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lundi 20 février 2012

D' une résistace créative à une vision transformatrice...


Etre heureux, un acte de résistance…
Devant 300 invités, rebondissant sur la notion de sobriété heureuse et de coopérateurs ludiques, aux Rencontres de l’ Ecologie de Die ce 06 février 2012, le philosophe et économiste Patrick Viveret fait le lien entre crise et mal de vivre pour nous proposer son nouveau "rêve", et nous montrer la voie vers une stratégie transformatrice nécessaire.
"Il existe des éléments communs aux différentes facettes de la crise économique, écologie, financière, sociale, culturelle que nous vivons : ce sont la démesure et le mal de vivre.
La crise écologique est bien le résultat d'une démesure productiviste. Tout comme cette démesure est au coeur de la question sociale et de l'accroissement des inégalités.
Lorsque, selon les chiffres officiels des Nations Unies, les 225 personnes les plus riches de la planète, les Ultras-Riches comme on les appelle, possèdent l'équivalent de fortune et de revenus de 2 milliards et demi de personnes, on prend alors conscience du cocktail explosif que cela peut représenter et surtout qu'il n'y a pas de vivre ensemble possible dans une société où il y a un tel éclatement des conditions sociales. Et pourtant, cette démesure fait système, elle est considérée comme normale. Si l'on ne traite qu'une facette de la crise - en tentant de gérer la crise financière, on a finalement traité le symptôme et non la cause -, il y a une fuite en avant de ce côté, pour une fuite en arrière au niveau écologique et social (car on va prétendre qu'il n'y a plus d'argent pour gérer ces problèmes-là).
Notons que la démesure est aussi à l'origine de la chute de l'URSS : car elle n'intervient pas qu'un niveau de la captation des richesses, mais peut aussi avoir pour objectif la captation du pouvoir, ou celle du sens comme vont tenter de faire les intégrismes lorsqu'il prétendent qu'ils détiennent la Vérité...
En fait, cette démesure montre un dysfonctionnement majeur. Et derrière elle, il y a en réalité le prix du mal de vivre. En 1998, le Rapport Mondial pour le Développement Humain montraient que les sommes nécessaires pour les besoins vitaux de l'humanité étaient de 40 milliards de dollars supplémentaires par rapport aux 40 milliards déjà en circulation. Or à l'époque, on dépensait déjà 10 fois plus, rien que pour les budgets publicitaires (soit 400 milliards de dollars...). Aujourd'hui, le budget annuel de la publicité mondiale est de  1 400 milliards de dollars ! L'argent ne manque pas, il est mal employé. Quant à l'économie de la drogue, elle est également dix fois supérieure aux sommes nécessaires pour que l'on puisse subvenir aux besoins vitaux de tous les humains. Et celle de l'armement est, quant à elle, vingt fois supérieure... Or publicité, drogue, armement, sont tous trois des éléments qui font partie de la gestion du mal-être.
L'armement est au service de la gestion de la peur et des processus de domination. Quant à la publicité, elle est sur un registre compensateur par rapport aux dégâts que nos sociétés produisent : l'absence de vie intérieure, de sérénité. Au service d'une société de consommation que l'on pourrait davantage intituler société de consolation... Ces dépenses somptuaires de la publicité sont là pour nous faire oublier, nous divertir au sens Pascalien du terme, par rapport à la réalité de nos sociétés où nous vivons en constante rivalité avec la nature, les autres ou pire, nous-même. Elle tente de nous faire croire qu'une croissance dans l'ordre de l'être peut s'obtenir grâce à une croissance dans l'ordre de l'avoir. Ce qui est bien sûr totalement illusoire, et générateur de frustration, donc de désir de nouvelles compensations... Alors, le toujours plus des uns va produire du toujours moins des autres : le mécanisme d'accumulation finit par aboutir à des situations de rareté artificielle.
Or il y a une grande différence entre le besoin et le désir. Le désir est de l'ordre de l'illimité, car lié à la conscience de mort. Si nous faisons un mauvais usage de cette énergie puissante, cela peut causer beaucoup de dégâts. Et si l'on prétend traiter notre désir illimité dans l'ordre de l'être par une production dans l'ordre de l'avoir, on produit au final de la misère et du mal-être. Le phénomène de la démesure est ainsi lui-même dû à du mal-être et du mal de vivre (puisque lié à notre angoisse de mort). On peut donc comprendre qu'en posant des limites du côté de la simplicité et de la sobriété, on intervient aussi sur la joie de vivre. La question du bien-vivre va donc de pair avec la condition de sortie de modes de croissance infinie et de la démesure.
Dans les stratégies positives de sortie de crise, la question du bien-vivre est fondamentale. Sous l'impulsion des peuples indigènes, ces questions du bien-vivre ont été mises en lien avec la notion de bien commun de l'humanité. Contre les logiques prédatrices. Elles nous interrogent : qu'est-ce qui fait que nous désirons vivre, que nous vivons debout ? Une personne qui se retrouve en faiblesse d'énergie (en dépression par exemple) va tenter d'en spolier un autre. Une communauté en perte d'énergie, de sens, va également chercher à usurper cette énergie à l'extérieur, et entrer dans une logique de guerre. Mais il peut y avoir un autre accès à l'énergie : l'autre forme d'énergie ne se fait pas contre autrui, c'est la joie de vivre.
Il importe aujourd'hui de sortir du couple excitation-dépression pour accéder au couple densité-sérénité : nous vivons dans une société maniaco-dépressive où même les marchés financiers alternent panique ou euphorie... L'on constate également ce phénomène dans la politique, les médias, le sport... Il met tout le monde dans un état de déséquilibre qui va nous tourner à la fois vers la démesure et une illusion d'intensité de vie. Ce couple maladif est à la fois source de frustration et de violence, même s'il nous permet de reconnaître que les humains ont un désir d'intensité.
Mais il est possible de vivre un tel désir dans la sérénité : c'est lorsque nous sommes dans la joie de vivre. Intensité et sérénité deviennent complémentaires. Le plaisir est alors un indicateur majeur, il nous enseigne sur l'art de vivre à la bonne heure. Quand nous sommes vraiment bien, nous sommes là.
Les acteurs qui veulent vivre dans cette logique transformatrice et non compensatrice doivent être vigilants à trois éléments, indissociables - le Rêve de Patrick Viveret ! - :
- R pour résistance créative ;
- E pour expérience sociale (et donc incarnation immédiate du projet) ;
- V pour vision transformatrice
.

Etre heureux est un acte de résistance : le mal-être est au coeur des systèmes de domination. Les choses ne pourront évoluer que pour autant nous changeons nous-mêmes nos postures de vie, notre rapport au pouvoir, à la santé... Il n'y a pas que la peur et l'impuissance qui soient contagieuses : la joie l'est également. Cette capacité à nous mettre debout, à vivre intensément nos propres vies est un axe de transformation, qui va permettre de relier les multiples énergies transformatrices : il s'agit d'une oeuvre de tissage destinée à construire une mosaïque de vie, contraire aux logiques mortifères qui nous entourent. Les transformations personnelle et sociale doivent être menées conjointement. Afin de tenter de ne pas passer à côté de l'essentiel. Et d'aller vers l'audace de vivre.
Ecologie au Quotidien
DIE, Rhône-Alpes, France
Le Chastel 26150 DIE
Tel : 04 75 21 00 56       

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