« Donnons le droit de vote à 16 ans, ou retirons-le aux vieux »
A 16 ans on peut travailler, être jugé, payer des impôts… Et pourquoi pas voter ? Entretien avec le sociologue Julien Damon.
Le sociologue Julien Damon, professeur associé à Sciences Po, s'est fait connaître comme spécialiste des questions sociales. Il est ensuite devenu expert des questions urbaines. Voici qu'il se passionne pour l'insertion politique des jeunes.
A un an de l'élection présidentielle, voyez-vous émerger un « candidat des jeunes » ?
Non. Pour l'instant, un seul point est clair : on entend régulièrement scander « la jeunesse emmerde le Front national », mais une partie croissante de cette jeunesse semble prête à donner sa voix à Marine Le Pen. Pour une élection présidentielle, c'est assez nouveau.
Comment expliquer l'apparente moindre défiance des jeunes vis-à-vis du vote FN ?
Une partie de la jeunesse entend que Marine Le Pen lui propose, contre la précarité et l'insécurité sociale, des solutions radicales. Je ne suis pas sûr qu'il faille chercher d'autres explications.
Les autres partis répondent-ils à cette demande de radicalité ? Quels signaux envoient-ils à l'électorat jeune ?
Le PS nous ressort les emplois jeunes. C'est un signal. Mais il a quinze ans. Quoi d'autre ? François Hollande et Rama Yade se sont précipités dans les studios de Skyrock : on se serait crus aux Guignols ! C'est comme quand Jack Lang se réjouit d'être si populaire dans les rangs de la jeunesse… Cela n'a pas de sens politique. Ce qui s'est joué à Skyrock, c'était un conflit capitalistique, pas l'avenir de la jeunesse de France.
Trouvez-vous le rapport des politiques aux jeunes essentiellement cynique ?
Pas du tout. Depuis le milieu des années 90 et le Comité consultatif de la jeunesse qu'avait mis en place Edouard Balladur, on en est à peu près à un nouveau rapport tous les deux ans.
A chaque fois, des politiques consultent, l'espoir d'une nouvelle dynamique prend corps, mais cela ne débouche jamais sur la moindre transformation d'envergure. Pourtant, pour avoir participé à quelques unes de ces consultations, je peux témoigner du fait que les responsables politiques croient vraiment pouvoir faire quelque chose…
Mais ?
Mais les administrations s'en mêlent et bloquent tout, au nom du coût politique et économique de ces mesures. La France est un pays très conservateur. Il faudrait que tout le monde prenne conscience du fait qu'il s'agit d'une question de Justice, ce concept avec un grand J que tout le monde chérit : la justice générationnelle.
La jeunesse est la catégorie la plus défavorisée pour l'emploi, le logement, la protection sociale. Notre société n'a rien à gagner à rester à ce point déséquilibrée.
Pour rééquilibrer notre société en faveur de la jeunesse, quelles mesures concrètes préconisez-vous ?
Une dotation en capital pour tous les jeunes serait intéressante à mettre en œuvre. Plutôt que de disperser des sommes colossales dans des fonds d'aides aux jeunes, dans les missions locales, dans des prestations sociales versées à leurs parents, distribuons cet argent directement aux jeunes.
Sans dépenser plus qu'aujourd'hui, on pourrait verser au moins 10 000 euros à chacun des 800 000 jeunes d'une classe d'âge. Et d'un seul coup. En donnant de l'argent mensuellement à quelqu'un, vous changez sa vie quotidienne ; mais en installant chaque adolescent dans l'idée qu'il touchera un capital conséquent à sa majorité, vous changez sa vie.
C'est une proposition radicale. Aux sceptiques, rappelons qu'en 1945 personne ne croyait qu'on arriverait à bâtir un tel système de sécurité sociale, d'assurance maladie et d'assurance retraite. C'est d'un sursaut comparable dont la France a besoin.
Comment donner plus de poids aux volontés politiques qui sont favorables aux jeunes ?
Avec une mesure qui a l'avantage de ne pas coûter un rond : octroyons le droit de vote à 16 ans. Les partis se sentiraient obligés de rendre leurs programmes enfin plus favorables à la jeunesse, à l'avenir.
Vous connaissez l'objection : a-t-on, à 16 ans, la maturité nécessaire ?
On n'est pas mûr à 16 ans ? Mais dans ce cas, retirons le droit de vote aux vieux gâteux à qui l'on fait faire des procurations dans les maisons de retraite ! La maturité s'atteint, puis se dégrade, c'est comme ça.
Dans les centres de recherche en sciences politiques, l'idée de pondérer le vote en fonction de l'âge jouit d'un certain succès. Mais elle est impossible à mettre en oeuvre : on serait obligé de savoir qui vote quoi.
Lorsqu'ils sont interrogés par des sondeurs, les 16-17 ans semblent très réservés…
C'est ce que Martin Hirsch m'avait répondu lorsqu'il préparait son « livre vert » pour la jeunesse. Mais ce n'est pas un argument suffisant. Avant 1945, le droit de vote des femmes ne faisait pas l'unanimité parmi elles. Il est normal qu'une responsabilité nouvelle intimide.
Si cela peut rassurer les jeunes Français : le droit de vote à 16 ans est en vigueur en Autriche, dans plusieurs Länder allemands et dans plusieurs cantons suisses. Les Croates peuvent aussi voter dès 16 ans s'ils ont un emploi à temps plein.
Les opposants à une telle réforme disent aussi que les jeunes s'abstiendraient ou voteraient forcément à gauche…
Qu'en sait-on ? De l'UMP au NPA, les mouvements de jeunesse de tous bords sont plutôt favorables au vote à 16 ans. Techniquement, il n'y a aucune raison de s'y opposer. A 16 ans, on peut bosser, payer des cotisations, participer aux élections professionnelles, payer des impôts.
On peut avoir des relations sexuelles, recourir à l'IVG sans le consentement d'un parent, exercer soi-même l'autorité parentale, être entendu par la justice et condamné… Un individu doit acquérir les capacités civiles à hauteur des responsabilités pénales qu'il encourt.
Ajustons les majorités civiles, fiscales, pénales, sexuelles. On aura au moins contribué à réduire la confusion sur les âges de la vie.
Photo : une lycéenne dans une manifestation contre la réforme des retraites à Paris en décembre 2008 (Charles Platiau/Reuters).
Agence Populaire Libre (APL).
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