"Non, les femmes violentées n'aiment pas être frappées"
Le 25 novembre était la Journée internationale contre les violences faites aux femmes, mais ne persiste-t-il pas, dans la société, une certaine indulgence à ce sujet ?
La politique publique de lutte contre les violences faites aux femmes s'est beaucoup affirmée ces dernières années, notamment en matière de protection des victimes, répression des auteurs et prévention des comportements violents. Néanmoins, l'indulgence à l'endroit de ces comportements reste encore trop prégnante dans les mentalités, y compris de la part de certains professionnels. Les difficultés à voir la parole et les plaintes des victimes être prises en considération en témoignent.
Les 25 associations du Collectif grande cause nationale 2010 se sont, de ce fait, engagées pour sensibiliser davantage le public aux violences faites aux femmes et à leurs conséquences. Il convient, en effet, de prendre conscience de l'importance et de la gravité de toutes les formes de violences commises contre les femmes. Elles ne se réduisent pas aux seules violences commises au sein du couple. Il faut y ajouter les viols, violences sexuelles au travail, mariages forcés, mutilations sexuelles et la prostitution.
Que prévoit la loi du 9 juillet 2010 ?
Désormais, les victimes de violences au sein du couple peuvent bénéficier d'une ordonnance de protection délivrée en urgence par le juge aux affaires familiales. Cette ordonnance permet notamment l'éviction du conjoint violent, la dissimulation du domicile ou de la résidence de la victime, l'adoption des modalités d'exercice de l'autorité parentale, l'attribution de la jouissance du logement familial et la contribution aux charges du ménage. Ces mesures sont prises pour une période de quatre mois, renouvelable une fois en cas de demande de divorce. L'ordonnance peut aussi bénéficier aux personnes majeures menacées de mariage forcé et, dans certains cas, permettre la délivrance ou le renouvellement d'un titre de séjour.
Cette ordonnance, que beaucoup d'associations attendaient depuis longtemps, est une grande avancée pour la sécurité des victimes. De surcroît, elle permet l'admission provisoire à l'aide juridictionnelle, ce qui n'est pas négligeable pour nombre de femmes victimes ne disposant pas de ressources propres. Concernant la protection des enfants, elle renforce l'exercice du droit de visite dans des espaces de rencontre en présence de professionnels. Cette loi permet également, sous certaines conditions, le placement sous surveillance électronique mobile - un bracelet - des auteurs de violences conjugales.
Les associations se sont mobilisées pour faire évoluer la législation. Le relais a été pris par les parlementaires. Cette loi, adoptée à l'unanimité, ne remplira toutefois son office qu'à la condition que de réels moyens financiers soient dégagés.
Que pensez-vous du délit de violences psychologiques que cette loi introduit ?
La loi crée un délit de harcèlement au sein du couple, délit au sujet duquel le Centre national d'information et de documentation des femmes et des familles (CNIDFF) a exprimé des réserves. Nous considérons que ce nouveau délit, dont les faits constitutifs seront difficiles à objectiver, risque de se retourner contre les victimes.
Nous constatons que pour justifier leur comportement, la majorité des agresseurs considèrent que les victimes sont elles-mêmes responsables des violences délictuelles, voire criminelles, qu'ils leur infligent. Dès lors qu'elles réagissent par des mots, des cris pour échapper à la violence et à la volonté de contrôle des agresseurs, ces réactions légitimes sont souvent utilisées par les agresseurs à leur profit pour se déresponsabiliser des faits commis. Nous risquons donc d'assister à une multiplication des plaintes pour harcèlement déposées par les auteurs dès lors que leurs victimes auront déposé plainte pour violences.
Plainte contre plainte, nous craignons que victimes et auteurs ne soient renvoyés dos à dos, que les classements sans suite ou les non-lieux se multiplient et ce au détriment des vraies victimes. C'est pourquoi le CNIDFF sera vigilant à alerter les pouvoirs publics sur les effets de l'application de cette nouvelle disposition qu'il souhaite voir évaluée.
Le 39-19 est-il efficace ?
Ce numéro, comme celui de "SOS-Viols femmes informations, 0-800-059-595" anonyme et gratuit, est utile. Le 39-19 est un numéro national d'écoute et d'orientation des victimes de violences conjugales. Mis en place par les pouvoirs publics, il est géré par l'association Solidarité femmes.
Quelle est la fonction du CNIDFF ?
Le CNIDFF dirige un réseau de 114 centres locaux. Nos associations sont dotées d'une mission d'intérêt général d'information globale sur les droits et sont largement composées de juristes (plus de 880 000 demandes traitées en 2009). Nous informons et accompagnons toutes les femmes victimes de violences (plus de 50 000, en 2009). Nous travaillons aussi en lien avec des structures d'hébergement. Notre réseau, qui existe depuis 1972, dispose, aujourd'hui, de 1 200 points d'information en France.
Quels sont les vrais chiffres des violences faites aux femmes ?
L'Observatoire national de la délinquance, dans sa dernière enquête, en 2009, estime que 305 000 femmes ont été victimes de violences physiques ou sexuelles intra-ménage et 445 000 hors ménage. Dans la majorité des cas, l'auteur des faits est issu de l'entourage proche de la victime, amis, famille, voisins, relations de travail.
En 2009, le ministère de l'intérieur a recensé 140 femmes décédées à la suite de violences au sein du couple, 25 hommes (dont certains étaient auteurs de violences) et 10 enfants victimes de leur père ou mère.
Cependant, on ne doit pas céder à l'idée d'un déterminisme qui autoriserait à penser que, par nature, les hommes seraient plus violents que les femmes et les femmes plus enclines à devenir victimes. De même, s'il est vrai que de nombreux agresseurs ont été victimes dans leur enfance, il faut souligner que la majorité des enfants témoins ou victimes de violences ne deviendront jamais agresseurs.
Les violences faites aux femmes trouvent essentiellement leur source dans une société qui reste patriarcale malgré l'évolution du droit et des mentalités et qui, pour partie, conditionne donc les comportements. Une éducation au respect et à l'égalité reste indispensable pour prévenir les violences.
Un livre vient de paraître, "Frapper n'est pas aimer" (de Natacha Henry, Denoël, 320 p., 18 euros). On y combat notamment la croyance selon laquelle les femmes qui ne quittent pas leur conjoint violent seraient excessivement passives ou aimeraient être frappées.
Les violences, particulièrement leur récurrence, plongent toujours les victimes dans la peur, l'isolement social et familial, la dépendance psychique et souvent financière à l'agresseur. Sous emprise et sous contrôle, leur liberté de décision est particulièrement altérée. Rester c'est l'enfer, mais partir c'est se confronter à un vide abyssal.
Non, les femmes violentées n'aiment pas être frappées. Il ne faut pas confondre le fait de céder sous la menace et les coups avec celui de consentir à la violence. Au moment où les victimes décident de partir, il est nécessaire qu'un maillage s'organise pour les informer et les accompagner, le cas échéant, les abriter dans des lieux sûrs ainsi que leurs enfants. Peut-être n'y resteront-elles que peu de jours. Partir définitivement, c'est tout un apprentissage.
Un lien d'emprise ne se défait pas facilement. Il faut du temps pour retrouver confiance en soi, retisser des liens sociaux et familiaux, apprendre à redevenir actrice de sa propre existence.
Annie Guilberteau
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