Pendant cinq siècles - de 1450, qui ouvre les «grandes découvertes», terme éminemment discutable, à 1950, début de l’explosion démographique des Suds -, le monde a vécu sous la domination de l’Europe, qui a imposé à l’humanité ses valeurs «universelles», démocratie, droits de l’homme, égalité des êtres humains, droit au développement. Aujourd’hui, le monde regarde décliner l’Occident, et plus particulièrement la vieille Europe, et revendique le droit de réécrire l’histoire, non sous l’angle des vainqueurs, mais sous celui des vaincus d’hier, qui sont en train de relever la tête après des siècles de domination.
Que disent les vaincus ? Que l’Europe a imposé ses valeurs par la violence (traite des esclaves puis colonisation), mais que ces valeurs prétendument universalistes ont échoué à prouver leur suprématie car elles secrètent de la misère et de l’exclusion.
Misère ? Celle des SDF, des foyers monoparentaux, de tous ceux qui peinent à vivre dignement et à trouver leur place dans un monde individualiste et matérialiste. Exclusion ? Celle des étrangers, des «différents» que sont ceux qu’afflige un handicap, quel qu’il soit, des vieux, parqués dans des maisons de retraite ou condamnés à la solitude.
Que vaut une civilisation dans laquelle on ne trouve pleinement sa place que si l’on est dans la force de l’âge, attrayant physiquement, en forme, aisé… et de sexe masculin, puisque les discriminations contre les femmes restent une constante ?
Les Africains considèrent inacceptable la façon dont nous traitons les personnes âgées. Les musulmans se gaussent de notre critique de la polygamie, puisque nos hommes de pouvoir pratiquent, avec leurs multiples conquêtes, une polygamie institutionnalisée, quand ils ne répudient pas leurs premières épouses au profit de jeunes courtisanes intronisées avec tous les honneurs. Les Asiatiques sont sidérés par la façon dont l’individu peut faire prévaloir son désir d’enrichissement contre les intérêts du groupe. Il y a plus de solidarité dans bien des bidonvilles que dans ces prétendus Etats-providences qui sombrent dans la bureaucratie et ne cessent de durcir les critères de la solidarité sociale, la travestissant en un assistanat indu, qui humilie ceux qui en «bénéficient».
Les inégalités ont explosé. Le travail est dévalorisé face à la toute-puissance de l’argent et la rémunération du capital. La barbarie que nous avons prétendu combattre, nous la sécrétons en combattant férocement les étrangers de l’intérieur - ceux qui ne pratiquent ni notre langue ni notre religion -, et en allant, comme par le passé, mener dans le reste du monde des guerres dites justes, qui n’engendrent que le chaos et la violence. Afghanistan, Irak, Libye… mais aussi des guerres pour le pétrole et l’accès aux ressources énergétiques en Afrique. Partout, l’Occident sûr de ses valeurs bafoue impunément celles des peuples qu’il prétend civiliser.
Alors comment oser affirmer qu’une civilisation est supérieure aux autres quand elle se construit sur l’arrogance, la xénophobie, la conquête, l’exclusion et la domination ?
SYLVIE BRUNEL
Dernier ouvrage paru : «Géographie amoureuse du monde», éd. Jean-Claude Lattès.
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