Des expériences coopératives concrètes
Regards sur l’économie solidaire
Une solution de rechange au capitalisme, l’économie sociale et solidaire ? On a pu en lire, ici et là, les séduisants grands principes. Mais qu’en est-il de sa réalité ? Les éditions Repas ont entrepris de recenser et d’analyser des expériences coopératives concrètes. Celles-ci sont porteuses d’un autre modèle économique et de modes de vie différents, avec, toujours soulignée, une dimension démocratique. Il s’agit de montrer qu’il y a place pour d’autres priorités que le profit, la course à la consommation ou le tout à la finance.
Un premier exemple peut être exploré avec Faire des hommes libres (1). L’expérience — la communauté de Boimondau — se déroule à Valence et dans ses environs, à partir de 1941, dans un contexte de guerre. Industriel réfugié en zone libre, Marcel Barbu (qui sera candidat à l’élection présidentielle de 1965) crée une coopérative de fabrication de boîtiers de montre en embauchant des gens en errance, avec salaire égal pour tous. Mais il faut aussi organiser le ravitaillement et loger les salariés. Barbu met en place des conseils d’atelier, de ferme, de logement. La période a souvent poussé en avant l’individualisme de sauvegarde ; ici, elle a prêté à un renforcement de la solidarité face au régime de Vichy et à l’occupant : question de survie. Les événements (notamment la déportation de Barbu) vont entraver le développement du projet, qui vivra pourtant jusqu’en 1971. L’expérience relatée ici dépasse la dimension coopérative en débouchant sur l’analyse d’une communauté de travail, et même de vie.
Quasiment quand Boimondau disparaît, surgit en Ardèche le Viel Audon (2). Ces deux aventures sont issues de ruptures — la première de la guerre, la seconde de mai 1968. Cette période du grand retour à la terre se traduit, au Viel Audon, par la reconstruction d’un village. Avec des pierres. Mais avec une âme également. On a là une communauté de vie : c’est dans le vivier des bénévoles que se recrutent les permanents qui y vivent. Sans modèle théorique au départ, le village se rebâtit depuis plus de trente ans, en expérimentant (maçonnerie, élevage, artisanat, formation...). Dix mille jeunes ont travaillé sur ce chantier. La diversité sociale est de mise. Le lieu devient école, et les jeunes qui passent expérimentent, avec prise de responsabilités et de risques, un « chemin à faire » pour mener leur propre route. Le projet avance en associant réseaux, collectivités locales, administration. Une société coopérative d’intérêt collectif (SCIC) avant la lettre ?
Des expériences alternatives germent-elles uniquement dans des périodes de rupture ? C’est dans un troisième livre qu’on découvre, à travers le Familistère de Guise, toute une réflexion théorique sur l’économie sociale et solidaire (3). L’auteur, Jean-François Draperi, professeur au Centre d’économie sociale du Conservatoire national des arts et métiers (CNAM), raconte l’expérience de Jean-Baptiste Godin puis la confronte aux thèses des théoriciens Charles Fourier et Charles Gide, mais aussi à Karl Marx et à Frederick Taylor et, en addenda, à Emanuel Swedenborg et à Immanuel Kant. Le Familistère est la réponse d’un industriel éclairé à la misère dans cette Europe qui s’industrialise à la fin du XIXe siècle. Comme dans le cas de Boimondau, une personne est à l’origine de l’innovation en solidarité, ce qui pose la question de la construction collective des projets et de leur transmission.
Bruno Lombard.
(1) Michel Chaudy, Faire des hommes libres. Boimondau et les communautés de travail à Valence, Repas, coll. « Pratiques utopiques », Valence, 2008, 176 pages, 15 euros.
(2) Béatrice Barras, Chantier ouvert au public. Le Viel Audon, village coopératif, Repas, coll. « Pratiques utopiques », Valence, 2008, 190 pages, 15 euros.
(3) Jean-François Draperi, Godin, inventeur de l’économie sociale. Mutualiser, coopérer, s’associer, Repas, coll. « Pratiques utopiques », Valence, 2008, 193 pages, 15 euros.
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