Fukushima : il se bat pour ne pas laisser mourir ses vaches irradiées
(Photo : Masami Yonezawa à Tokyo de Alissa Descotes-Toyosaki)
(De Tokyo) En ce vendredi 27 janvier, une fanfare joue devant la tente antinucléaire de Kasumigaseki. Il y a deux jours, un ordre d'expulsion a été envoyé par le ministère de l'Economie, mais personne n'y croit vraiment.
Alors que l'heure de pointe approche et que les fonctionnaires du ministère investissent le carrefour en même temps que 600 activistes antinucléaires, on entend une voix qui crie à s'en arracher les poumons :
« Ce combat contre le nucléaire, il faut le mener de front ! Je ne tolèrerai pas qu'on règle le problème en tuant mes vaches ! »
On aperçoit un petit van noir couvert de banderoles avec un haut-parleur qui tourne autour du rond-point. L'homme est tellement en colère qu'il surpasse en décibel tous les autres. C'est un éleveur de la région de Fukushima, et ses 330 vaches sont irradiées.
« On a tous évacué de la ville de Namie, à 14 km de la centrale, tout de suite après la première explosion, les éleveurs ont dû jeter tout le lait et fuir leur ferme en abandonnant leurs bêtes. Elles n'avaient plus aucune valeur économique mais était-ce une raison pour les laisser mourir de faim ? »
« J'ai décidé de ne pas laisser mourir mes animaux »
Masami Yoshizawa reprend sont souffle. Il a le regard d'un homme qui a vécu l'enfer :
« Je suis né à Chiba, près de Tokyo, mais cela fait ouze ans que j'ai un élevage de vaches à Namie. Le 18 mars, une semaine après l'accident nucléaire, j'ai décidé de retourner à ma ferme en emmenant de la paille de soja pour nourrir mes bêtes. »
En mai 2011, l'administration Kan a signé l'ordre de se débarrasser de tous les animaux restés dans la zone d'exclusion des 20 km. Un ordre approuvé par les éleveurs, sauf une poignée de réfractaires comme M. Yoshizawa :
« A cause de cet accident nucléaire, nous avons tout perdu. J'habite moi-même dans un logement provisoire à Nihonmatsu, à 45 km de la centrale, et je me fais irradier quotidiennement.
Les éleveurs du périmètre interdit ont été confrontés à un choix terrible, à savoir choisir entre leur propre vie et celle de leurs bêtes. Moi je n'ai pas de famille et j'ai décidé de ne pas laisser mourir mes animaux.
A présent, cela fait dix mois et mes 330 vaches paissent tranquillement dans les prés. Je demande au gouvernement de trouver une solution pour ces animaux. Pas de mort par abandon ni par euthanasie, mais une troisième solution. »
La Ferme de l'espoir
M. Yoshizawa a présenté une requête au ministère de l'Agriculture pour demander qu'on laisse en vie les animaux du périmètre d'exclusion et a crée un projet, la Ferme de l'espoir, qui recueille les animaux irradiés et les nourrit.
« J'ai demandé à ce qu'on fasse venir des chercheurs, des professeurs d'université pour trouver une solution. Nous voulons avoir une étude sur la décontamination du sol, la quantité de césium, et trouver un moyen d'utiliser nos vaches à des fins utiles, pour étudier la radioactivité. »
Armé de sa camionnette immatriculée Fukushima et de l'énergie du désespoir, M. Yoshizawa a pu réunir d'importantes donations pour acheter le pâturage nécessaire.
« Cela fait plus de dix fois que je viens à Tokyo. Je me poste devant le carrefour de Shibuya aux heures d'affluence avec ma camionnette. Il y a beaucoup de gens qui pleurent. »
« Plutôt mourir que laisser mourir »
Aujourd'hui, Mr Yoshizawa est venu encourager le sitting des tentes de Kasumigaseki :
« Notre région est devenue un véritable Tchernobyl. Si on ne fait pas quelque chose contre le redémarrage de la centrale de Hamaoka, c'est Tokyo qui va devenir un “no man's land” ! »
La capitale nippone est située à peu près à 200 km de la centrale de Fukushima au nord et celle de Hamaoka au sud. Une situation rendue encore plus alarmante par l'activité sismique de ces derniers mois.
« Le 17 mars, après la triple explosion des réacteurs, je suis retourné à Namie en me disant que c'était la dernière fois que je revoyais ma ferme. J'ai bombé le mur avec un spray noir avant d'aller au siège de Tepco. L'inscription y est toujours et ma volonté aussi : “Plutôt mourir que laisser mourir.” »
De l'autre côté du carrefour, on entend les slogans des antinucléaires monter dans la nuit. Il n'y aura pas d'expulsion aujourd'hui mais tant que les questions de l'évacuation de Fukushima et de l'arrêt complet des réacteurs ne sont pas réglées, il n'y aura pas de paix dans l'archipel
Alissa Descotes-Toyosaki, journaliste
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