"J'ai deux amours, mes paysans et l'environnement"
N'en déplaise aux tenants de l'agriculture productiviste, on peut aimer les paysans et l'environnement. Mieux, on se doit d'aimer les deux. Nos agriculteurs souffrent, leur désarroi est palpable, leur mécontentement aussi. Ils en ont assez d'être traités de pollueurs. Marre de gagner des misères pour un travail harassant. Ils ont peur aussi, car voilà des années que leur syndicat majoritaire, la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA) les a livrés aux marchés mondialisés.
Des décennies qu'on leur demande de produire toujours plus, pour toujours moins cher. Ils le font sans rechigner et remplissent ce cahier des charges absurde, signant ainsi leur arrêt de mort. En quarante ans, on a divisé le nombre de porcheries par cinquante et augmenté le cheptel par deux. Pas suffisant. Il y a toujours trop d'hommes dans les campagnes de France aux yeux des donneurs d'ordre industriels, et ils sont toujours trop chers par rapport à leurs compétiteurs du monde entier. Il ne resterait qu'un éleveur, il serait de trop.
Comment penser que l'on remportera cette course délirante au productivisme pour le plus bas coût ? C'est pourtant ce pari fou que le syndicat majoritaire et les pouvoirs publics ont demandé aux agriculteurs de relever. Ils portent la responsabilité du malaise paysan. Ils refusent cependant de l'admettre, préférant accuser les consommateurs, les "écolos", les journalistes. Et balayer toute critique d'un revers de main. Parler des algues vertes en Bretagne à Christiane Lambert, vice-présidente de la FNSEA, elle accusera les lessives. De l'horreur de l'élevage concentrationnaire engendrant une prise massive d'antibiotiques, elle rétorquera que ces bâtiments surchauffés permettent de protéger les petits cochons des coups de soleil… Avancez les 78 000 tonnes de molécules actives déversées chaque année dans nos champs, déplorez notre sinistre position de recordman européen de consommation de pesticides, elle répondra petites coccinelles et production intégrée. Niant sans cesse la réalité des faits. Une réalité qu'elle connaît pourtant mieux que personne puisqu'elle a contribué à la construire.
Oui, 96 % des points de surveillance installés dans les eaux de surface sont pollués par les pesticides. Oui, nous devons gérer 8 à 10 millions de tonnes de lisier chaque année. Oui, nos porcs avalent la moitié des antibiotiques vétérinaires de France. Et oui, la plupart de nos pommiers reçoivent vingt-six traitements par an. Et, tout cela a un impact désastreux sur la santé des agriculteurs et la nôtre, sur notre environnement et même sur les finances de nos paysans. Mais au lieu de faire marche arrière, de mettre de l'argent dans l'agriculture respectueuse des hommes et de la nature, on continue dans cette folle course en avant.
ERREUR
Aujourd'hui, les céréales sont au plus haut et les éleveurs ne s'en sortent plus. Que faire ? Remettre les vaches dans les prés ? Faire en sorte que céréaliers et éleveurs préfèrent leur terroir au marché ? Non. On va augmenter les prix à la vente et faire payer la facture au consommateur. Après les subventions agricoles, la dépollution de l'eau, le coût de la santé publique, nous allons régler l'ardoise laissée par les "traders" agricoles, qui boursicotent sur les cours des céréales. Comme nous avons déjà payé celle des banquiers. De la même façon, nous ne moraliserons pas notre agriculture.
Nous allons signer un chèque en blanc, sans même demander que cet effort consenti par le consommateur soit lié à une amélioration de la qualité des produits. Nous serions tous prêts à payer pour une nourriture plus respectueuse de l'homme et de l'environnement. Heureux de pouvoir contribuer à l'amélioration de notre santé et à la construction de notre futur. Au lieu de cela, on nous demande d'éponger les dettes d'un système absurde qui finira par avoir raison de nos agriculteurs et de notre santé. Cherchez l'erreur.
Isabelle Saporta, journaliste
Isabelle Saporta, auteur du Livre noir de l'agriculture (Fayard, 2011).
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