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vendredi 8 octobre 2010

Il y a 67 ans : L'autre mémoire...



Robert Paxton : « Une découverte majeure » sur Pétain et Vichy

Dans une interview, l'historien américain Robert Paxton, auteur de « La France de Vichy » (1973) et de « Vichy et les Juifs » (1981), fait part de sa surprise au sujet du document exhumé par Serge Klarsfeld -l'une des premières versions du Statut des juifs de 1940, annotée par Philippe Pétain lui-même.

Ce document montre que le chef de l'Etat français avait exigé un durcissement de ce texte qui définissait ce qu'était un juif et dressait la liste des professions devant lui être interdites.

Selon Paxton, si l'authenticité du texte est confirmée, il s'agit d'une découverte « majeure », qui remet en cause l'image d'un maréchal « indifférent » aux initiatives antisémites de ses ministres.

Ce document représente-t-il une découverte historique importante ?

Robert Paxton : « C'est une découverte très importante, une découverte qui change le regard sur cette période.

Les gens me demandent souvent si j'ai eu vent de nouvelles révélations sur la période de Vichy, et je leur réponds généralement que ce n'est pas le cas. Là, on tient une révélation. Pétain ne s'affichait pas comme antisémite en public, dans ses discours.

La plupart des historiens, et c'était aussi mon cas, pensaient jusque-là que Pétain faisait preuve, sur la question du traitement des juifs, d'indifférence, qu'il laissait les antisémites radicaux de son entourage préparer les mesures. Pétain, pensait-on, n'était pas lui-même directement actif.

Si son authenticité est validée, ce document montre, pour la première fois, que Pétain était lui-même engagé dans la préparation du statut des juifs, et qu'il a même insisté pour le rendre plus sévère encore. C'est un vrai changement. »

Pourtant, dès 1948, Paul Baudoin, secrétaire d'Etat à la présidence du Conseil et ancien ministre, avait raconté dans ses mémoires que Pétain, lors d'un conseil des ministres, avait durci le texte : « Le statut a été étudié pendant deux heures, c'est le Maréchal qui se montre le plus sévère : “Pas un juif dans la justice, pas un juif dans l'enseignement” », écrit-il. Vous même avez évoqué ce témoignage dans « Vichy et les Juifs »…

« C'est vrai, mais nous étions restés assez sceptiques vis-à-vis de ce témoignage isolé. Les historiens sont très prudents sur les faits qui sont rapportés dans les mémoires écrits juste après la guerre.

Aujourd'hui, on est en présence d'un document qui confirme exactement le récit de Paul Baudoin. Il faudra évidemment l'étudier soigneusement pour être sûr de son authenticité, non seulement par des analyses graphologiques, mais aussi par l'étude du papier utilisé. »

Comment expliquez-vous que ce document ait été caché pendant des décennies, conservé dans des mains privées -c'est un donateur anonyme qui l'a confié au Mémorial de la Shoah- ?

« C'est pour moi une autre surprise. En principe, les archives sont très bien tenues, et ce document aurait dû y figurer.

On peut faire des hypothèses : par exemple, il a pu être retiré par quelqu'un qui voulait protéger le maréchal Pétain, au moment où le vent tournait, à la fin de la guerre. Mais c'est une pure conjecture… »

Comment expliquez-vous que Pétain ait insisté pour durcir le statut des juifs ?

« Ce document nous apprend que Pétain a insisté pour que les juifs soient exclus de l'enseignement et des professions judiciaires.

Pour ce qui est de l'enseignement, je pense que cela vient de sa détestation des instituteurs, qu'il a mainte fois exprimée. Dès les années 30, il fustigeait les instituteurs, coupables selon lui d'être pacifistes et d'affaiblir le moral de la nation, la nécessité de la discipline, de l'obéissance… »

Lorsque vous avez publié « La France de Vichy », cela a été un choc en France. Avez-vous l'impression que l'histoire de cette période est désormais correctement traitée en France ?

« Je suis très favorablement impressionné par les travaux des historiens français sur cette période depuis une vingtaine d'année. Les livres publiés sont très sérieux et précis.

Mais ce savoir ne passe pas forcément dans l'opinion. De même que les Américains rechignent à lire des livres sur l'esclavage ou le traitement des indiens, de nombreux Français préfèrent ne pas entendre cette partie de leur histoire. »

Pétain était un salaud : une vérité qui peine à s'imposer

Bizarre comme en France est prégnante l'idée que Pétain, finalement, n'était pas un vrai salopard. Qu'il n'était pas à 100% responsable des atrocités de Vichy. Qu'il cherchait sincèrement à être « le bouclier » qui protégeait les Français face aux nazis allemands (pendant que le « glaive » de Gaulle se préparait à Londres). Qu'il était le héros de Verdun ayant fait « don de sa personne » à la France, pour lui éviter « le pire ». Ou alors qu'il était un vieillard inerte manipulé par son entourage…

Prenons l'affaire du document exhumé dimanche par Serge Klarsfeld, une des premières versions du statut des juifs (octobre 1940), annotée de la main même du Maréchal. Elle a récemment été donnée par un citoyen anonyme au Mémorial de la Shoah à Paris. Ce que l'on apprend, comme le souligne Serge Klarsfeld, c'est que « Philippe Pétain avait annoté ce texte du 3 octobre 1940 et qu'il l'avait aggravé ».

Pour lancer son sujet, RTL choisit cette formule : « Pour ceux qui doutaient encore de l'antisémitisme du maréchal Pétain, un document devrait leur ôter toute illusion… »

Il y aurait donc des gens qui doutent encore ?

L'AFP de son côté précise qu'aux yeux de Serge Klarsfeld, « le principal argument des défenseurs de Pétain consistant à dire que le maréchal avait protégé les juifs
français tombe avec la découverte de ce document ». Il y aurait donc en France des défenseurs de Pétain qui pensent qu'il a « protégé les juifs » ?

« Allumer des contrefeux pour préserver la forêt de l'incendie »

On peut comprendre que tels débats aient pu avoir lieu dans les années 70. A l'époque, Maurice Druon accueillait Maurice Rheims à l'Académie française en déplorant « cette triste période où les lois de l'occupant furent relayées, hélas, par un Etat captif ». Le statut des juifs, pensait-on alors, « ne déshonorait que les Allemands ».

Le mois dernier, j'ai croisé chez des amis Robert Paxton, co-auteur de « Vichy et les juifs ». Le livre, qui a tordu le coup à ces calembredaines, n'est pas nouveau : il a été publié en France en 1981 ! Je me suis depuis replongé dedans. Impossible de croire une seconde, à la lecture de ce livre, que Pétain ait pu ne pas être responsable, directement, de l'infâme statut des juifs.

Ce fut un texte de portée constitutionnelle, l'un des premiers textes du gouvernement de Vichy. Le statut définissait le juif, énumérait les professions qui lui étaient interdites (officiers de l'armée, professeurs, journalistes, etc).

C'était aussi un texte de rupture par rapport aux principes juridiques français : depuis 1846, relèvent les auteurs, « aucune loi française n'avait distingué de groupe religieux ou ethnique dans la métropole pour le frapper d'incapacité légale ».

Dès la libération, ceux qui se sont plongés sur la question ont vite compris que les Allemands n'avaient pas ordonné la rédaction de ce statut. Celui qui était garde des Sceaux en 1940, Raphaël Alibert, a été jugé en 1947. On a alors cherché à démontrer qu'il avait agi, en préparant le statut des juifs, sur ordre des Allemands (et qu'il fallait donc le condamner aussi pour « intelligence avec l'ennemi »). Mais ses juges n'ont trouvé aucune preuve l'attestant.

De même, l'ancien chef du cabinet civil de Pétain, André Lavagne, toujours en 1947, expliqua benoîtement que le statut des juifs avait été rédigé pour prendre les devants, pour éviter d'avoir à importer une législation allemande plus dure encore. Il s'agissait, avait-il déclaré, « d'allumer des contrefeux pour préserver la forêt de l'incendie ».

Le statut des juifs de Vichy, plus loin que l'ordonnance allemande

Quel rôle a joué le maréchal lui-même ? Publiquement, c'est vrai, il ne parlait pas des juifs dans ses discours. Il affichait une indifférence à la question, laissant les furieux antisémites de son entourage discourir.

Mais si l'on en croit le témoignage, rédigé dès 1948, de Paul Baudouin, qui était en octobre 1940 Secrétaire général du conseil, Pétain fut « le plus sévère » de tous les participants au conseil des ministres qui discuta du statut des juifs le 1er octobre : « Il insiste pour que la Justice et l'Enseignement ne contiennent aucun juif », écrit-il dans ses mémoires !

Pas de doute, donc. Comme l'a montré magistralement dès 1981 Robert Paxton, Vichy cherchait alors à « installer un antisémitisme concurrent ou rival, plutôt qu'il se mettait à la remorque de l'antisémitisme allemand ». Et le statut des juifs de Vichy allait plus loin que l'ordonnance allemande sur les juifs. Par exemple, quand le second parlait de « religion juive », le premier désignait la « race » juive… Pour établir ces vérités, il a fallu attendre qu'un historien étranger s'en charge (Paxton a commencé ce travail en 1973, avec »La France de Vichy »).

Des vérités qui ont encore du mal à passer. Jacques Chirac -il faut lui reconnaître ce mérite- a tenté de restaurer une mémoire plus fidèle à la vérité historique, notamment dans son discours du Vel d'Hiv de 1995. Nicolas Sarkozy, lui, a pris le contrepied de cet effort, fustigeant toute idée de « repentance » et considérant que si les Allemands devaient avoir honte de leur histoire, ce n'était pas le cas de la France.

Comment rendre plus juste la mémoire collective dans un tel contexte, dans un pays où l'on peut encore croiser le portrait du signataire du statut des juifs sur certains murs officiels ?

Pascal Riché

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