Chroniques de la Barbarie Ordinaire N° 1 : L’histoire de la famille Varga, avec ses 4 enfants de moins de 5 ans, dont un bébé de 2 mois, à la rue depuis le 20 Décembre
1) Expulsion du Camp des Roms de Saint Martin d’Hères – le Camp du Rondeau
Victimes du racisme, des conditions de vie misérables qui sont faites aux Roms en Roumanie, ils sont arrivés en France en Octobre 2009 avec leurs enfants. Demandeurs d’Asile, ils ont vécu depuis dans l’agglomération grenobloise. D’abord dans le Camp des Roms Ikea / Saint Martin d’Hères, coincé entre la Rocade Sud et la voie ferrée. Les 3 ainés des enfants seront scolarisés.
Le 19 Août 2010 leur camp est détruit au bulldozer et tous les Roms qui y vivent en sont expulsés lors d’une opération musclée qui mobilise 150 CRS. Expulsion spectaculaire faite après le fameux Discours de Grenoble, suite à une demande du Maire communiste de Saint Martin d’Hères, M. René Proby (cf : http://grenoble.indymedia.org/2010-...).
Parqués ensuite par La Métro et la Ville de Grenoble (une agglomération majoritairement socialiste) sur l’Aire de Grand Passage des Gens du Voyage, au Rondeau, ils se voient obligés de renvoyer en Roumanie les 2 ainés de leurs enfants. Restent 2 garçons et une fille qui ont entre 2 et 5 ans. Les conditions sanitaires sur ce camp sont épouvantables. Des feux de palettes servent à cuire la nourriture. Des tentes Quechua, font fonction d’habitat. Ce sont des tentes pour 3 places, ils sont 5 ; impossible d’y faire autre chose que dormir, on ne peut même pas s’y tenir tous assis. De plus elles sont numérotées, histoire d’éviter l’appel d’air. Mais c’est l’été l’herbe est encore verte et les oiseaux chantent.
2) Changement de situation : l’hôtel Lux
Mi-Octobre, la mère enceinte depuis 8 mois et demi est prise de contractions. Elle n’avait jamais vu de médecins autre que ceux de la maraude de Médecins du Monde sur le camp, ni eu d’échographie ni aucune rencontre médicale pré-natale (anésthésiste,...). Un membre du Collectif Solidarité Roms l’amène aux Urgences Gynécologie de la Maternité de La Tronche. C’était une fausse alerte, des examens sont faits et elle rentre au camp retrouver la vie sous la tente en cet automne pluvieux qui transforme le camp en une zone boueuse.
Mais là, les choses changent, les autorités alertées, ont tout d’un coup mis en place une solution pour la mère et les enfants au titre de la Protection mère / enfants dont la responsabilité relève du Conseil Général de l’Isère. Un responsable de Médecins du Monde est présent au moment même où la mère est ramenée au camp par le membre du Collectif. Il veut emmener mère et enfants, mais pas le père. Ce n’est qu’après de laborieuses tractations qu’il pourra être hébergé avec eux à l’hôtel social Lux, vers la gare. Nous sommes vendredi 15 Octobre au soir vers 19h.
Cependant le lendemain, surprise : on retrouve la famille au grand complet sous la tente au Camp du Rondeau. En effet l’hôtelier a refusé la famille, un fax étendant l’accueil à toute la famille n’étant pas arrivé, Médecins du Monde a ramené la famille au camp. C’est le week-end et tout est bloqué.
3) Un hébergement inadapté et qui devient vite problématique.
Lundi matin tout est arrangé, la famille s’installe dans les 2 chambres qui lui sont destinées par le Conseil Général de l’Isère. Mais quand le père se rend sur le camp pour récupérer toutes leurs affaires personnelles, surprise, les barbares sont déjà passés. Un cadre des Services Techniques du CCAS de Grenoble a déjà envoyé une équipe pour arracher la tente et en jeter tout le contenu dans la boue du camp.
La vie continue, la mère enceinte revient chaque jour au camp pour pouvoir se faire à manger avec ses enfants. Chose impossible à l’hôtel ; le camp est bien le seul lieu où l’on peut le faire, d’abord sur les feux de palettes, comme avant, puis, à partir du 10 novembre, sur l’une des 3 cuisinières à gaz de la Salle Commune qui avait été construite.(cf. http://grenoble.indymedia.org/2010-...)
Les 19 et 20 Octobre le CCAS de Grenoble, épaulé par la Police Municipale et les services de la Propreté Urbaine, mènent par deux fois une tentative d’expulsions illégales sur le Camp des Roms du Rondeau. Le père, pourtant hébergé à l’hôtel social, solidaire de ceux qui sont restés sur le camp, fait partie de ceux qui s’y opposent. Une solidarité qui sera sans doute une des causes de l’acharnement futur des autorités sur cette famille (« Ils sont durs à gérer... ») (cf.http://grenoble.indymedia.org/2010-...). Pèsera sans doute aussi dans la balance la participation pacifique du père aux différentes manifestations de l’automne social grenoblois (cf. http://grenoble.indymedia.org/2010-...).
4) Une nuit mémorable : la naissance d’Aurora.
Dans la nuit du 31 Octobre la jeune femme doit se rendre en urgence à la maternité. Aucun accompagnement n’a été prévu. C’est donc des membres du Collectif, prévenus à 2h du matin par l’hôtelier, qui l’accompagnent à l’Hôpital de La Tronche et s’occupent des enfants en plein milieu de la nuit car le père a du partir précipitamment en Roumanie pour l’enterrement de sa mère. Le CCAS averti de cette situation, n’ayant d’autre solution à proposer que de placer les enfants à la DDASS, ceux-ci sont pris en charge par une autre famille rom sur le camp.
5) La destruction du Camp du Rondeau et ses répercussions.
Le 31 novembre, profitant du Plan Grand Froid, alors que 25 cm de neige tombent sur Grenoble, M. Baïetto, Président de La Métro et M. Destot, Maire de Grenoble, s’accordent avec le Préfet de l’Isère pour fermer le camp en menaçant ses habitants d’une intervention des forces de l’ordre. Le lendemain à 10h les tracto-pelles commenceront leur travail de destruction. Avec la destruction du Camp du Rondeau, la famille n’a plus aucun point de chute, la solidarité collective lentement mise en place ayant été anéantie pour un moment. Les Roms sont dispersés.
6) Plus aucun moyen d’existence.
C’est au même moment que le versement de l’Allocation Temporaire d’Attente leur est supprimée. Le couple percevait cette Allocation, dans le cadre de la circulaire du 13 novembre 2009 qui permettait aux Demandeurs d’Asile inscrits dans le cadre de la Procédure prioritaire de pouvoir eux aussi la toucher. Et ils étaient dans ce cas, citoyens d’un pays de l’Union Européenne, immédiatement déboutés. Cette allocation si elle leur permettait de survivre sur le camp, servait surtout à l’État à palier à son non-respect de la loi, l’obligeant à héberger tout Demandeur d’Asile (cf. http://grenoble.indymedia.org/2010-...).
Pour compléter le tableau, aucune prise en charge réelle et sincère par Roms Action, cette association qui est sensée défendre les Roms et que la quasi totalité des Roms rejette on se demande bien pourquoi. Par exemple, le dossier d’AME de la famille n’a été fait qu’après l’accouchement du bébé en novembre, et ce, par les membres du Collectif Solidarité Roms. Par ailleurs les documents administratifs leur sont envoyés en français. Aucune prise en compte du fait qu’ils ne parlent pas cette langue ; ce qui est pour eux une difficulté de plus, dans le labyrinthe des démarches à accomplir. Et en ce qui les concerne le problème est encore plus grave car ils ne savent pratiquement pas lire ni écrire (cf l’absence de scolarisation des Tziganes de leur génération en Roumanie).
Quant à l’assistance sociale elle reste fantomatique, plusieurs rendez-vous décommandés, le prochain n’est prévu que pour le 13 janvier. Le dossier CAF pour une éventuelle allocation familiale suite à la naissance du bébé en France le 1er Novembre, lui, est bien fait, mais il n’y a toujours pas de réponse ni de versement.
7) Une situation inhumaine.
La famille étant complètement démunie, le père se met à faire la mendicité dans les rues de notre ville prospère. La destruction du Camp du Rondeau (cf. le communiqué de M. Baïetto, Président de La Métro et M. Destot, Maire de Grenoble : http://www.micheldestot.fr/ville-gr...) aura eu au moins un résultat bien visible, des Roms qui n’avaient jamais mendié sont maintenant à tous les coins de rue du Centre Ville de Grenoble.
La situation déjà difficile à l’hôtel avec 4 enfants en bas âge qui vont passer leurs journées dans la boue du camp, ne peut qu’empirer. Sans moyens de déplacements, les parents se résolvent à déposer à l’OFII une demande de « retour volontaire ». Mais l’État, vertement tancé par une opinion publique qui est maintenant passée à autre chose, a suspendu les vols de charters. Aucun charter en direction de la Roumanie, n’a été organisé au départ de Grenoble depuis le 21 Septembre. Les Roms fuient tant bien que mal par leurs propres moyens ; et ils sont de plus en plus nombreux à le faire.
« Ah, vous vouliez nous obliger à les accueillir selon la loi européenne, dans la dignité ! Eh bien, en leur rendant la vie impossible, les conditions climatiques aidant, nous allons tout faire pour qu’ils n’aient qu’une seule ressource, la fuite. Et puis si on en faisait trop pour eux, ça provoquerait un appel d’air. Et puis ce ne sont pas au final les petits gauchos qui se prendront dans les dents le vote FN du prolétariat tenté par le racisme, lors d’une élection qui elle est le sujet de toute notre attention et qui s’annonce vouloir mettre en concurrence les surfeurs virtuoses du Tout Sécuritaire. »
Lundi 20 Décembre au matin, alors que l’hiver, le gel, la neige, sont bien là, durablement, cette famille est priée par le Conseil Général de l’Isère de quitter l’hôtel social. Certes peu habitués à la vie en hôtel avec leurs 4 enfants, ils ont laissé leur chambre se dégrader et n’ont pas toujours eu une attitude bien responsable, mais était-ce une raison suffisante pour les chasser ainsi. L’ordre leur est donné de se rendre par leurs propres moyens au Centre d’Accueil Municipal (CAM) à 14h ; aucune assistance n’est prévue : comment transporter à pied toutes leurs affaires (poussette, lit pour bébé,...) tout en donnant la main aux 3 enfants et le bébé dans les bras ? Seuls ils ne pouvaient le faire. Ce sont des membres du Collectif prévenus par l’hôtelier qui ont dû mettre 2 véhicules à leur disposition.
Arrivés à 14h sur les marches du Cam, alors qu’un vent glacial souffle sur Grenoble, on leur indique à travers une porte qui ne sera qu’entr’ouverte, qu’ils peuvent bénéficier de tickets gratuits et aller attendre en fin d’après-midi un bus qui leur permettra de rejoindre un Centre de Vacances isolé à 1100 m d’altitude, dans le hameau de Bens au Sappey en Chartreuse (dans le cadre du dispositif Edelweiss). Une pièce leur y est destinée.
Arrivés en haut, toujours accompagnés par des gens du Collectif, malgré la qualité de l’accueil et des locaux, la peur de l’isolement total est la plus forte et ce n’est pas l’assurance d’une navette une fois par jour vers Grenoble qui les rassure. Même les membres du Collectif, qui essaient de leur faire comprendre que c’est la seule solution immédiate qui leur est offerte par les autorités, n’arrivent pas à les convaincre de rester là. Triant vaguement quelques affaires essentielles, ils fuient sur la route verglacée avec le bébé d’un mois et demi dans la poussette.
Le soir ils dormiront à Grenoble dans le fameux garage qui a servi à parquer les Roms après la destruction du Camp du Rondeau : il s’agit d’un local industriel, simple hébergement de nuit, qui a été réouvert par le Préfet qui joue au yo-yo avec les niveaux du Plan Grand Froid. Tout le monde à la rue à 8h et réouverture aléatoire chaque soir à 18h. A Grenoble la météo est franchement glaciale. Depuis le 20 Décembre ils dorment là. Chaque matin les membres du Collectif alertent le 115, les médias, allant jusqu’à installer la famille dans le hall de la Maternité de l’hôpital de La Tronche. Quelques radios sensibilisées viendront, alerteront sur leur cas ; un reporter du Dauphiné Libéré viendra, prendra des photos mais aucun article ne sera publié.
- La mère elle aussi, en compagnie des enfants, du bébé de 2 mois, s’est mise à mendier quelques heures par jour. Allant de l’Accueil SDF, au Secours Catholique, à Point d’Eau, le parcours du combattant de cette famille harassée se termine chaque soir dans le garage du 19 de la rue Prosper Mérimée, un lieu gardé par des vigiles, interdit à la presse. Il a été fermé par la Préfecture ce matin 27 Décembre à 8h. Et la Municipalité de Grenoble semble être l’une des seules parmi celles des grandes villes de France a ne pas avoir ouvert d’équipement collectif.
- On en est là, hier c’était Noël, dans quelques jours ce sera le Nouvel An, demain encore, il leur faudra appeler, ou faire appeler plutôt, vu leur méconnaissance de notre langue, pour pouvoir « bénéficier » d’un simple accueil de nuit qui reste problématique à cette heure.
Qu’en est-il des Droits de l’Homme, des Droits des enfants, des Droits des peuples ?
Qu’en est-il de la législation Européenne ?
Qu’en est-il de l’obligation de la protection de l’enfance ?
Qu’en est-il de l’Humanité ?
Jusqu’où ira-t-on dans l’acharnement ? Jusqu’où ira-t-on dans l’abjection ?
On ne peut rester silencieux sans être complices ?
Va-t-on laisser continuer longtemps cette guerre sociale faite aux pauvres, en Europe, en France, ici à Grenoble ?
Grenoble le 27 Décembre 2010 Françoise Navailh, Léo Jégou, Lucien Eymard, Dominique Jégou, membres du Collectif Solidarité Roms
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