LE SOCIAL EST DANS L’ECOLOGIE
Les hommes vont mal et pourraient aller encore plus mal demain, incapables qu’ils sont de sortir des impasses qu’ils ont eux-mêmes fabriquées. Ce que nous révèle la marche du monde en ces temps de dégradation massive de l’environnement - tant écologique que social - tient en ceci : l’écologie et ses acteurs continuent d’être envisagés – souvent à juste titre - comme les ennemis du progrès social. On ne sortira de cette impasse qu’au prix d’une articulation solide entre le social et l’écologique. Mais, il faudra d’abord abandonner les définitions étriquées de ces deux faces d’un même problème. Le social et l’écologique méritent mille fois mieux que les caricatures que l’on en fait si souvent.
Quelques naïfs superbes ont cru un temps que le Grenelle de l’environnement marquerait en France – et en Europe tant qu’on y était – un tournant décisif dans le rapport de la société à « la chose écologique ». Près de trois ans après cette pitoyable mascarade ils en sont bien sûr tous revenus. A les entendre ils y étaient tous allés en sachant que cela ne servirait à rien. Cette naïveté manifeste du moment travestie a posteriori en clairvoyance avisée révèle que pour nombre d’ONG environnementales l’action écologique n’a d’égale que leur méconnaissance – voire leur mépris - de la question sociale. Pour que la société dans son ensemble s’empare avec sérieux du credo écologique, l’élargissant bien au-delà du petit cercle des initiés, encore conviendra-t-il de persuader la part la plus modeste de ladite société que c’est surtout elle qui a le plus à gagner d’un changement de paradigme. C’est d’abord pour ce défaut-là qu’il ne fallait croire en rien à la sincérité affichée de M. Sarkozy. Comment « le candidat des riches » fraîchement élu au moment du Grenelle pouvait-il prôner une écologie soulageant d’abord les pauvres ? Accepter le dialogue dont il maîtrisait toutes les limites était forcément suspect aux yeux de qui considère qu’aucun autel ne justifie que l’on y sacrifie la question sociale.
Il existe donc un intégrisme écologique, frère jumeau de l’intégrisme économique. Tous deux croient pouvoir triompher en faisant fi de la réalité sociale ou en la faisant ployer sous le fardeau de leur exorbitante prétention. On ne sauvera pas la planète et l’humanité qu’elle porte sans remettre en cause le système économique totalitaire qui les ruine à grands feux désormais. Il apparaît de plus en plus abject de considérer que la crise écologique est prioritaire quand la crise sociale ne serait que secondaire. Il faut tenir les deux fers au feu pour forger un monde tout à la fois écologiquement et socialement vivable. Par les conditions matérielles de leur existence, par les lieux géographiques où ils vivent et travaillent, par le défaut de leur accès à l’information nécessaire, par le regard de plus en plus hostile qui leur est jeté, les pauvres sont partout les premières victimes des multiples dimensions de ce que l’on nomme intempestivement la crise écologique. Ils seront les derniers bénéficiaires de solutions asociales apportées illusoirement à cette crise.
La Justice sociale plaide en faveur de l’écologie pour tous quand le règne sans partage du Marché écarte logiquement tous les fieffés insolvables. Le renoncement progressif des pouvoirs publics à jouer leur rôle de correction des méfaits du fonctionnement de l’économie sur les plus faibles est incompatible avec la nécessité de bâtir une écologie socialement responsable. Le constat est terrible : nous sommes à des années-lumière de l’écologie sociale. Pour l’atteindre il faudra faire vivre la dialectique grâce à laquelle les hommes sauront mettre du social dans l’écologie et de l’écologie dans le social, et cela à tous les étages de l’édifice social. Ainsi, on remplacerait les définitions et les actions séparées du social et de l’écologique par une (ré)conciliation des actes aujourd’hui souvent inconciliables. Seuls la relocalisation de l’économie et le desserrement de l’emprise des machines mortifères que sont l’OMC ou le FMI permettront d’espérer réaliser cette gageure. C’est à ces conditions, que la pensée orthodoxe juge incongrues ou démesurées, que l’on obtiendra une autre réconciliation : celle des acteurs œuvrant, tous sincèrement, dans des champs tenus souvent distincts artificiellement. Ecologistes et syndicalistes ne font que commencer de se parler. Il leur faut pour s’enfoncer dans un dialogue fécond un autre contexte, un autre monde à construire.
Alors, plus aucun responsable d’ONG soucieux du sort des générations à venir et de la planète ne pourra encore dire demain à un salarié qu’il le paie au SMIC car il n’a pas le droit de le payer moins. Que demain la planète n’ait plus jamais aussi bon dos soulagerait assurément la peine des hommes.
Yann Fiévet est l’auteur du livre « Le monde en pente douce », Editions Golias, 2009.
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