Nous y sommes !
Nous y voilà, nous y sommes. Depuis cinquante ans que cette tourmente menace dans les hauts-fourneaux de l'incurie de l'humanité, nous y sommes.
Dans le mur, au bord du gouffre, comme seul l'homme sait le faire avec brio, qui ne perçoit la réalité que lorsqu'elle lui fait mal. Telle notre bonne vieille cigale à qui nous prêtons nos qualités d'insouciance.
Nous avons chanté, dansé.
Quand je dis « nous », entendons un quart de l'humanité tandis que le reste était à la peine.
Nous avons construit la vie meilleure, nous avons jeté nos pesticides à l'eau, nos fumées dans l'air, nous avons conduit trois voitures, nous avons vidé les mines, nous avons mangé des fraises du bout monde, nous avons voyagé en tous sens, nous avons éclairé les nuits, nous avons chaussé des tennis qui clignotent quand on marche, nous avons grossi, nous avons mouillé le désert, acidifié la pluie, créé des clones, franchement on peut dire qu'on s'est bien amusés.
On a réussi des trucs carrément épatants, très difficiles, comme faire fondre la banquise, glisser des bestioles génétiquement modifiées sous la terre, déplacer le Gulf Stream, détruire un tiers des espèces vivantes, faire péter l'atome, enfoncer des déchets radioactifs dans le sol, ni vu ni connu.
Franchement on s'est marrés.
Franchement on a bien profité.
Et on aimerait bien continuer, tant il va de soi qu'il est plus rigolo de sauter dans un avion avec des tennis lumineuses que de biner des pommes de terre.
Certes.
Mais nous y sommes.
A la Troisième Révolution.
Qui a ceci de très différent des deux premières (la Révolution néolithique et la Révolution industrielle, pour mémoire) qu'on ne l'a pas choisie.
« On est obligés de la faire, la Troisième Révolution ? » demanderont quelques esprits réticents et chagrins.
Oui.
On n'a pas le choix, elle a déjà commencé, elle ne nous a pas demandé notre avis.
C'est la mère Nature qui l'a décidé, après nous avoir aimablement laissés jouer avec elle depuis des décennies.
La mère Nature, épuisée, souillée, exsangue, nous ferme les robinets.
De pétrole, de gaz, d'uranium, d'air, d'eau.
Son ultimatum est clair et sans pitié :
Sauvez-moi, ou crevez avec moi (à l'exception des fourmis et des araignées qui nous survivront, car très résistantes, et d'ailleurs peu portées sur la danse).
Sauvez-moi, ou crevez avec moi.
Evidemment, dit comme ça, on comprend qu'on n'a pas le choix, on s'exécute illico et, même, si on a le temps, on s'excuse, affolés et honteux.
D'aucuns, un brin rêveurs, tentent d'obtenir un délai, de s'amuser encore avec la croissance.
Peine perdue.
Il y a du boulot, plus que l'humanité n'en eut jamais.
Nettoyer le ciel, laver l'eau, décrasser la terre, abandonner sa voiture, figer le nucléaire, ramasser les ours blancs, éteindre en partant, veiller à la paix, contenir l'avidité, trouver des fraises à côté de chez soi, ne pas sortir la nuit pour les cueillir toutes, en laisser au voisin, relancer la marine à voile, laisser le charbon là où il est, (attention, ne nous laissons pas tenter, laissons ce charbon tranquille) récupérer le crottin, pisser dans les champs (pour le phosphore, on n'en a plus, on a tout pris dans les mines, on s'est quand même bien marrés).
S'efforcer. Réfléchir, même.
Et, sans vouloir offenser avec un terme tombé en désuétude, être solidaire.
Avec le voisin, avec l'Europe, avec le monde.
Colossal programme que celui de la Troisième Révolution.
Pas d'échappatoire, allons-y.
Encore qu'il faut noter que récupérer du crottin, et tous ceux qui l'ont fait le savent, est une activité foncièrement satisfaisante.
Qui n'empêche en rien de danser le soir venu, ce n'est pas incompatible.
A condition que la paix soit là, à condition que nous contenions le retour de la barbarie, une autre des grandes spécialités de l'homme, sa plus aboutie peut être.
A ce prix, nous réussirons la Troisième révolution.
A ce prix nous danserons, autrement sans doute, mais nous danserons encore.
Fred Vargas
Fred Vargas (Frédérique Audouin-Rouzeau) est une écrivaine française née en 1957 à Paris d’une mère scientifique et d’un père intellectuel qu'elle présente comme un 'encyclopédiste humaniste' qui n'a jamais publié ses nombreux ouvrages. Vargas, le pseudonyme de sa sœur jumelle, Joëlle (Jo Vargas), peintre contemporaine et le nom du personnage d'Ava Gardner dans 'La Comtesse aux pieds nus' . Elle passe son temps entre la terre, qu'elle retourne, son métier est chercheuse en archéologie ( spécialiste de l'étude des animaux domestiques au Moyen-Âge ) , et sa plume, dont elle se sert pour écrire ses histoires, principalement policières.Elle cherche d'abord la précision et la « sonorité » des mots. Puis développe ses personnages. Atypiques, usés par la vie, mais toujours là, prêts à se battre. Fred Vargas se plaît à les peindre avec soin, tant physiquement que psychologiquement. Elle leur offre un vécu, un passé, et une consistance, qui crédibilisent ses intrigues. Elle s'occupe de l'intrigue policière, travaillée en dernier lieu seulement.Elle qualifie ses romans du terme de « rompols », romans atypiques dans le paysage du polar français, car l'action se déroule essentiellement en France et ne contient que très peu de sang et pas de sexe. On retrouve sa passion pour le Moyen Âge dans bon nombre de ses romans, notamment au travers du personnage de Marc, jeune historien spécialiste de cette époque. Une dizaine de personnages récurrents se croisent au fil des histoires. Fred Vargas écrit depuis longtemps des romans policiers mais publie depuis peu, grâce à la confiance de son éditrice Viviane Hamy.
Nous y voilà, nous y sommes. Depuis cinquante ans que cette tourmente menace dans les hauts-fourneaux de l'incurie de l'humanité, nous y sommes.
Dans le mur, au bord du gouffre, comme seul l'homme sait le faire avec brio, qui ne perçoit la réalité que lorsqu'elle lui fait mal. Telle notre bonne vieille cigale à qui nous prêtons nos qualités d'insouciance.
Nous avons chanté, dansé.
Quand je dis « nous », entendons un quart de l'humanité tandis que le reste était à la peine.
Nous avons construit la vie meilleure, nous avons jeté nos pesticides à l'eau, nos fumées dans l'air, nous avons conduit trois voitures, nous avons vidé les mines, nous avons mangé des fraises du bout monde, nous avons voyagé en tous sens, nous avons éclairé les nuits, nous avons chaussé des tennis qui clignotent quand on marche, nous avons grossi, nous avons mouillé le désert, acidifié la pluie, créé des clones, franchement on peut dire qu'on s'est bien amusés.
On a réussi des trucs carrément épatants, très difficiles, comme faire fondre la banquise, glisser des bestioles génétiquement modifiées sous la terre, déplacer le Gulf Stream, détruire un tiers des espèces vivantes, faire péter l'atome, enfoncer des déchets radioactifs dans le sol, ni vu ni connu.
Franchement on s'est marrés.
Franchement on a bien profité.
Et on aimerait bien continuer, tant il va de soi qu'il est plus rigolo de sauter dans un avion avec des tennis lumineuses que de biner des pommes de terre.
Certes.
Mais nous y sommes.
A la Troisième Révolution.
Qui a ceci de très différent des deux premières (la Révolution néolithique et la Révolution industrielle, pour mémoire) qu'on ne l'a pas choisie.
« On est obligés de la faire, la Troisième Révolution ? » demanderont quelques esprits réticents et chagrins.
Oui.
On n'a pas le choix, elle a déjà commencé, elle ne nous a pas demandé notre avis.
C'est la mère Nature qui l'a décidé, après nous avoir aimablement laissés jouer avec elle depuis des décennies.
La mère Nature, épuisée, souillée, exsangue, nous ferme les robinets.
De pétrole, de gaz, d'uranium, d'air, d'eau.
Son ultimatum est clair et sans pitié :
Sauvez-moi, ou crevez avec moi (à l'exception des fourmis et des araignées qui nous survivront, car très résistantes, et d'ailleurs peu portées sur la danse).
Sauvez-moi, ou crevez avec moi.
Evidemment, dit comme ça, on comprend qu'on n'a pas le choix, on s'exécute illico et, même, si on a le temps, on s'excuse, affolés et honteux.
D'aucuns, un brin rêveurs, tentent d'obtenir un délai, de s'amuser encore avec la croissance.
Peine perdue.
Il y a du boulot, plus que l'humanité n'en eut jamais.
Nettoyer le ciel, laver l'eau, décrasser la terre, abandonner sa voiture, figer le nucléaire, ramasser les ours blancs, éteindre en partant, veiller à la paix, contenir l'avidité, trouver des fraises à côté de chez soi, ne pas sortir la nuit pour les cueillir toutes, en laisser au voisin, relancer la marine à voile, laisser le charbon là où il est, (attention, ne nous laissons pas tenter, laissons ce charbon tranquille) récupérer le crottin, pisser dans les champs (pour le phosphore, on n'en a plus, on a tout pris dans les mines, on s'est quand même bien marrés).
S'efforcer. Réfléchir, même.
Et, sans vouloir offenser avec un terme tombé en désuétude, être solidaire.
Avec le voisin, avec l'Europe, avec le monde.
Colossal programme que celui de la Troisième Révolution.
Pas d'échappatoire, allons-y.
Encore qu'il faut noter que récupérer du crottin, et tous ceux qui l'ont fait le savent, est une activité foncièrement satisfaisante.
Qui n'empêche en rien de danser le soir venu, ce n'est pas incompatible.
A condition que la paix soit là, à condition que nous contenions le retour de la barbarie, une autre des grandes spécialités de l'homme, sa plus aboutie peut être.
A ce prix, nous réussirons la Troisième révolution.
A ce prix nous danserons, autrement sans doute, mais nous danserons encore.
Fred Vargas
Fred Vargas (Frédérique Audouin-Rouzeau) est une écrivaine française née en 1957 à Paris d’une mère scientifique et d’un père intellectuel qu'elle présente comme un 'encyclopédiste humaniste' qui n'a jamais publié ses nombreux ouvrages. Vargas, le pseudonyme de sa sœur jumelle, Joëlle (Jo Vargas), peintre contemporaine et le nom du personnage d'Ava Gardner dans 'La Comtesse aux pieds nus' . Elle passe son temps entre la terre, qu'elle retourne, son métier est chercheuse en archéologie ( spécialiste de l'étude des animaux domestiques au Moyen-Âge ) , et sa plume, dont elle se sert pour écrire ses histoires, principalement policières.Elle cherche d'abord la précision et la « sonorité » des mots. Puis développe ses personnages. Atypiques, usés par la vie, mais toujours là, prêts à se battre. Fred Vargas se plaît à les peindre avec soin, tant physiquement que psychologiquement. Elle leur offre un vécu, un passé, et une consistance, qui crédibilisent ses intrigues. Elle s'occupe de l'intrigue policière, travaillée en dernier lieu seulement.Elle qualifie ses romans du terme de « rompols », romans atypiques dans le paysage du polar français, car l'action se déroule essentiellement en France et ne contient que très peu de sang et pas de sexe. On retrouve sa passion pour le Moyen Âge dans bon nombre de ses romans, notamment au travers du personnage de Marc, jeune historien spécialiste de cette époque. Une dizaine de personnages récurrents se croisent au fil des histoires. Fred Vargas écrit depuis longtemps des romans policiers mais publie depuis peu, grâce à la confiance de son éditrice Viviane Hamy.
270 000 exemplaires de son roman « Pars vite et reviens tard » ont été écoulés en France et l'ouvrage a été acheté dans vingt-cinq pays. Son premier roman, « Les Jeux de l'amour et de la mort », a reçu le prix du roman policier au festival de Cognac. Son deuxième, « L’Homme aux cercles bleus » obtient le prix du Polar de la ville de Saint-Nazaire. Il marque également l'apparition du commissaire Jean-Baptiste Adamsberg, qui deviendra le héros récurrent et attachant des romans policiers de Fred Vargas. En 2006, elle publie « Dans les bois éternels ».
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