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mardi 14 décembre 2010

Déplacer et loger les indésirables...


Déplacer et loger les indésirables, sociologie du logement contraint

Nous amorçons, dans cet article, une socio-histoire des modes de résidence forcés et logements contraints pour les populations indésirables en France durant le XXe siècle. A partir d’un corpus de lieux de mise à l’écart résidentiels et du croisement comparatif de monographies de cantonnements, foyers et centres d’accueil ou d’internement, trois pistes sont explorées : Quelles sont les configurations spatiales et résidentielles des lieux dédiés à l’accueil des populations déplacées ou retenues ? Existe-t-il une culture professionnelle et des cadres cognitifs propres aux agents qui gèrent ces espaces résidentiels d’exception ? Quelles sont les populations concernées de la Première guerre mondiale à nos jours par ces modes de logement atypiques ? Nous en concluons que le recours au logement contraint est une constante des politiques de contrôle des réfugiés, travailleurs forcés et migrants depuis le début du XXe siècle en France. Cette action s’est structurée autour des entreprises employeuses de main d’œuvre coloniale et du ministère de l’Intérieur (Sûreté nationale puis Police), et est restée disponible dans l’arsenal des politiques de contrôle et des politiques sociales.

La notion de logement contraint recouvre des espaces désignés institutionnellement pour être affectés de manière provisoire à des fonctions d’accueil et de résidence de populations définies comme indésirables et inutiles. Elles sont, par ce moyen, mises à l’écart sous surveillance et privées de moyens de subsistance autonomes. Placées en ces lieux soit par pour raisons d’ordre public soit en l’absence de solutions de logements alternatives ces civils se voient concentrés dans des espaces clos et séparés et des types d’habitat divers. Ces espaces offrent la possibilité aux pouvoirs publics de rassembler et d’appliquer des techniques de contrôle militaire à des populations en déplacement, déviants, réfugiés ou migrants et de les maintenir pour des durées indéterminées à l’écart du reste de la population [1]. Malgré leur diversité nous faisons l’hypothèse d’une cohérence et d’une continuité de ces formes de logements et des savoirs qui organisent leur gestion et leur fonctionnement. Ces modalités spécifiques de regroupement d’étrangers ou d’individus marginalisés pour répondre à des situations de crise et de menace ont concrètement émergé durant la Première Guerre mondiale. Elles participent du processus de « trivialisation » [2] qui s’est pérennisé en temps de paix, que nous nommons une militarisation de la question sociale.

Nous avons pu reconstituer, à partir de plusieurs monographies socio-historiques portant sur des formes d’habitat à différentes périodes, l’usage et la gestion de lieux utilisés comme sites d’habitat spécifiques et résultant du détournement de certains types de bâtiments [3]. Ils présentent plusieurs caractéristiques paradoxales. Le logement contraint instaure tout d’abord une situation d’expédient permanent et programmé qui pérennise une précarité sociale et économique. Retranché socialement et spatialement du reste du corps social, il n’est jamais totalement coupé de l’extérieur et reste en contact avec le monde du travail. Ensuite, la norme y devient le hors normes tant pour le bâti - il est possible d’adapter tout espace à cette fonction [4] - et les conditions de vies, que pour le statut des personnes. Enfin les pouvoirs publics laissent se constituer de tels lieux d’habitat alors qu’ils pilotent dans le même temps un mouvement d’urbanisation structuré autour d’objectifs d’hygiénisme, de salubrité et d’intégration. Le paradoxe n’est, d’après nous, qu’apparent dans la mesure où le recours au logement contraint s’intègre à la gestion politique des populations concernées d’une part en les situant dans un espace « répulsif » qui matérialise un message d’inhospitalité et d’autre part en ce qu’il permet différents processus d’identification, de différenciation et de hiérarchisation de celles-ci.

Cette notion de « logement contraint » présente un intérêt heuristique. Elle donne la possibilité d’analyser comparativement différentes formes de logements, camps et lieux de rétention administrative, baraquements, casernements et logements d’usine, cités de transit, foyers de travailleurs et centres humanitaires qui sont peu ou pas étudiées. Cela permet de cerner les représentations collectives de l’espace et de l’habiter et les projections sur l’espace des autorités et des acteurs économiques et sociaux et de comparer d’un point de vue sociologique les différentes populations placées dans ces espaces. On peut ainsi déconstruire l’approche usuelle en termes d’urgence et d’exception qui justifie souvent dans les discours l’usage de ces formes précaires de résidence comme expédient. Car, à la différence du logement d’urgence, il n’est pas censé constituer une réponse momentanée avant un relogement dans un logement normalisé mais une réponse programmée comme temporaire. Ce n’est en rien un préalable à une intégration ou une réintégration dans le corps social mais, au contraire, un moyen planifié a minima de tenir à l’écart des populations. Il se différencie aussi des « bidonvilles » [5], des squats et plus largement du « logement spontané » caractérisé par l’occupation illégale ou tolérée d’un terrain ou d’une habitation, bien que le « passage » de l’un à l’autre soit possible [6]. De plus la généalogie de ces espaces permet de mieux appréhender de nouvelles de logements qui paraissent « apparentés » au logement contraint. La structuration progressive, depuis plusieurs décennies, des dispositifs d’accueil des réfugiés et des demandeurs d’asile n’a pas empêché la croissance et la diversification des formes et des statuts de bâtiments de logements précaires et hors normes dans lesquels le droit à une habitation indépendante est assorti de contrainte quand il n’est pas carrément nié [7].

(Lire la suite sur : http://mediascitoyensdioisdebats.blogspot.com/2010/12/deplacer-et-loger-les-indesirables.html)

Marc Bernardot, "Déplacer et loger les indésirables, sociologie du logement contraint", Recueil Alexandries, Collections Esquisses, septembre 2005, url de référence: http://www.reseau-terra.eu/article337.html NOTES

[1] L’internement, forme extrême de logement contraint, et plus généralement la mise en camp, se distingue du système pénitentiaire par son caractère collectif, extrajudiciaire et arbitraire qui participe à essentialiser les individus qui y transitent. Il présente l’avantage d’être plus pratique, meilleur marché et plus discret encore que la prison dont ce sont pourtant les qualités essentielles.

[2] Mosse G., De la Grande Guerre au totalitarisme. La brutalisation des sociétés européennes, Hachette, 2003. Voir aussi Becker A., Oubliés de la Grande Guerre. Humanitaire et culture de guerre (1914-1948), Populations occupées, déportés civils, prisonniers de guerre. Paris, Hachette, 2003.

[3] Nous avons constitué en 2001 un corpus d’un millier environ de lieux de « mise à l’écart » que nous avons progressivement enrichi au fur et à mesure de nos lectures et de nos recherches. Sur la structure de ce corpus cf. notre article, « Au pays des mille et un camps : Approche socio-historique des espaces d’internement en France au XXe siècle » les Cahiers du Cériem, 10, 2002, pp. 57 à 76. D’autres démarches de recensement sont en cours. Par exemple, la fondation pour la mémoire de la déportation a lancé depuis 1999 un inventaire d’un millier de lieux d’internement entre 1938 et 1945 qui porte sur la France métropolitaine et les ex-colonies françaises. Cf. http://www.fmd.asso.fr.php. C’est le cas aussi du réseau Migreurop qui recense cette fois les lieux de rétention actuels des étrangers en Europe qu’ils soient ouverts ou fermés. Cf. Intrand C., Perrouty, Pierre A., « La diversité des camps d’étrangers en Europe : présentation de la carte des camps en Europe », Cultures et Conflits, 57, 2005, pp. 71 à 90.

[4] La circulaire de 2001 sur les conditions d’entrée et de séjour des étrangers stipule que le préfet ou le commissaire de police peut décider de transformer toute pièce en local de rétention administrative.

[5] Gilbert A., Gugler J., Cities, Poverty, and Development. Urbanization in the Third World, Londres, Oxford University Press, 1982.

[6] Ce type d’habitat est intégré au continuum des formes de logements administratifs ou accompagnés lorsque les capacités de ces derniers sont saturées. Cf. Bouillon F., « Des migrants en des squats : précarités et réactivités aux marges de la ville, Revue européenne des migrations internationales, 19, 2, 2003, pp. 23 à 46 ; Ballain R., Bougnoux M.-O., « Les saisonniers : des conditions de vies indignes pour les soutiers du tourisme et de l’agriculture », annexe du rapport 2002 sur l’état du mal logement en France, Fondation Abbé Pierre, 2003, 52 p.

[7] Il faut noter que le développement de cette « contrainte par le logement » se fait depuis les années 1990 dans un contexte de criminalisation de l’immigration et de xénophobie nationaliste accrue. A posteriori la perception, dans la société française des années 1950-1970, du réfugié comme une victime apparaît exceptionnelle. Sur ce point voir Kobelinsky C., « Les figures du réfugié : représentations pratiques et quotidiennes dans deux centres d’accueil pour demandeurs d’asile », communication à la journée d’études du programme ACI-Asiles, 17 mai 2005.

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