Primaire socialiste : pourquoi la droite s'énerve ?
Il y a peu encore, la droite se frottait ouvertement les mains : la "primaire" instituée par le Parti socialiste pour choisir son candidat à la prochaine élection présidentielle avait tant de chances de tourner à la foire d'empoigne, voire au jeu de massacre, que le président de la République en tirerait, forcément, le plus grand bénéfice.
Il faut croire qu'elle a changé d'avis, tant elle a changé de ton. Elle se gaussait de ce "casino des ambitions" où les caciques socialistes s'apprêtent à miser leur chemise ; elle dénonce aujourd'hui la grave menace que ferait peser cette consultation populaire sur les libertés publiques, soit en autorisant le "fichage" de ceux qui y participeront, soit en permettant le repérage de ceux qui n'y participeront pas.
Peu lui importe que cette procédure soit ouverte à des électeurs, adultes et volontaires. Peu lui importe que la Commission nationale informatique et libertés et la Commission nationale des comptes de campagne aient validé la légalité du dispositif. Certes, dira-t-on, on ne fait pas tous les jours de la politique en gants blancs. C'est même plutôt rare. Mais au-delà de la manoeuvre engagée par l'Elysée (par l'entremise de Franck Louvrier, conseiller du président), développée par l'UMP et son secrétaire général, Jean-François Copé, et relayée par plusieurs ministres, dont celui de l'intérieur, pour embarrasser le PS, il faut croire que cette primaire socialiste finit par inquiéter le pouvoir.
Trois raisons peuvent expliquer cette crispation. La première est la situation décidément peu encourageante du chef de l'Etat. Pour résumer, il plafonne à un niveau très bas. C'est vrai en termes de popularité, puisque les sondages les plus favorables lui permettent à peine de passer la barre des 30 %. Cela ne l'est pas moins en termes d'intentions de vote : en le situant à 19 % au premier tour, quel que soit son adversaire socialiste, la dernière enquête d'Ipsos pour Le Monde a fait l'effet d'une douche très froide à l'Elysée.
Nicolas Sarkozy n'a donc tiré aucun profit de l'affaire Strauss-Kahn et de l'éventuel discrédit qui aurait pu déteindre sur les socialistes. Quant au travail méthodique engagé depuis des mois pour corriger et apaiser son image, il semble pour l'heure sans effet sur l'opinion lourdement négative que les Français ont de lui.
La deuxième cause de nervosité dans le camp présidentiel est qu'en matière de dispersion, voire de division, la droite n'est pas en reste. En effet, en officialisant, dimanche à Epinay-sur-Seine, la naissance de l'"Alliance" des centres et en réaffirmant sa détermination à en être le candidat en 2012, Jean-Louis Borloo n'y a pas été de main morte. Bien sûr, il a brocardé "un PS dépassé par les enjeux du XXIe siècle". Mais il n'a pas été plus tendre pour "une UMP qui s'est rétrécie" et est "incapable d'entrer dans l'action". Avant d'ajouter, dans une philippique dont on voit mal à qui elle s'adresse, sinon au chef de l'Etat : "J'en ai marre de la politique de dénonciation de l'autre et de la politique spectacle." L'histoire est sans doute loin d'être écrite, mais c'est bien une primaire - sauvage, celle-là - qui, chaque semaine un peu plus, se dessine à droite. Sans oublier François Bayrou qui attend son heure.
Reste, enfin, la primaire socialiste elle-même et la menace qu'elle peut constituer pour le président sortant. Rien ne dit, à ce stade, que cette procédure inédite deviendra une redoutable machine de guerre. Mais rien ne dit, non plus, le contraire.
Elle demeure, en effet, le symptôme de la crise de leadership que connaît la gauche depuis dix ans. Olivier Ferrand, président de Terra Nova et "père" de cette primaire avec Arnaud Montebourg, peut bien faire une brillante démonstration, comme ce week-end à la Fête de la rose de la fédération de Seine-et-Marne, à Chelles ; il peut voir dans cette consultation ouverte aux citoyens une grande "avancée démocratique" par rapport à la primaire militante élargie de 2006, à la primaire étroitement militante de 1995 et plus encore par rapport à la désignation en vase clos de François Mitterrand en 1981. Il n'empêche, cette primaire atteste qu'aucun candidat "naturel" ne s'est imposé depuis l'échec de Lionel Jospin en 2002.
En outre, comme toute compétition pour le pouvoir, cette procédure de désignation du champion des socialistes présente évidemment le risque, à six mois de la présidentielle, de mettre dangereusement en scène les rivalités et les divisions entre les postulants. Les rancoeurs, les rancunes, les détestations même ont assez plombé, depuis longtemps, la vie du PS pour que ce soit exclu. C'est un euphémisme !
Tous les candidats à la candidature le savent cependant : ils n'ont pas le droit à l'erreur ; le "peuple de gauche", et au-delà les Français, ne le leur pardonnerait pas, du moins à cette génération de dirigeants. Il leur faudra donc se différencier et se distinguer assez pour s'imposer, sans hypothéquer pour autant la dynamique collective indispensable pour espérer l'emporter en 2012. S'ils y parviennent, la droite aura effectivement du souci à se faire.
Dans l'immédiat, il revient à Martine Aubry d'y contribuer puisqu'elle s'apprête à annoncer sa candidature, après Ségolène Royal, François Hollande, Arnaud Montebourg et Manuel Valls. Sa solide expérience ministérielle dans les années 1990, sa réussite municipale à Lille depuis, sa légitimité actuelle de première secrétaire du PS, le projet socialiste qu'elle a su fédérer, enfin les liens tissés avec les autres composantes de la gauche, et en particulier les écologistes, sont d'indéniables atouts.
Il lui reste à se hisser au-dessus de tout cela et à démontrer qu'elle saura parler à la France de la France, lui "donner une vision de son avenir et montrer le chemin pour s'en approcher", pour reprendre sa définition de la politique (Et si on se retrouvait, L'Aube, 2008). L'histoire démontre que c'est la condition indispensable pour convaincre les Français. Elle témoigne, tout aussi sûrement, que ce n'est pas donné à tout le monde.
Gérard Courtois
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