Nous avons rencontré deux fois Susan George. A Lyon et au Larzac, voici la première partie de la rencontre. Nous livrerons la deuxième dans quelques jours . «Utiliser la crise financière pour sortir de la crise écologique». L'idée de Susan George, voix forte de l'altermondialisme au Forum de l'OCDE à Paris, est stimulante.
Mais inacceptable pour le monde bancaire.
Reste alors le courage des politiques. Et c'est pour faire avancer cette cause que Susan George, présidente du Transnational Institute, était mercredi au Forum de l'OCDE. Pour elle, «ce sont des institutions qu'il s'agit de faire bouger» parce qu'elles «ne font pas d'elles mêmes les changements importants, il faut des crises pour qu'elles comprennent».
Pour vous, crise financière et crise écologique sont deux facettes d'un même problème ?
Susan George: Oui, tout à fait. C'est le résultat d'une mondialisation complètement dérégulée, d'une privatisation massive, du fait que les gouvernements n'ont plus de moyens d'agir, ou pas la volonté, comme celui des Etats-Unis actuels.
Ce que je propose, c'est qu'on utilise la crise financière pour sortir de la crise écologique. Je m'explique: les moyens habituels de sortir de la récession - baisse des taux d'intérêt, dévaluation du dollar, emprunt - ne marchent plus. Et on ne peut pas continuer comme ça.
Il faut des solutions basées sur l'investissement. Donc, on empêche les banques qui ne doivent leur survie qu'à des injections massives de crédits ou des rachats purs et simples de spéculer avec leurs fonds propres.
Au contraire, on les oblige à utiliser une part de ces fonds propres pour financer des projets de construction écologiques, d'énergies alternatives, ou de tout ce qui peut contribuer à une nouvelle économie qui ne soit pas à base de pétrole ni de CO2.
Pendant la Seconde Guerre mondiale, les Etats-Unis ont converti en deux ans leur économie en une économie de guerre. Aujourd'hui, nous sommes dans une situation de guerre. Et si on veut sortir de la crise écologique, il faut un effort de cette importance.
Les rendements de ces prêts «verts» ne seront pas ceux de la bourse en pleine euphorie. Les banques ne vont pas aimer...
S.G.: Elles vont hurler naturellement. Et ils ne faut pas s'attendre à ce qu'elles s'autorégulent. Elles disent qu'elles peuvent le faire, mais c'est une farce. Il faudra que la régulation vienne de l'extérieur.
Voyez ce seul exemple: en Grande Bretagne depuis six ou sept ans, les banques ont fait des profits de 20%. C'est deux ou trois fois plus que dans d'autres secteurs de l'économie. Et bien, il est temps de dire «the party's over». Il faut mettre ça sous contrôle. La finance doit servir, elle ne doit pas nous diriger.
Aujourd'hui, tout ce qu'ont gagné les salariés depuis 100 ans, que ce soit les salaires, les conditions de travail, l'assurance-santé, les retraites, tous ces gains sont maintenant sous pression. Le capital dit, «il faut baisser tout ça, c'est trop cher».
Alors en tant que citoyens, c'est notre devoir de dire qu'un autre système financier est possible. Nous n'avons pas besoin de nous soumettre aux désirs des banquiers qui ont engrangé des profits et des salaires gigantesques.
Parce que la crise financière ne touche pas seulement les banques. Elle a un effet sur toute la société. Aux Etats-Unis, des centaines de milliers de personnes ont été jetées dehors de leurs maisons.
« La finance doit servir, elle ne doit pas nous diriger. »Pourtant, on leur avait prêté l'argent pour les acheter, et on continue à les faire vivre à crédit...
S.G.: Aux Etats-Unis, le citoyen moyen est endetté à hauteur de 136% de son salaire. Autrement dit, il doit un tiers de plus que ce qu'il gagne en une année. Toute l'économie américaine a fonctionné avec ce type de crédit On ne peut pas continuer indéfiniment dans cette voie.
N'oubliez pas que tous les fameux «produits dérivés» des banques n'existaient même pas il y a 20 ans. Il y a 10 ans, elles ont inventé la «titrisation». Procédé génial: on fait un saucisson de différents types de dettes, on le découpe en tranches et on vend ces tranches plus loin, ce qui permet d'échapper à la fois à la régulation et aux risques.
Et que voit-on depuis que les banques ont ainsi «innové ». Un cycle de bulles et de krachs. Krach – bulle, bulle – krach, c'est récurrent, nous le savons.
A la base de tout cela, n'y a-t-il pas simplement la cupidité, penchant tellement humain ?
S.G.: «'Tout pour nous-mêmes et rien pour les autres' semble avoir été depuis que le monde est monde la vile maxime des maîtres de l'humanité», disait un observateur du 18e siècle. Et ce n'était pas Karl Marx, c'était Adam Smith théoricien fondateur du capitalisme.
Finalement, pensez-vous que cette nouvelle économie pourra naître de réformes progressives, ou est-ce qu'il faudra un gros krach, comme dans les années 30 ?
S.G.: J'espère que non. Nous devons faire «comme si», dire «voilà des pistes, voilà ce que vous pouvez faire, voilà comment sortir de cette crise sans qu'elle s'aggrave».
Mais si on continue comme actuellement, ce sera à la fois une crise écologique irréversible et une crise financière extrêmement grave pour tout le monde. Pas seulement pour les banquiers.
Susan George
Susan George est née aux Etats-unis, vit depuis longtemps en France et a acquis la nationalité française en 1994Susan George est politologue, présidente de l’Observatoire de la mondialisation. En pointe sur les combats internationaux, elle a été l’un des rouages centraux de la coordination rassemblant l’ensemble des mouvements français contre l’Ami (Accord multilatéral sur l’investissement) et l’OMC. Auteur de plusieurs livres dont « Comment meurt l’autre moitié du monde » et « L’effet boomerang » , « Le Rapport Lugano » (Fayard, 2000) et dernièrement » La mondialisation libérale » (avec Martin Wolf, Grasset / Les Echos, 2002) et « Un autre monde est possible si... »(Fayard, 2004).
Mais inacceptable pour le monde bancaire.
Reste alors le courage des politiques. Et c'est pour faire avancer cette cause que Susan George, présidente du Transnational Institute, était mercredi au Forum de l'OCDE. Pour elle, «ce sont des institutions qu'il s'agit de faire bouger» parce qu'elles «ne font pas d'elles mêmes les changements importants, il faut des crises pour qu'elles comprennent».
Pour vous, crise financière et crise écologique sont deux facettes d'un même problème ?
Susan George: Oui, tout à fait. C'est le résultat d'une mondialisation complètement dérégulée, d'une privatisation massive, du fait que les gouvernements n'ont plus de moyens d'agir, ou pas la volonté, comme celui des Etats-Unis actuels.
Ce que je propose, c'est qu'on utilise la crise financière pour sortir de la crise écologique. Je m'explique: les moyens habituels de sortir de la récession - baisse des taux d'intérêt, dévaluation du dollar, emprunt - ne marchent plus. Et on ne peut pas continuer comme ça.
Il faut des solutions basées sur l'investissement. Donc, on empêche les banques qui ne doivent leur survie qu'à des injections massives de crédits ou des rachats purs et simples de spéculer avec leurs fonds propres.
Au contraire, on les oblige à utiliser une part de ces fonds propres pour financer des projets de construction écologiques, d'énergies alternatives, ou de tout ce qui peut contribuer à une nouvelle économie qui ne soit pas à base de pétrole ni de CO2.
Pendant la Seconde Guerre mondiale, les Etats-Unis ont converti en deux ans leur économie en une économie de guerre. Aujourd'hui, nous sommes dans une situation de guerre. Et si on veut sortir de la crise écologique, il faut un effort de cette importance.
Les rendements de ces prêts «verts» ne seront pas ceux de la bourse en pleine euphorie. Les banques ne vont pas aimer...
S.G.: Elles vont hurler naturellement. Et ils ne faut pas s'attendre à ce qu'elles s'autorégulent. Elles disent qu'elles peuvent le faire, mais c'est une farce. Il faudra que la régulation vienne de l'extérieur.
Voyez ce seul exemple: en Grande Bretagne depuis six ou sept ans, les banques ont fait des profits de 20%. C'est deux ou trois fois plus que dans d'autres secteurs de l'économie. Et bien, il est temps de dire «the party's over». Il faut mettre ça sous contrôle. La finance doit servir, elle ne doit pas nous diriger.
Aujourd'hui, tout ce qu'ont gagné les salariés depuis 100 ans, que ce soit les salaires, les conditions de travail, l'assurance-santé, les retraites, tous ces gains sont maintenant sous pression. Le capital dit, «il faut baisser tout ça, c'est trop cher».
Alors en tant que citoyens, c'est notre devoir de dire qu'un autre système financier est possible. Nous n'avons pas besoin de nous soumettre aux désirs des banquiers qui ont engrangé des profits et des salaires gigantesques.
Parce que la crise financière ne touche pas seulement les banques. Elle a un effet sur toute la société. Aux Etats-Unis, des centaines de milliers de personnes ont été jetées dehors de leurs maisons.
« La finance doit servir, elle ne doit pas nous diriger. »Pourtant, on leur avait prêté l'argent pour les acheter, et on continue à les faire vivre à crédit...
S.G.: Aux Etats-Unis, le citoyen moyen est endetté à hauteur de 136% de son salaire. Autrement dit, il doit un tiers de plus que ce qu'il gagne en une année. Toute l'économie américaine a fonctionné avec ce type de crédit On ne peut pas continuer indéfiniment dans cette voie.
N'oubliez pas que tous les fameux «produits dérivés» des banques n'existaient même pas il y a 20 ans. Il y a 10 ans, elles ont inventé la «titrisation». Procédé génial: on fait un saucisson de différents types de dettes, on le découpe en tranches et on vend ces tranches plus loin, ce qui permet d'échapper à la fois à la régulation et aux risques.
Et que voit-on depuis que les banques ont ainsi «innové ». Un cycle de bulles et de krachs. Krach – bulle, bulle – krach, c'est récurrent, nous le savons.
A la base de tout cela, n'y a-t-il pas simplement la cupidité, penchant tellement humain ?
S.G.: «'Tout pour nous-mêmes et rien pour les autres' semble avoir été depuis que le monde est monde la vile maxime des maîtres de l'humanité», disait un observateur du 18e siècle. Et ce n'était pas Karl Marx, c'était Adam Smith théoricien fondateur du capitalisme.
Finalement, pensez-vous que cette nouvelle économie pourra naître de réformes progressives, ou est-ce qu'il faudra un gros krach, comme dans les années 30 ?
S.G.: J'espère que non. Nous devons faire «comme si», dire «voilà des pistes, voilà ce que vous pouvez faire, voilà comment sortir de cette crise sans qu'elle s'aggrave».
Mais si on continue comme actuellement, ce sera à la fois une crise écologique irréversible et une crise financière extrêmement grave pour tout le monde. Pas seulement pour les banquiers.
Susan George
Susan George est née aux Etats-unis, vit depuis longtemps en France et a acquis la nationalité française en 1994Susan George est politologue, présidente de l’Observatoire de la mondialisation. En pointe sur les combats internationaux, elle a été l’un des rouages centraux de la coordination rassemblant l’ensemble des mouvements français contre l’Ami (Accord multilatéral sur l’investissement) et l’OMC. Auteur de plusieurs livres dont « Comment meurt l’autre moitié du monde » et « L’effet boomerang » , « Le Rapport Lugano » (Fayard, 2000) et dernièrement » La mondialisation libérale » (avec Martin Wolf, Grasset / Les Echos, 2002) et « Un autre monde est possible si... »(Fayard, 2004).
Elle est Directeur associé du Transnational Institute (Amsterdam), un institut de recherche décentralisé dont les membres se consacrent à l'étude des rapports Nord-Sud et sont engagés dans la société civile et la vie associative de leurs pays respectifs. Elle est également Présidente de l'Observatoire de la Mondialisation.
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