Le pétrolier Chevron écope de la plus lourde amende de l’histoire
18 milliards de dollars. C’est l’amende infligée par la justice équatorienne à la multinationale Chevron pour les dévastations environnementales causées par sa filiale Texaco en Amazonie. Mais le petit pays d’Amérique latine pourra-t-il faire respecter ce verdict face au géant pétrolier ?
C’est la plus lourde peine de l’histoire du droit de l’environnement. Elle a été prononcée par un tribunal équatorien contre le géant pétrolier Chevron. La deuxième entreprise énergétique des États-Unis est condamnée à verser 18 milliards de dollars pour sa pollution de l’Amazonie équatorienne. La multinationale, condamnée en première instance en février 2011 à 9 milliards de dollars de dommages, devait « présenter des excuses publiques aux victimes », sous peine de voir l’amende multipliée par deux. Début janvier, la Cour de justice de la province de Sucumbios, en Équateur, a confirmé en appel ce jugement, au terme de dix-huit années de bataille judiciaire.
Les plaignants, 30 000 habitants de la province de Sucumbios rassemblés au sein d’une association, accusent la compagnie Texaco Petroleum , rachetée par Chevron en 2001, d’avoir déversé les déchets de ses puits de pétrole dans des fosses à ciel ouvert. L’entreprise a opéré ainsi, de 1964 à 1990, sur une concession d’un million d’hectares. L’utilisation de techniques obsolètes pour l’exploitation de centaines de puits, ainsi que la gestion hasardeuse des déchets [1], ont entraîné une importante pollution des sols, des forêts, des rivières, et des conséquences sur la santé des populations.
Chevron dénonce un complot international
De son côté, la compagnie pétrolière considérait « illégitime et inapplicable » la première décision de justice. Condamnée en appel, ses dirigeants critiquent cette fois un jugement politique et « la corruption de la justice équatorienne, qui plombe cette affaire frauduleuse depuis le départ ». Ce mépris pour les tribunaux équatoriens est très récent. Au début des années 1990, Texaco avait tout fait pour que le procès n’aie pas lieu aux États-Unis mais... en Équateur. Le pétrolier avait même produit de nombreux témoignages attestant de l’indépendance et de l’impartialité de la justice locale [2]. Texaco avait donc accepté de se plier aux conclusions du procès engagé en Équateur. Une position remise en cause par son nouveau propriétaire, Chevron, dès l’ouverture du procès. Résultat : la multinationale pourrait porter l’affaire devant la Cour suprême équatorienne, ou devant la Cour internationale de justice de La Haye et les tribunaux à New York.
Le verdict historique rendu début janvier s’appuie notamment sur les échantillons de terre fournis par des experts de Chevron. Ceux-ci ont révélé des niveaux « alarmants » de substances hautement toxiques, comme le benzène, le toluène, le plomb, le mercure, le baryum et le cadmium. Selon les Équatoriens, Texaco a déversé plus de 68 milliards de litres de matériaux toxiques dans les fosses sans protection et dans les rivières, entre 1972 et 1992. Chevron affirme que Texaco a dépensé 40 millions de dollars dans les années 1990 pour le nettoyage des sites, et a obtenu de la part du gouvernement équatorien en 1998 un accord le dédouanant de toute responsabilité future. En février 2010, avant le premier verdict, Chevron a tenté une ultime manœuvre, engageant des poursuites contre les plaignants, leurs avocats et les experts, accusés de se livrer à une tentative internationale d’extorsion et de racket, et de fomenter un complot contre la multinationale.
8 milliards d’euros de dégâts environnementaux au Brésil
Comment faire respecter le verdict ? La multinationale n’a pas de biens pouvant être saisis en Équateur. Selon l’avocat des plaignants, Pablo Fajardo, tous les moyens juridiques seront mis en œuvre pour récupérer la somme due : « Des embargos, la rétention d’actifs, le gel de comptes bancaires, jusqu’à la saisie de raffineries à l’étranger. » Cette décision pourra surtout inciter à engager d’autres procès contre Chevron, partout où cela est légalement possible, estime l’avocat. Le jugement de première instance n’a pas empêché John Watson, PDG de Chevron, d’affirmer dans son rapport annuel que l’année 2010 avait été « extraordinaire pour l’entreprise ». Le bénéfice net du groupe était de 19 milliards de dollars, en hausse de 81 %... Précisons que 62 % des filiales de Chevron se trouvent dans des paradis fiscaux, notamment aux Bermudes et aux Bahamas. Un modèle de responsabilité sociale.
L’annonce du verdict début janvier n’a eu qu’un très faible impact sur le cours des actions de Chevron. Vu les recours juridiques dont dispose la firme, la procédure risque de durer encore des années. L’impact sur l’entreprise devrait être faible, estiment les analystes financiers. Pourtant, en se battant pendant près de deux décennies pour faire valoir leurs droits, les Équatoriens ont montré qu’il est difficile pour les multinationales du pétrole de continuer à polluer en toute impunité. Chevron vient d’être accusé au Brésil de « crime contre l’environnement », pour une fuite de plusieurs milliers de barils de pétrole, au large de Rio de Janeiro, en novembre (300 tonnes selon Chevron, 4 000 tonnes selon l’ONG écologiste SkyTruth). L’État brésilien a interdit à Chevron de forer sur son territoire, en attendant les conclusions de l’enquête. Coût des dégâts environnementaux : 8,5 milliards d’euros. Le parquet brésilien demande que ce montant soit versé par Chevron comme indemnité « pour dommages environnementaux et sociaux ». La victoire judiciaire des citoyens équatoriens sonne comme un avertissement.
Agnès Rousseaux
Notes
[1] Texaco a notamment décidé d’utiliser les déchets pour recouvrir les routes autour des sites d’extraction, favorisant la propagation dans l’environnement des métaux lourds et autres produits toxiques.
[2] Une plainte collective a été déposée en 1993 auprès d’un tribunal de New York par une trentaine de victimes, et la justice états-unienne a décidé en 2001 du transfert du procès en Équateur.
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