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lundi 20 septembre 2010

En finir avec les lapidations


Lapidation : AU BOUT DE L’ENFER AVEC SAKINEH

Torturée comme Sakineh, sa compagne de cellule pendant deux ans, la journaliste Shanhaz Ghomani vient de trouver asile à Paris. Elle raconte leur amitié et l’horreur vécue dans la prison de Tabriz, en Iran.

Année 2007, prison de Tabriz, cellule 4. C’est dans cette chambre, juste à côté du local de chaufferie où ont lieu les pendaisons, que Shanhaz Ghomani et Sakineh font connaissance. Trente cinq condamnées à mort, presque un quart des prisonnières de Tabriz, y vivent entassées. Il n’y a que quatre lits superposés, réservés aux anciennes. Celles de ces femmes qui ont donné le jour à des enfants en prison partagent avec eux leur quotidien : privations de nourriture, humiliations, dénonciations, menaces et punitions.

Shahnaz Ghomani, 39 ans à l’époque, est la seule détenue politique du lot. C’est la deuxième fois qu’elle purge une peine de huit ans de réclusion, pour avoir simplement milité pour ses idéaux, justice, solidarité, liberté d’expression.

La première fois que cette journaliste a été arrêtée, elle avait 19 ans. Torturée pendant six mois, fouettée, brûlée sous la plante des pieds pour limiter les risques d’évasion, attachée les yeux bandés à un mur pendant des jours interminables, soumise aux gardiens qui arrivaient par surprise à n’importe quel moment pour la battre jusqu’à ce qu’elle s’évanouisse, elle n’a jamais renoncé à ses convictions.

Notre entretien a lieu à Paris, dans les locaux de Reporters sans frontières, association grâce à laquelle Shanhaz Ghomani a été libérée provisoirement de prison, suite à une grève de la faim. Une semaine plus tard, elle fuyait son pays. C’est Reza Moini, responsable de RSF pour l’Afghanistan et l’Iran et ancien prisonnier politique, dont plusieurs parents ont été exécutés, qui traduit ses propos. Sa gorge aussi est parfois nouée par l’émotion, tant ses souvenirs sont encore brûlants.

LE FOUET ET LES LARMES

«J’étais journaliste, lettrée, précise Shanhaz. Les détenues de Tabriz m’aimaient et me respectaient. Elles me racontaient leur histoire, me demandaient de l’aide pour trouver un avocat, écrire à la justice ou simplement témoigner un jour de leur malheur. Sakineh était cependant différente d’elles. Elle était sage, pieuse, plutôt sereine, jusqu’à sa condamnation du moins. Je n’ai jamais rien observé de mal chez elle. Je ne l’ai jamais vue insulter quelqu’un, crier, dénoncer, comme le faisaient beaucoup de nos compagnes.»

Sakineh pleurait parfois. Elle avait tout perdu, son mari, ses enfants, sa vie. «Elle n’arrivait pas à croire que son époux était vraiment mort. Quasi illettrée, elle ne comprenait pas ce qui lui arrivait et ne savait pas ce qu’elle faisait encore en prison. Mais, venant d’une famille très pieuse dans laquelle la soumission féminine était une évidence, elle acceptait son destin.»

«Même les enfants étaient obligés d’assister au châtiment du fouet»

Shanhaz Ghomani

Sakineh a-t-elle eu ces relations extraconjugales pour lesquelles elle a été condamnée à la lapidation ? «Elle aimait son mari, explique Shanhaz. Elle me parlait souvent de ce qu’ils faisaient ensemble, avant, des endroits où ils allaient, de leurs enfants qu’elle chérissait. Mais elle disait aussi aimer le cousin de son mari, Issa Taheri, qui a par la suite été reconnu coupable du meurtre de ce dernier. A Oskou, la petite ville où elle vivait, tout le monde se connaît et se surveille, et j’imagine que cet amour pour Issa était surtout un fantasme. Quoi qu’il en soit, elle m’a raconté les tortures qu’elle avait subies au commissariat, lors de la première phase de l’enquête, pour l’obliger à avouer ce prétendu adultère puis, plus tard, sa complicité dans le meurtre de son mari, selon un scénario rocambolesque échaffaudé par les enquêteurs.»

Oui, Sakineh a bien reçu 99 coups de fouet, en 2006, au nom de la charia. «J’ai vu ses cicatrices, reconnaît Shanhaz. Une gardienne aimait en rire, en racontant que c’était elle qui l’avait frappée, comme si c’était une anecdote piquante. La plupart des condamnées de la cellule N° 4 étaient dans son cas, du reste, et souffraient en permanence de maux de dos dus à leur supplice.»

DU MALHEUR D’ÊTRE BELLE

Il y a deux sortes de châtiment par le fouet. Pour une simple relation sexuelle, sans infidélité, la peine ne doit pas excéder 60 coups, donnés avec un coran serré sous le bras du tortionnaire. Mais, lorsqu’il y a infidélité, la peine est dite had, ce qui veut dire limite. Là, les coups sont bien plus violents, à la limite d’être mortels.

La voix de Shanhaz s’étrangle, ses yeux se mouillent. «On nous obligeait parfois à assister aux pendaisons, pour des raisons éducatives, disait-on. Je n’oublierai jamais ces images terribles. Mais le pire, c’était les enfants nés en prison. Lorsqu’on donnait le fouet à une détenue, tout le monde devait y assister, même eux. Traumatisés, ils reproduisaient ensuite ce qu’ils avaient vu, et jouaient à se fouetter avec des bouts de corde ou de ficelle trouvés ici ou là. C’était déchirant.»

Aux yeux de Shanhaz, Sakineh a eu deux grands malheurs, dans sa vie. Le premier, c’est d’être née dans une petite ville intégriste, où l’on porte le hijab intégral. «Elle est victime de cette même culture qui a sacrifié beaucoup d’êtres humains, livrés aux mollahs par une population superstitieuse et crédule.» Le second, c’est d’être très belle. «Cela suscite des jalousies, des convoitises, du harcèlement, des viols, parfois, de la part des voisins, des juges, des responsables de prison, des gardiens. La plupart des condamnées à mort étaient d’ailleurs de belles femmes. Les détenues savaient quels mollahs étaient sensibles au charme féminin et essayaient d’être jugées par eux.»

Lorsque Sakineh a été condamnée à la lapidation, en 2008, lors d’une révision de procès, le hasard a voulu que Shanhaz et elle soient conduites ensemble au tribunal. «Il nous était interdit de nous parler pendant le trajet du retour, mais il était évident que ma compagne n’avait pas compris le sens du mot arabe rajam, lapidation. C’est une gardienne qui, sournoise et triomphante, lui a traduit la décision du juge. Sakineh a laissé glisser son tchador et s’est évanouie. Dès lors, elle n’a plus jamais été la même. Elle restait sur son lit, prostrée.»

LE COURAGE DU FILS

Suite à sa grève de la faim, Shanhaz a pu quitter la prison de Tabriz, en décembre 2008, et s’enfuir d’Iran. Sur sa peau, elle avait inscrit les numéros de contact de ses codétenues. C’était interdit. On l’a fouillée. Elle a dû tout effacer. Le fil de solidarité était rompu.

«Sajjad, le fils de Sakineh, est convaincu de l’innocence de sa mère» Armin Arefi

Cet été, devant l’imminence de sa lapidation et en désespoir de cause, le cas de Sakineh a été présenté à l’opinion internationale, qui s’est aussitôt enflammée: manifestations, pétitions et prises de positions, de Hillary Clinton au président Lula, en passant par Carla Bruni-Sarkozy et le conseil de l’Europe. Interviewée en toute clandestinité par le Guardian de Londres, Sakineh a pu clamer son innocence et supplier: «Ne les laissez pas me lapider devant mon fils!»

Etabli à Paris, le journaliste d’origine iranienne Armin Arefi*, 26 ans, est en contact permanent avec Sajjad, 22 ans, le fils de Sakineh, et Houtan Kian, son avocat, 32 ans, qui subissent tous deux des pressions inquiétantes. Il est impressionné par leur courage et leur détermination. «Lorsque je demande à Sajjad, qui est contrôleur de bus à Tabriz, comment il a acquis cette maturité incroyable, il me répond en riant que cela fait quatre ans qu’il se bat pour la libération de sa mère, dont il est convaincu de l’innocence, et qu’il est en quelque sorte devenu avocat malgré lui.»

L’IRAN SOUS PRESSION

En réponse à l’engagement de ces deux hommes, le fils et l’avocat, et à l’écho formidable qu’il suscite en Occident (lire le rappel des faits ci-dessous), Sakineh a été punie de 99 nouveaux coups de fouet et est désormais maintenue à l’isolement.

«C’est très préoccupant, mais ni Sajjad ni Kian ne regrettent cette mobilisation, bien au contraire, poursuit Armin Arefi. C’est la seule façon d’obliger les autorités iraniennes à sortir de leur silence et, nous l’espérons, à gracier cette innocente.»

Quant à la suspension de l’exécution, annoncée par un Ministère des affaires étrangères iranien qui n’a aucune compétence en la matière, il n’y croit pas. «Son avocat, Houtan Kian, n’a reçu aucun document signé. Il n’a plus accès à sa cliente et son bureau a été cambriolé. Le dossier de Sakineh s’est envolé, ce qui laisse la voie libre à la fabrication de faux. D’ailleurs, l’agence de presse Fars, très proche du gouvernement iranien, vient d’interviewer une Sakineh isolée et brisée, et nous nous attendons à de nouvelles manipulations, surtout si la mobilisation internationale faiblit.»

A l’heure où L’illustré met cet article sous presse, la République islamique d’Iran est aux abois et tente d’endiguer le mouvement de soutien à Sakineh, quitte à recourir à de grossiers mensonges. Nos interlocuteurs nous adjurent de ne pas baisser les bras. Au moins 23 personnes ont été lapidées en Iran depuis l’an 2000 et 23 autres, dont 19 femmes, attendent l’exécution de cette même sentence. «Sakineh est toujours menacée. Bien plus, il y a encore des centaines de Sakineh en Iran, qui ont besoin de votre soutien et de votre mobilisation pour que jugements arbitraires, pendaisons pour délits d’opinion et châtiments cruels soient enfin abolis.»

Françoise Boulianne Redard

Armin Arefi, auteur de «Rubans et turbans», Ed. Denoël, et du blog du «Monde» Dentelles et tchador, http://iran.blog.lemonde.fr

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