouveau cycle de crimes ».
La disproportion entre les crimes et les actes de repentir permettant soit- disant le pardon est mise en avant par le choix des métaphores utilisées : « s’imagine, avec une petite pièce de monnaie prélevée sur ses rapines, avoir purifié d’un seul coup ce marais de Lerne qu’est sa vie » (métaphore : vie comparée à un marais malsain, celui où vivait l’hydre de Lerne mythologique tué par Hercule).
2. La religion chrétienne mise sur le même plan que les croyances irrationnelles et les superstitions
La religion est progressivement mise en cause au sein même des exemples.
Habile transition entre de véritables superstitions et des pratiques chrétiennes ce qui implicitement les place sur le même plan : on passe ainsi insensiblement de ceux qui adorent le cheval de Saint Hippolyte, sorte de paroxysme dans l’énumération d’exemples de croyances populaires à ceux qui comptent avec précision la durée de leur séjour au Purgatoire (ce qui n’est pas encore tout à fait une pratique chrétienne) aux prières prononcées pour demander le pardon du seigneur. On voit donc comment Erasme a réussi à faire des rites religieux une manifestation supplémentaire de la croyance des hommes dans des superstitions.
D’ailleurs le sens critique du lecteur est déjà sollicité lors des différents exemples, il devra donc se méfier vis-à-vis de ce qui lui est relaté : la répétition de « certains » marquant justement le caractère incertain de ce genre de croyances est un indice du fait qu’il faut rester vigilant : « si on rend visite à saint Erasme (ironie), certains jours, avec certains petits cierges, certaines petites prières, on deviendra bientôt riche ».
De même, il souligne la « magie » qu’il associe depuis le début du texte à la religion lorsqu’il dit : « tant de parjures, tant de débauches, tant d’ivrogneries, tant de rixes, tant de meurtres, tant d’impostures, tant de perfidies, tant de trahisons sont rachetés comme par un comme par un contrat, et si bien rachetés qu’il peut maintenant repartir à neuf pour un nouveau cycle de crimes ». Il présente ainsi la prière comme un moyen « magique » d’effacer les pêchés sans efforts autre que « certaines petites formules ou prières magiques » ou des « petits versets magiques » (la réutilisation de « certaines » doit donc éveiller la méfiance du lecteur et servir d’indice pour repérer l’ironie du texte).
3. Une véritable remise en cause de la religion
La critique de la religion qui est le véritable but d’Erasme derrière sa réflexion sur la crédulité des hommes est rapidement mise en valeur dès le premier paragraphe de ce chapitre, il a pris soin de d’abord nous entraîner dans son raisonnement avant de nous livrer l’idée majeure qu’il voulait nous exposer, elle s’impose donc à la fin du paragraphe, comme in extremis (« D’ailleurs »), tout en étant valorisée par « non seulement… mais aussi », avec l’utilisation de l’adverbe « surtout » qui met déjà en cause les hommes de religion : « cela sert à merveille non seulement à soulager l’ennui des heures, mais aussi à procurer quelque profit (euphémisme), surtout pour les prêtres et les prédicateurs » (renchérissement pour mettre en relief).
Erasme ne laisse rien au hasard dans ce texte car il s’agit de dénoncer efficacement la religion et pour se faire derrière le ton parfois léger et anecdotique que prend le texte, on trouve un discours très construit : présence de connecteurs logiques (« Par contre », « D’ailleurs », « Or », « De même », « Et maintenant »).
L’implication du narrateur à la fin du texte qui ne parait plus contrôler sa colère et utilise un registre polémique et condamne les pratiques religieuses avec virulence : présence de questions oratoires pour affirmer ce dont il semble douter, il redouble ainsi son attaque contre ceux qui se servent des faiblesses humaines à leur profit : « Et quoi de plus fou, que dis-je ? quoi de plus heureux que ceux qui, pour avoir récité chaque jour sept petits versets des Psaumes sacrés se promettent la félicité suprême, et au-delà ? », implication du narrateur : « Et de pareilles folies, si folles qu’elle me font presque honte, sont approuvées non seulement du vulgaire mais de ceux qui enseignent la religion ». C’est l’idée maîtresse du texte, il est excusable que le « vulgaire », celui qui n’est pas instruit, puisse se laisser entraîner dans ce genre de fables, ce qui est intolérable, c’est que des hommes d’églises, instruits, se servent de cette faiblesse humaine à leur profit. Il termine en pointant du doigt une pratique qui met en cause l’humanité dans son entité, car « est-ce que ce n’est pas à peu près la même chose quand chaque pays revendique pour lui-même un saint particulier (…) » ? La crédulité et la manipulation sont en effet deux concepts universels.
Conclusion
Sous couvert de se moquer avec légèreté des travers de l’humanité, Erasme met en place un discours particulièrement travaillé pour véritablement remettre en question la religion et ses principes, ce qui était particulièrement audacieux au seizième siècle.
Le texte :
Je reconnais authentiquement de notre farine ceux qui se plaisent à écouter ou à conter de mensongères et monstrueuses histoires de miracles. Ils ne se lassent point d’entendre ces fables énormes sur les fantômes, lémures et revenants, sur les esprits de l’Enfer et mille prodiges de ce genre. Plus le fait est invraisemblable, plus ils s’empressent d’y croire et s’en chatouillent agréablement les oreilles. Ces récits, d’ailleurs, ne servent pas seulement à charmer l’ennui des heures ; ils produisent quelque profit, et tout au bénéfice des prêtres et des prédicateurs.
Bien voisins sont les gens qui, par une folle mais douce persuasion, se figurent que la rencontre d’une statue ou d’une peinture de ce Polyphème de saint Christophe les assure de ne point mourir dans la journée, ceux qui adressent à sainte Barbe sculptée les paroles prescrites qui font revenir sain et sauf de la bataille, ceux qui s’adressent à saint Érasme à certains jours, avec certains petits cierges et certaines petites prières, convaincus qu’ils feront fortune promptement. De même qu’il y a pour eux un second Hippolyte, ils ont trouvé en saint Georges un autre Hercule. Ils en sont presque à adorer son cheval très dévotement caparaçonné et adorné ; de petits présents gagnent ses faveurs et jurer par son casque d’airain est un vrai serment de roi.
Que dirai-je de celui qui se flatte délicieusement d’obtenir pour ses crimes des pardons imaginaires, mesure comme à la clepsydre la durée du Purgatoire, et s’en fait une table mathématique infaillible de siècles, années, mois, jours et heures ? ou de qui se nourrit de formules magiques et d’oraisons inventées par un pieux imposteur, vaniteux ou avide, et qui s’en promet tout, richesses, honneurs, plaisirs, abondance, santé toujours solide, verte vieillesse et, pour finir, un siège au Paradis, auprès du Christ ! Encore ne veulent-ils s’y asseoir que le plus tard possible, quand les voluptés de cette vie, auxquelles ils se cramponnent, les abandonneront malgré eux et qu’ils devront se contenter de celles du Ciel. Voyez donc ce marchand, ce soldat, ce juge, qui, sur tant de rapines, prélèvent un peu de monnaie et s’imaginent, en l’offrant, purifier d’un seul coup le marais de Lerne qu’est leur vie, racheter par un simple pacte tant de parjures, de débauches, d’ivrogneries, de rixes, de meurtres, d’impostures, de perfidies et de trahisons, rachat si parfait, croient-ils, qu’ils pourront librement recommencer ensuite la série de leurs scélératesses.
Quoi de plus fou, que dis-je ? Quoi de plus heureux que ces autres qui récitent quotidiennement sept petits versets du saint Psautier et s’en promettent la félicité des élus ! Or, ces petits versets magiques, un certain diable, par facétie, les aurait indiqués à saint Bernard, étant au reste plus étourdi que malin, puisqu’il fut pris à son propre piège. Et de pareilles folies, dont j’ai moi-même presque honte, ce n’est pas seulement le vulgaire qui les approuve, ce sont aussi des professeurs de religion.
Inspiré du même esprit, chaque pays réclame pour son usage un saint particulier. Il lui confère des attributions propres, établit ses rites distincts. Il en faut un pour guérir le mal de dents, un autre pour délivrer les femmes en couches ; il y a celui qui retrouve les objets volés, celui qui apparaît au naufragé et le sauve, celui qui protège les troupeaux, et ainsi des autres, car l’énumération n’en finirait pas. Certains cumulent les pouvoirs, particulièrement la Vierge mère de Dieu, à qui le commun des hommes en attribue presque plus qu’à son Fils.
Chapitre XL, Eloge de la folie, Erasme (1466 – 1536)
Texte intégral

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