Débat : Le nucléaire après Fukushima ?
Cécile Duflot; Secrétaire nationale d’Europe Ecologie-Les Verts et
Nathalie Kosciusko- Morizet; Ministre de l’Ecologie, du Développement durable, des Transports et du Logement.
Fukushima ! Jour après jour cette nouvelle catastrophe nucléaire joue les prolongations, rejoignant Tchernobyl au sommet des désastres industriels. Tchernobyl nous était apparu comme la conséquence d’un système d’économie dirigé. Désastre qui ne saurait atteindre le monde libre et l’économie de marché. Fukushima, signe la défaite de cette prétention. Après Tchernobyl, tous les experts du nucléaire prophétisaient que les leçons seraient tirées interdisant tout nouvel incident. Vingt-cinq ans ont passé et la globalisation ultralibérale se révèle aussi inefficace en la matière que le système communiste. Fait plus inquiétant, ce drame survient au Japon, pays que l’on imaginait doublement immunisé pour ce genre de sinistre : par son excellence technologique, par le terrible traumatisme laissé par Hiroshima et Nagasaki. Il nous oblige à reconsidérer radicalement la question du nucléaire, des énergies nécessaires à nos modes de vie, ainsi que la foi aveugle que l’on avait dans le progrès. Alors, sortir du nucléaire ? Pas si simple ! Changer de mode vie, renoncer à nos hôpitaux, TGV, à notre capacité de production industrielle, jusqu’où ? Les énergies alternatives sont loin de remplacer les centrales nucléaires en capacité. Faut-il sortir du nucléaire ? Peut-on le faire évoluer pour garantir sa sûreté et en combien de temps ? La France peut-elle avoir son Fukushima ? Quel nucléaire après Fukushima ?
Nathalie Kosciusko-Morizet : Difficile de parler maintenant d’un après Fukushima car nous sommes encore dans la crise. L’urgence est d’aider les Japonais qui craignent d’être mis à l’écart d’un point de vue économique mais aussi humain. Fukushima doit d’abord permettre de faire bouger les choses en matière de sûreté nucléaire. Aujourd’hui, il n’existe pas de normes contraignantes à l’international, c’est pourtant indispensable. Le président de la République a demandé qu’au moment du G20, on prenne des initiatives pour essayer de combler cette lacune. Au niveau national, l’urgence est de répondre à la question angoissante et très légitime que nous posent beaucoup de Français : est-ce que ça peut arriver chez nous ? La première réponse, c’est l’audit, commandé par le Premier ministre, des installations nucléaires de base qui doit permettre une meilleure compréhension des systèmes de sûreté de chaque centrale. Le choix nucléaire est un choix très engageant qui suppose des débats périodiques, un minimum de consensus national, un niveau de sûreté maximal et une transparence totale. Cette catastrophe repose aussi la question du mix énergétique. Le premier sujet devrait être la question de l’efficacité énergétique et de l’énergie gâchée. La réalité, c’est qu’il n’y a pas de système de production d’énergie qui n’ait pas d’inconvénient. L’efficacité énergétique est une industrie dans laquelle nous avons des champions industriels comme Saint-Gobain. C’est aussi un domaine où les emplois sont non délocalisables. Un certain nombre d’outils de politique publique ont été développés par le Grenelle de l’environnement, ils devraient gagner plus de lisibilité à l’occasion de cette catastrophe. Dans le bâtiment, nous avons mis en place le prêt à taux zéro plus pour le neuf. Le programme Habiter mieux encourage la réhabilitation. 1,3 milliard d’euros a été dégagé pour subventionner les travaux des propriétaires modestes dont la facture énergétique dépasse 10% des revenus. Je suis convaincue que les énergies renouvelables ont toutes sortes de vertus, notamment celle d’être vecteur d’innovation. Encore faut-il que l’on s’organise pour que l’innovation nous concerne, crée de l’emploi chez nous. J’ai poussé au lancement d’un grand appel d’offres sur l’éolien offshore, 3 gigawatts d’un coup pour pouvoir développer une industrie nationale. Nous avons les moyens de devenir leaders mondiaux de l’éolien offshore. Les objectifs du Grenelle en matière d’énergies renouvelables, c’est de passer de 10% à 23%. Pour le reste, même mettant l’accent sur l’efficacité énergétique, même en soutenant les énergies renouvelables, il faudra toujours de l’électricité de base et l’énergie nucléaire continue à faire partie de ce bouquet.
Cécile Duflot : Il n’y a pas de système de production énergétique qui ne présente d’inconvénient, d’accord. Mais la catastrophe nucléaire n’est pas un inconvénient. Le drame de Fukushima était non modélisé, personne n’avait travaillé sur le scénario qui se déroule parce qu’il n’existait pas. Tout le problème de la production d’électricité nucléaire réside dans ce risque infime mais réel de la catastrophe dont la particularité est son ampleur considérable dans l’espace et dans le temps. Peut-on être sûr que ça n’arrivera jamais en France ? Non, même si la probabilité est extrêmement faible. La question fondamentale, c’est la question de la prise en compte du risque. Les écologistes souhaitent que l’on décide de manière assumée et politique qu’un risque aussi considérable ne doit pas être engagé surtout quand on peut substituer à cette production d’électricité nucléaire un autre type de production. En 1973, Pierre Messmer lance le programme électronucléaire, 4 à 6 réacteurs par an sont construits jusqu’en 1985. Cela a été le fruit d’un volontarisme politique extrême qui a permis de faire de la France un champion industriel, une rareté à l’échelle de la planète, qui produit 80% de son électricité par la production nucléaire. Le nucléaire est devenu l’ego de la France. A l’époque, la question des déchets avait déjà été identifiée mais elle devait se résoudre rapidement. Aujourd’hui, personne n’ose dire qu’on trouvera une solution pour désactiver les déchets radioactifs. L’horizon de sortie du nucléaire peut être du même ordre : un acte volontaire, politique, concerté. Il ne s’agit pas de fermer les centrales nucléaires du jour au lendemain, mais de dire qu’un scénario de sortie d’ici à vingt, vingt-cinq ans, à qualité de vie égale, est possible. Nous pouvons faire autrement, c’est donc une question de choix politique, pas de choix technique.
Nathalie Kosciusko-Morizet : Je n’irai jamais dire que la catastrophe de Fukushima est un inconvénient, c’est une catastrophe, mais je persiste à dire qu’on ne peut pas instantanément passer d’un mode d’énergie à l’autre. On se ment en faisant des propositions qui ont l’air séduisantes mais qui d’un point de vue économique, n’ont pas de réalité. Si on voulait fermer quelques centrales nucléaires et les remplacer par des centrales à gaz, il faudrait 30 milliards d’euros d’investissement et une multiplication par 8 des émissions spécifiques du secteur électrique en CO2. Et si on voulait tout transformer en énergie éolienne ou en énergie photovoltaïque, ça ne serait pas possible. Les énergies renouvelables sont des énergies intermittentes, on ne pourrait donc pas produire la quantité nécessaire et ça coûterait plus cher. Et puis, l’éolien est encore très mal accepté.
Cécile Duflot : Des attaques scandaleuses ont été faites contre l’éolien. On a dit qu’on ne pouvait pas descendre en dessous de l’installation de cinq éoliennes simultanément. Des obligations sont faites aux producteurs et installateurs d’éoliennes de devoir provisionner les coûts du démantèlement. Mais si on avait obligé les installateurs de centrales nucléaires à provisionner les coûts du démantèlement, je pense que jamais on aurait installé de centrales nucléaires. Cette règle aurait dû être mise en place dans les années 60. On est dépendant à 80% d’une source d’énergie. Il faudrait installer de façon globalisée 25 000 éoliennes, ça peut sembler important, mais on a aujourd’hui 280 000 pylônes à très haute tension. Il y a une accoutumance collective à l’existence ces pylônes. Le nucléaire a conduit au gaspillage massif de l’électricité. Il faut se déshabituer de ce modèle très concentré avec des pylônes à très haute tension. Nous devons discuter sur le fond du scénario de sortie, c’est en cours en Allemagne. La France et le Japon sont les deux seuls pays à s’être mis une espèce de cloche sur la tête qui nous empêchait de réfléchir, les Japonais vont y être contraints dans des conditions extrêmement douloureuses. Si on pouvait avoir cette réflexion sans avoir besoin d’être confronté à une difficulté d’une aussi grande ampleur ce serait quand même plus intelligent. Pendant longtemps, les énergies renouvelables ont été maltraitées parce qu’il ne fallait faire de concurrence à l’énergie nucléaire. Les ingénieurs qui ont travaillé sur les énergies renouvelables ont été caricaturés et ils disposaient en moyenne de 2% des crédits de recherche en matière énergétique quand le nucléaire a disposé de 98% des crédits de recherche.
Nathalie Kosciusko-Morizet : Il faut savoir que l’Allemagne nous achète maintenant l’électricité, et va nous en acheter de plus en plus. Pendant longtemps les énergies renouvelables ont été maltraitées. Mais depuis le Grenelle de l’environnement, ce n’est plus le cas. Et si vous regardez le grand emprunt, la plupart des appels à projet récent ont été lancés en faveur de l’industrie d’énergie décarbonée. La proportion entre nucléaire et énergies renouvelables dans le grand emprunt est sans commune mesure avec ce qui a pu exister dans le passé en France.
Cécile Duflot : Des efforts existent mais ils ne sont pas suffisants. Une des alternatives, c’est aussi la géothermie profonde. C’est une source de production de chaleur immédiate notamment en zone urbaine qui est très peu coûteuse. Elle a été sacrifiée à la fois dans le développement du chauffage électrique et comme nous étions dans une période de pétrole peu cher, à court terme, les usines géothermiques donnaient l’impression de coûter plus cher. Dans le domaine de l’eau sanitaire, on est ridicule. Suivant la composition de votre famille, de l’ensoleillement et la taille de vos toitures, entre 30% et 70% de vos besoins en eau chaude sanitaire peuvent être fournis par un système solaire qui n’est pas du photovoltaïque et qui est peu coûteux. Des techniques simples existent, mais en termes d’investissement, elles sont très peu développées par rapport à ce qui devrait être. Il y a un choix volontariste qui doit être fait. Mais il ne pourra être fait tant que la décision de sortir du nucléaire ne sera pas prise. Quand on est en train de construire des EPR [réacteurs de 3e génération à eau pressurisée, ndlr] quel est l’intérêt de vouloir développer de façon massive les techniques permettant les économies d’énergie et d’énergies renouvelables ? Ce n’est pas très logique.
Nathalie Kosciusko-Morizet : Vous n’utilisez pas le mot, mais vous voulez nous faire croire qu’il y a en fait un complot pronucléaire qui empêche les énergies renouvelables de se développer. Si c’était le cas, pourquoi dans le Grenelle de l’environnement se serait-on fixé un objectif de 23% qui n’a jamais été aussi ambitieux ? Pourquoi aurait-on mis autant d’argent du grand emprunt dans les énergies renouvelables ? Pourquoi aurait-on créé le crédit d’impôt développement durable ? Je crois beaucoup aux énergies renouvelables mais il faut les développer pour que l’emploi en France en profite et non en important des panneaux solaires chinois.
Cécile Duflot : Je ne crois pas à un complot organisé avec des réunions secrètes au sous-sol de la centrale de Nogent-sur-Seine. La réalité c’est que nous sommes en retard. Regardez ce qui se passe en Finlande, Siemens a décidé de rompre son contrat avec Areva, ce qui montre que l’avenir du nucléaire est plus difficile qu’on ne l’imagine. Il faut commencer par arrêter la construction des deux EPR en cours : ne pas lancer Penly et arrêter Flamanville parce que cela ne va pas dans le sens de l’histoire. Il faut arrêter avec «soit la bougie, soit les émissions de gaz à effet de serre». Nous devons travailler sur un plan à moyen terme qui permet par l’efficacité énergétique et les énergies renouvelables de sortir du nucléaire, sans émission supplémentaire de gaz à effet de serre.( photos C.V.: Congrès fondateur EELV)
Débat animé par Max Armanet Retranscrit par Anastasia Vécrin
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