Les fonds vautours préparent la bataille contre la Grèce
Le traitement financier de la crise de la dette grecque n’est pas encore terminé, que déjà les « fonds vautours » fourbissent leurs armes – juridiques – contre la Grèce [1]. Habitués des batailles judiciaires devant les tribunaux du monde entier mais surtout de Londres et de New York, ces fonds (les plus connus sont Elliot Associates et Gramercy..) [2], qui ont acquis une quantité non négligeable de la dette souveraine grecque lorsque les banques européennes se délestaient de celle-ci pour « assainir » leurs bilans tout au long du second semestre 2011, affutent leurs arguments juridiques. Les positions acquises par ces fonds leur donnent au minimum un pouvoir de nuisance, et au mieux une « minorité de blocage » dans le cadre des négociations en cours qui prévoient qu’une large majorité des porteurs de titres grecs (en général 75 %) doivent accepter l’offre « volontaire » d’échange. Ceux qui refusent cette procédure « volontaire » peuvent alors poursuivre la Grèce pour le paiement de 100 % de la valeur de titres émis, même s’ils les ont acheté à une valeur largement décotée !
De nombreux cabinets d’avocats se penchent sur les options offertes à ces fonds pour contester les conditions de l’échange des titres et voir dans quelles conditions il serait possible de demander le remboursement de la valeur nominale des titres qu’ils détiennent.
Aujourd’hui, leur espoir n’est pas à la hauteur de leurs espérances [3]. Deux raisons principales pour cela :
- Depuis que la BCE envisage de se voir appliquer une décote sur les titres grecs qu’elle détient, l’argument d’inégalité de traitement invoqué par ces fonds est bien moins puissant.
- De plus, près de 90 % des émissions grecques sont régies par le droit grec et soumis aux tribunaux grecs, ce qui empêche ces fonds d’attraire le gouvernement grec sur leur terrain de jeu favori, les tribunaux londonien [4] et new-yorkais. D’ailleurs, les quelques titres grecs soumis au droit anglais se négocient avec une prime d’environ 15 % par rapport aux titres soumis au droit grec ! Conduisant à un calcul simple : 4.5 milliards d’euros sur un total de 300 milliards de dette seraient ainsi « favorablement documentés » pour permettre aux créanciers d’exercer des recours judiciaires. Calcul qui amène même certains journalistes à évaluer le coût d’un « bon » système juridique (anglais, bien sûr et non grec..) ![5].
Mais les choses peuvent changer. Et rapidement. Deux « bonnes nouvelles » se profilent pour ces fonds qui font que les titres nouveaux remis à l’échange contre les titres anciens seront plus facilement « justiciables » par ces fonds :
- L’insertion obligatoire par tous les Etats membres de la zone euro à compter du 1er janvier 2013 au plus tard – mais ce sera dès les prochaines émissions pour la Grèce, de Clauses d’Action Collective dans les contrats d’émission (Traité du Mécanisme de Stabilité Européen du 31 janvier 2012).
- Le changement de droit applicable à ces nouvelles émissions : celles-ci seront régies par le droit anglais et soumis aux tribunaux de Grande Bretagne [6].
Ces deux éléments placent le gouvernement grec dans une mauvaise posture vis-à-vis de ses créanciers pour renégocier, si par malheur cela était encore nécessaire, sa dette nouvelle. Ce sont ces fonds vautours qui ont imposé le droit anglais comme droit applicable : ils savent très bien que les tribunaux britanniques sont plus favorables aux créanciers que les tribunaux nationaux. Et le Debt Relief Act de 2010 ne visant pas la Grèce, les tribunaux anglais leur sont ouverts. Ils savent aussi très bien manier et gérer les subtilités de la common law là où les gouvernements de pays de droit civil sont souvent désarmés devant un changement de culture juridique dont ils n’ont pas conscience quand ils acceptent de passer sous un droit qui n’est pas le leur. Mais c’est le Conseil européen qui à prévu l’insertion automatique des CAC dans les contrats d’émission. L’idée était louable. Mais il ne fallait pas la combiner avec le changement de droit applicable. Et pas grand monde semble n’avoir vu ce effet pervers.
Aujourd’hui, les fonds vautours mettent en œuvre leur stratégie préférée : laisser le temps agir. Et quand ils estimeront que leurs atouts sont suffisants, ils procèderont alors à une guerre éclair, n’hésitant pas à demander la saisie des comptes à l’étranger du gouvernement grec, mais aussi de ses actifs. Même si ces procédures connaitront des chances de succès relatives du fait de l’immunité dont les Etats bénéficient (mais les tribunaux londoniens et new-yorkais [7] ont des raisonnements parfois subtile sur ces questions), elles paralysent l’action du gouvernement en place qui n’a pas d’autre choix que de négocier. Et ainsi de capituler face au chantage de ces fonds.
Que faire alors ? Ce que les britanniques eux-mêmes ont fait [8] ! Passer une loi interdisant les poursuites judiciaires lorsqu’une restructuration de dette souveraine de pays figurant sur une liste définie selon une batterie de critères (dont celui de soutenabilité de la dette) a été acceptée par la majorité des créanciers [9]. L’Europe aurait ici une belle occasion de démontrer son unité et sa détermination à lutter contre la spéculation. Et cela montrerait que le Royaume de Sa Gracieuse Majesté n’est pas qu’un repère de vils spéculateurs (même s’il y en a aussi beaucoup…).
En attendant cette hypothétique initiative, la crise n’est pas terminée pour les grecs. Elle ne fait que commencer. Et les fonds vautours sont beaucoup plus agressifs que la Troïka !
Hubert de Vauplane
Avocat associé dans un cabinet d’affaires américain, Hubert de Vauplane a travaillé plus de 25 ans dans le secteur bancaire et financier, aussi bien en tant que juriste et opérateur en salle de marché.
Avant de rejoindre le Barreau de Paris en septembre 2011, il était directeur juridique et de la conformité du groupe Crédit Agricole S.A.
Il est professeur associé à l’Université de Panthéon – Assas et expert auprès de l’AMF, de la Commission européenne et de la Banque centrale européenne.
Avant de rejoindre le Barreau de Paris en septembre 2011, il était directeur juridique et de la conformité du groupe Crédit Agricole S.A.
Il est professeur associé à l’Université de Panthéon – Assas et expert auprès de l’AMF, de la Commission européenne et de la Banque centrale européenne.
Collaborateur régulier de la revue Banque, il est également l'auteur avec Jean-Pierre Bornet d'un traité de Droit des marchés financiers, récompensé en 1999 par un prix de l'académie des sciences morales et politiques.
[1] http://www.ifre.com/vulture-funds-prepare-to-battle-greek-default/20048814.article
[1] http://www.ifre.com/vulture-funds-prepare-to-battle-greek-default/20048814.article
[3] Cf. l’excellent article dans le FT du 24/01/2012, « Hedge funds give Greek bonds wide berth” : http://www.gramercy.com/Portals/0/PDFs2/2012%20January%20-%20Hedge%20funds%20give%20Greek%20bonds%20wide%20berth.pdf
[4] La Grèce ne figure pas dans la liste du UK Debt Releif Act de 2010 mentionné ci-dessous
[5] Cf. l’article de Forbes, « What’s the value of an honest legal system , or why the greek bail-out stil might not work ?” : http://www.forbes.com/sites/timworstall/2012/01/14/whats-the-value-of-an-honest-legal-system-or-why-the-greek-bailout-still-might-not-work
[6] http://alternatives-economiques.fr/blogs/vauplane/2012/01/17/un-nouvel-abandon-de-la-souverainete-grecque-les-futurs-titres-seront-soumis-au-droit-anglais
[7] http://iilj.org/courses/documents/AHistoricalIntroduction.pdf ou encore http://www.law.harvard.edu/faculty/hjackson/FedSovereign_21.pdf
[8] Debt Relief (Developping countries) Act 2010 : http://www.legislation.gov.uk/ukpga/2010/22/contents
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