Après la publication de Roger Mathieu de Beaufort sur Gervanne 26400 du 11 janvier 2011 sur :
Et des sommes affichées du 07 janvier 2011 sur :
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Nous publions la réponse de Marc Finand de Establet 26.
Élevage, loups et aides publiques
Marc Finand 26470 Establet
0475272302
m.finand@shdnet.fr
Il faut répondre au citoyen R. Mathieu de Beaufort sur Gervanne !
Oui, bien sûr, vos questions sont légitimes : Par quel absurde se fait-il que les éleveurs (de zone montagne), qui se plaignent, mais aussi qui cristallisent leurs haines sur le loup, continuent une activité qui, s'ils ne l'avaient pas, leur permettrait de bien vivre, à subventions égales ?
Pourquoi, malgré ces subsides publics qui peuvent paraître considérables, auxquels s'ajoutent les mesures spécifiques liées à la présence du loup, focalisent-ils tant sur le loup, sont-ils si intolérants ?
Je tente de répondre à partir de mon expérience et mes interrogations sur le sujet, en tant qu'éleveur, éleveur mais pas moins citoyen pour autant.
Il y a deux types de réponse, qui se rejoignent pour expliquer la situation. La situation:
une présence des loups qui ne peut que se renforcer dans les conditions actuelles de déprise rurale, s'accompagnant, hélas, du maintien de l'absurde recherche de productivité en élevage ovin , pratiqué selon une logique industrielle dans des régions qui ne s'y prêtent pas : une grosse ferme plutôt que deux, trois, quatre, dix, abandon des zones non mécanisables, mono élevage ( tous les oeufs dans le même panier) avec augmentation incessantes des effectifs ( de brebis, même si les institutions ont parfois discrètement enjoint les éleveurs à freiner leurs béliers) , maîtrise de la filière par des techniciens institutionnels, pratiques d'élevage semi industrielles (mortalité, relations hommes-animaux, soins véto, etc) …
D'un coté, de plus en plus d'espace pour les loups, et, de l'autre, de plus en plus de gros troupeaux, difficiles à surveiller et à manoeuvrer, rentrer dans des abris , de moins en moins de personnel, ne serait-ce le petit + de bergers salariés, sur les subsides européens/loup .
Et, face à cela, dans cette situation, qui correspond à l'extinction massive des paysans dans les pays développés, les éleveurs qui restent, qui ont tenu, de plus en plus en tendus, jusqu'à la violence, dès lors qu'il s'agit du loup, et oui, c'est vrai, même chez ces gens que l'on pourrait présumer porteurs de valeurs écologiques et non violentes.
Explications, malaise :
Ces éleveurs, ils ont fait ce qu'on leur a conseillé de faire ; bien souvent, ils ont hérité de leurs parents, puis ils ont accepté les aides, la DJA, puis les aides PAC ; Ils ont aussi bien souvent, profité de l’arrêt des voisins pour s'agrandir : développer le cheptel, acquérir les tracteurs et les accessoires de fenaison, rationaliser les bâtiments. Il fallait 80 brebis il y a 40 ans, 160 brebis il y a 20 ans pour dégager un semblant de revenu, le double aujourd'hui : qu'à cela ne tienne, on peut très bien se mettre à considérer les bêtes comme des produits, des machines à viande et les élever comme telles : en même temps, des voisins prennent leur retraite et ne seront pas repris, exploitation non viable, trop petite, allez, ça tombe bien ! La PAC permettra de faire un autre crédit pour prendre un tracteur plus gros, on laissera tomber les petites parcelles ou trop éloignées, puisqu'on peut faucher ce que fauchait le voisin qui a arrêté …
A ce niveau du tableau, vous posez la question de l'efficacité des aides publiques, en regard des difficultés financières régulièrement, structurellement pointées par la profession :
C’est que, oui, faire de la monoculture d'ovins, en zone de montagne sèche, sur un mode industriel, (course à l'agrandissement et mécanisation, spécialisation, abandon de la main d'oeuvre au profit d'une consommation d'énergie gigantesque), oui, cela est totalement absurde, économiquement et agronomiquement ! Plus, bien plus sans doute que ce que vous n'osiez l’imaginer ! Oui, cela coûte très cher à la communauté, européenne ou nationale, d'une manière générale, le loup rajoutant encore un petit surcoût … d'une manière générale, le maintien de l'agriculture, en dehors des zones super productives en mode industriel (plaines alluvionnaires) coûte très cher et ne se justifie aucunement par des besoins de production, que ce soit clair; Les enjeux sont ailleurs : politiques, stratégique et environnementaux.
Soyons sérieux : avez vous essayé de chiffrer le capital travail d'une exploitation conventionnelle de la région, c'est à dire de quoi élever plus ou moins trois cent brebis par éleveur ?
Sans parler de l’habitation, qui a un coût, quand on s'installe, pas pour ceux qui en héritent, il faut des terres : entre 500 et 2000€ l'Ha (ça, ça flambe, avec le résidentiel et les droits de chasse), entre 80 et 500 Ha …, + en GAEC ...
Les bâtiments : bergerie et grange, de quoi nourrir les bêtes de novembre à mai sans sortir...
Le tracteur, ho pardon ! Les tracteurs, un 80cv, un autre plus vieux, un 100cv, un peu plus récent; la faucheuse cinq disques, le faneur andaineur, la presse; pour l'avant du tracteur, une fourche, puis une pince hydraulique, une remorque à fourrage, une autre pour le grain, une autre pour le reste; un épandeur à fumier, une charrue, un vibroculteur, un cylindre, une herse; le reste, pour s'arranger la vie, pas perdre de temps : fendeuse de bûches, benne arrière, épandeur d'engrais, bétonnière, machine à planter les piquets, machine pour ci ou pour ça , un quad, une remorque pour quad; le matériel de contention, filets, postes clôtures, barrières, parcs de tri
Le cheptel, hérité et/ ou acheté …
On en est à combien déjà ? 500 000€, un million ? Oui, d'accord, mais ça , ce n'est que la mise de fond , on a pas encore compté les frais de fonctionnement , la maintenance, le matériel qu'il faut remplacer en permanence, le fuel, les assurances, les cotisations MSA et autres....
Alors, oui, c'est sûr, si on compte tout, ça fait cher le prix de revient de l’agneau, plus grand chose pour l'éleveur, même ayant hérité, par ce que ses pratiques sont tellement différentes de celles de ses parents, et au final, de grosses sommes englouties pour produire pas grand chose et voir les fermes disparaître quand même !
Dans ces conditions, il lui reste quoi à l’éleveur, qui a suivi cette logique, n'a plus que ses moutons, ses chiens et ses paperasses à remplir, en termes d'identité, de considération de soi ? Il ne maîtrise pas ses techniques de production, il a fait ce qui se fait, il ne maîtrise pas la commercialisation de ses produits, ni l’origine, il ne vit pas de la vente de sa production mais survit à 82% des subsides publics (moyenne nationale en 2008).
Et là, on leur met des loups, pour amuser les touristes ! (je résume exagérément: cela est faux mais encore une idée très répandue dans le milieu)
Parlez leur du loup, vous verrez : il ne s'écoulera pas une minute avant que vous n'entendiez le mot touriste, généralement suivi ou précédé de « écologistes » (de la ville) ;
Je crois que c'est précisément l'impression de jouer les utilités pour satisfaire une société par ailleurs coupée de la ruralité, de leur ruralité ,qui leur est le plus insupportable - Sans le loup et ce regard post moderne sur notre ruralité, on peut encore se faire croire qu'éleveur, c'est une activité sérieuse, rationnelle, consistant à produire des produits carnés; avec le loup et l'émergence d'une vision glamour de la rude montagne, l'éleveur se sent perçu comme un nain de jardin , un élément du décor, un acteur rémunéré, à jouer son rôle …
C'est déjà pas très glorieux de survivre de subventions alors que l'on est sensé vivre d'une production , c'est carrément vexant d'être considéré comme un second rôle du décor montagne, tel est le sentiment, normal, lié à la situation décrite plus haut.
Un retour en arrière, ou une évolution, dans les mentalités, semblent difficiles, ne serait-ce la disparition vraisemblable de ceux-ci, des éleveurs conventionnels, au fil du temps, inexorablement.
Savez vous aussi que dans notre situation, un gros propriétaire a intérêt d'arrêter l'agriculture et à tout mettre en droits de chasse ? Le rendement à l'hectare est dix fois supérieur !
Pourtant , la question des mentalités, la question du paradigme est au centre du problème : seul un changement de paradigme agronomique permettrait de sortir de la situation en forme d'impasse: Pas de mono culture élevage, des petits troupeaux divers et variés, à taille humaine, de la polyculture élevage, des petites fermes plus nombreuse et plus peuplées, la maîtrise de leur production et commercialisation par les paysans (circuits courts), etc., et les loups, prudents naturellement , n'auraient qu'à bien se tenir !
Peut-être, dans le même temps, serait-il sain de rétablir des plans de chasse plus responsables, par exemple laisser des chamois et mouflons aux prédateurs naturels), des pratiques de chasse plus correctes (sans agrainage), et ne pas vendre nos montagnes à n'importe quel prix, pour des raisons électorales !
Faut-il le rappeler, et l'asséner dans nos milieux : le loup s'intéresse d'abord aux hectares non peuplés et à la quantité d'ongulés sauvages qu'ils recèlent, ils ne font pas les comptes de ce qui va sortir de la bergerie …
J'ai parlé des éleveurs, conventionnels, en ne m'y incluant pas : je n'ai pas hérité ni suivi les conseils institutionnels liés à la profession: je me suis installé en partant d'une question : qu'est qu'on peut faire ici, de raisonnable, pour tirer des protéines ?
Je savais en m'installant que seule la structure familiale de polyculture élevage , foresterie si il y a lieu est rentable agronomiquement , l'agriculture vivrière en étant la base : je n'ai pas un gros troupeau mais plusieurs petits, les vaches pouvant jouer le rôle de répulsif anti loup , de races très rustiques- je suis aussi très présent au niveau des bêtes , je calcule les itinéraires selon la saison aussi , en fonction de la présence du loup; je maîtrise ce que je fais , la façon de faire , jusqu'à la commercialisation, je n'ai pas de problème d'identité.
Un loup a attaqué mes brebis, il y a trois ans, je m'en suis voulu, c'était prévisible et je me suis considéré imprudent, mauvais berger, dans un drôle de monde quand -même ! Je fais plus attention maintenant, question éloignement, et je mets un âne, des boeufs, si il faut.
Bien sûr, je ne compte pas sur les brebis pour vivre , et j'ai moins de besoin en énergie qu'un conventionnel ; je me pose vraiment la question de la rationalité économique de la mécanisation qu'implique la fenaison ( + matériel céréales en général) en mode d'élevage conventionnel : tant d'investissements pour quelques dizaines d'agneaux !
Je n'oublie jamais non plus que la biodiversité n'est pas un gadget mais une nécessité vitale pour l'espèce humaine plus encore que pour toutes les autres, c'est simple !
Ce qui m'étonne le plus sur le sujet, c'est l'incohérence des prises de position du syndicat agricole connu pour ce slogan de « trois petites fermes, plutôt qu'une grande », puisque une grande partie de la solution se trouve là énoncée. Et, également, le discours biaisé des organismes para agricoles qui s'occupent de nous, prompts à prendre faits et causes pour ces éleveurs, prisonniers et aliénés par leurs choix, ou d'une époque qu'ils n'ont pas choisie ….
Bien sur, la situation en certains lieux fait que le maintien du pastoralisme passe par la possibilité pour les éleveurs de défendre leurs troupeaux, et en cela, se trouver dans la situation ancestrale, qui est celle de certains pays, pas si loin : il ne s'agit pas d'éradiquer, mais de cohabiter, de se partager le territoire en bonne intelligence - N'y aurait-il qu'en France où l'on serait incapable de cela ? Si le loup n'est plus menacé d'extinction , il faut adapter la législation en fonction, travailler à l'apaisement, défaire la frontalité, la rigidité des positions , apprendre la tolérance, changer le paradigme agronomique des éleveurs de montagne …
En attendant, il nous faudra aller répétant et répétant encore que c'est bien l'homme qui a le plus besoin de la nature et de sa diversité, et non l’inverse.
Marc Finand
Eleveur-cultivateur
26470 Establet
04 75 27 23 02
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