Dix ans
Une parenthèse se referme. Le XXIe siècle avait tragiquement démarré à New York, le 11 septembre 2001. A l’époque, l’effondrement du communisme semblait être l’événement fondateur d’un temps désormais sans histoire, capitalisme et démocratie n’ayant plus d’adversaire mais la planète à conquérir. Les attentats du World Trade Center marquèrent la fin de cette douce euphorie et l’entrée dans un monde illisible, impensable, aussi stupéfiant que l’image des deux avions percutant les tours jumelles. Al-Qaeda devenait alors un nom commun, Ben Laden la figure de l’ennemi universel. Et une contre-histoire de la mondialisation se trouvait écrite : celle d’un mouvement fonctionnant comme une entreprise de mort multinationale, déployant ses franchises de la terreur, pratiquant la délocalisation du jihad. Retournant, aussi, la modernité technique et médiatique pour faire d’Internet, des chaînes d’information en continu, le vecteur et les écrans d’un terrorisme qui se propageait par les mêmes canaux que la démocratie. Et ouvrait, en son cœur, un autre front. Car, comme le soulignait Jacques Derrida, Al-Qaeda ne se contentait pas de perpétrer des attentats. Elle mettait également la démocratie en contradiction avec elle-même : quelles réponses des sociétés fondées sur le droit peuvent apporter à des mouvements qui entendent les anéantir ? L’administration Bush fit le choix de sortir des cadres démocratiques : enfermements arbitraires, torture, surveillance des citoyens, mépris du droit international. Autant de décisions dont se payent, aujourd’hui encore, les conséquences à Guantánamo, en Irak et, sur un autre registre, en Afghanistan. Autant de dispositifs difficiles, peut-être impossibles, à démanteler. Et c’est l’autre effet de cette décennie : avoir entériné un recul sans précédent des libertés publiques, avoir cédé à la rhétorique toxique de la guerre des civilisations. Personne ne sort donc indemne d’un tel moment. En plus de ses effets politiques et géopolitiques, certaines de ses pathologies les plus profondes agissent encore. D’où cette joie mauvaise, gênante, inédite en démocratie, qui a soufflé hier sur les rues de New York. D’où la suspicion à l’égard des musulmans, qui frappe aussi bien les inconnus que Barack Obama, «accusé» par la droite dure américaine d’être du côté de l’islam, c’est-à-dire des ennemis. Le délire raciste se nourrissant ici d’une démence complotiste qui a retrouvé de la vigueur dès le 11 Septembre. Ben Laden restera comme l’anamorphose de la décennie. Sa mort est celle d’un des visages du terrorisme. Il en existe d’autres, qui restent en activité, se revendiquent de lui et auront à cœur de le venger. Nous changeons cependant de décennie, et le printemps arabe écrit une autre histoire qui, d’ores et déjà, restera comme l’envers du 11 Septembre.
NICOLAS DEMORAND
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