Evitons une autre affaire Mediator !
Les faits sont accablants. Le principe actif du Mediator est proche de celui de l’Isoméride, un autre coupe-faim dangereux et interdit de Servier. Une revue médicale souligne la dangerosité de cette molécule dès 1997. La France interdira le médicament douze ans plus tard, dernier pays au monde à prendre cette mesure de salut public. Entre-temps, douze ans de non-assistance à personnes en danger et un milliard de profits pour Servier. La seule réponse du laboratoire sera de poursuivre un médecin, Irène Frachon, qui dans un livre dénonce les méfaits du coupe-faim. Depuis, le gouvernement bétonne. Il ne veut pas d’enquête parlementaire. L’organisme public en charge des médicaments n’a pas d’explications à sa mortelle bévue. Autant d’anomalies qui sèment le doute sur le professionnalisme de l’Afssaps, sur ses connexions avec Servier et sur les liens des politiques avec l’industrie pharmaceutique. Des doutes qu’une enquête indépendante se doit de lever au plus vite.
Le Mediator aurait fait entre 1 000 et 2 000 morts, selon Le Figaro qui précise, vendredi 17 décembre, que cette évaluation va bien au-delà du chiffre officiellement admis "d'au moins 500 morts". Cette information repose sur une étude menée par des épidémiologistes mandatés par l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps)
Le 16 novembre, cette dernière admettait le chiffre d'"au moins 500 décès" attribuables au médicament prescrit aux diabétiques en surpoids, et utilisé comme coupe-faim, sur la base des calculs de l'épidémiologiste Catherine Hill (Institut Gustave-Roussy, Villejuif). La chercheuse confirmait ainsi une fourchette de 500 à 1 000 morts précédemment avancée. Mais Le Figaro révèle que ce même 16 novembre, l'Afssaps n'avait pas mentionné la fourchette de 1 000 à 2 000 morts, provenant d'une autre étude réalisée par deux autres chercheurs (Mahmoud Zureik, directeur de recherche à l'Inserm, et Agnès Fournier, épidémiologiste à l'Inserm) qu'elle avait également sollicités.
La prise en compte du long terme est le facteur qui différencie les calculs de Catherine Hill de ceux de Mahmoud Zureik et d'Agnès Fournier, souligne le quotidien. "Notre estimation est tout à fait concordante avec la sienne [celle de Mme Hill, NDLR], qui conclut à 3 500 personnes hospitalisées pour valvulopathies et à 500 morts minimum", a confié Mahmoud Zureik
Dès 1998, trois professeurs de médecine de la sécurité sociale alertaient la direction de l'Agence du médicament sur les risques de l'utilisation non autorisée du Mediator, comme coup-faim.
Les professeurs Hubert Allemand, médecin conseil de la Caisse nationale de l'Assurance Maladie, Claudine Blum-Boisgard (Canam), Patrick Choutet (Mutuelle Sociale Agricole) vont même jusqu'à mettre en doute l'intéret thérapeutique de ce médicament : il serait, écrivent-ils, "opportun de procéder à une réévaluation de l'utilité du Mediator" dont la prescription était alors autorisée pour le diabète avec surcharge pondérale et les excès de graisses sanguines. "Malgré cette alerte très forte, rien ne se passe. Pourtant, tous les anorexigènes [coupe-faim] feront l'objet d'une interdiction totale, au plus tard en l'an 2000. Tous.
APIS
Quel est le point commun entre Staltor (cérivastatine), Vioxx (rofécoxib), Sibutral (sibutramine), Acomplia (rimonabant), Avandia (rosiglitazone), Mediator (benfluorex), parmi d'autres médicaments ?
Tous ont été retirés du marché au cours des dernières années, en raison d'effets indésirables d'une gravité disproportionnée par rapport aux bénéfices qu'ils apportaient aux patients. Dans chaque cas, ces effets indésirables étaient connus depuis longtemps, ou prévisibles. Connus, parfois dès leur mise sur le marché, car ils avaient été repérés lors des premiers essais cliniques.
Ou prévisibles, par raisonnement pharmacologique, ou au vu de la parenté chimique du médicament avec des médicaments aux effets indésirables graves avérés. La poursuite des études et la notification des cas d'effets indésirables par des soignants et leur analyse par des centres de pharmacovigilance, en France ou dans d'autres pays, sont venues confirmer ce qui était, dès le départ, connu ou prévisible.
Pour tous ces médicaments, la revue Prescrire avait alerté ses 29 000 abonnés professionnels de santé, pendant des années, bien avant que les autorités finissent par décider les retraits du marché. Ainsi sans doute des milliers de patients ont échappé à des effets indésirables graves.
Ces désastres de santé publique auraient pu être évités. A trois conditions. D'abord, à condition de toujours penser en termes de balance bénéfices-risques pour les patients : pourquoi prendre le moindre risque quand il n'y aucun bénéfice tangible démontré ?
Ensuite, à condition d'accorder la plus grande attention aux effets indésirables décrits dans les essais cliniques, d'appliquer des raisonnements de pharmacologie de base, et d'analyser les publications spécialisées de pharmacovigilance du monde entier.
Enfin, à condition de toujours faire bénéficier le doute au patient, et non à la firme : car on ne rendra pas la vie aux morts du Mediator, malgré les procès qui ne manqueront pas d'être intentés au laboratoire pharmaceutique Servier.
L'affaire Mediator révèle des dysfonctionnements graves des autorités sanitaires en France, bien décrits par Irène Frachon dans son livre Mediator 150 mg, sous-titre censuré (éditions Dialogues.fr, 148 pages, 15,90 euros). Des dysfonctionnements sont aussi observés en Europe et ailleurs.
Cette affaire confirme plus généralement l'impérieuse nécessité de renforcer l'évaluation des médicaments avant leur mise sur le marché, de manière indépendante des firmes ; de renforcer les lois européennes et françaises pour que les nouveaux médicaments aient à démontrer leur intérêt thérapeutique par rapport aux médicaments de référence ; de rendre les agences du médicament indépendantes des firmes pharmaceutiques, que ce soit financièrement ou en termes d'expertise, trop souvent influencée par des conflits d'intérêts avec les firmes.
Il faut aussi renforcer considérablement la pharmacovigilance, pour que soient recherchés et analysés plus activement les cas d'effets indésirables ; rendre les décisions de retrait du marché plus rapides, car fondées sur une évaluation médicale de la balance bénéfices-risques et non sur un compromis économique bénéfices économiques et industriels et les pots cassés chez les patients.
Il n'y a là rien d'irréaliste. C'est la simple application, par les soignants comme par les agences sanitaires et les sociétés pharmaceutiques, sans oublier les responsables politiques, d'un principe éthique de base de la médecine depuis Hippocrate : d'abord ne pas nuire.
Bruno Toussaint, médecin, directeur de la rédaction de la revue "Prescrire"
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