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mardi 24 avril 2012

Analyse des Elections présidentielles de ce premier tour


Les Français ont déjà voté le changement
Jamais un président sortant n’avait ainsi été devancé au premier tour. La dynamique est pour le PS, mais le rapport de forces global est étriqué.
Remporter le premier tour ne donne jamais l’assurance à 100% de gagner l’élection. L’ont successivement vécu, à leur dépens, François Mitterrand en 1974, Valéry Giscard d’Estaing en 1981, et Lionel Jospin en 1995. Tous trois étaient sortis vainqueurs de la première manche, mais avaient été battus au final. Rien n’est donc fait.
D’autant que Nicolas Sarkozy n’est jamais aussi bon qu’en campagne, et a fortiori quand il est menacé. Il n’empêche, François Hollande peut aborder l’entre-deux-tours avec une relative sérénité. Hier, en effet, il a remporté la première manche. Les premières estimations, en fin d’après-midi, le voyaient autour voire au-dessus des 28%. Contre 26% environ au candidat de la droite.
 ( photo, Mr François Hollande à Valence)


Mieux que Ségolène
Quelle que soit l’issue finale de l’élection, dans quinze jours, cette présidentielle rentre déjà dans l’histoire. Car, avant dimanche, jamais en France un président sortant, briguant sa réélection, n’avait ainsi été devancé à la première manche. Avec son résultat pressenti, François Hollande s’est globalement situé dans la fourchette qu’avaient prévue les sondages. C’est un meilleur score que celui de Ségolène Royal en 2007 (25,8%). Le Corrézien reste toutefois très loin du record historique des socialistes à un premier tour présidentiel: les 34,1% de François Mitterrand, en 1988.
Autour des 26%, Nicolas Sarkozy, lui, fait beaucoup moins bien qu’il y a cinq ans (31,18%). Si sa position de deuxième est historique, il évite l’humiliation suprême: c’est toujours Jacques Chirac qui, avec ses calamiteux 19,88% du 21 avril 2002, détient le record du plus mauvais score de premier tour d’un président sortant.
Remporter le premier tour n’assure pas la victoire deux semaines plus tard. Mais c’est généralement considéré comme conférant au vainqueur une dynamique pour le second tour. Hier soir, dès lors, François Hollande pouvait avoir le sourire. Ses appels réitérés, ces derniers jours, au «vote utile» dès le 22 avril ont manifestement été entendus.
Un présidentiable serein
Mais le présidentiable socialiste aurait été bien plus serein s’il avait bénéficié d’un rapport de forces gauche-droite costaud. Or, il est assez étriqué. En avril 2007, le total des suffrages de gauche n’avait été que de 36%. Cinq ans plus tard, il a été plus élevé, mais inférieur à 45%. C’est moins que ce que prévoyaient les sondages. Cela a été dû au moindre score que prévu de Jean-Luc Mélenchon. Et l’on est sous les total des voix de gauche qui avaient annoncé les victoires socialistes de 1981 et 1988.
Mais là encore, de toute manière, le rapport de force n’a rien d’une garantie absolue. A l’issue du premier tour de la présidentielle de 1974, la gauche avait totalisé quelque 46% des suffrages. Cela n’avait pas empêché Valéry Giscard d’Estaing, quinze jours plus tard, de remporter l’élection. Sur le fil, avec 400
000 petites voix d’avance.
Plus compliqué pour Sarko
A l’issue du premier tour de 2007, Nicolas Sarkozy bénéficiait d’un total de voix à droite de 45%. Et il avait de bonnes réserves. Il pouvait espérer de bons reports de voix des 30% d’électeurs qui avaient voté pour quatre candidats de droite éliminés au premier tour: les 18% du centriste François Bayrou, les 10% de Jean-Marie Le Pen, et les 3% de deux petits candidats. En 2012, les choses paraissent plus compliquées pour le finaliste de la droite.
Car l’UMP espérait secrètement un François Bayrou à 15%. Mais le centriste pointe sous les 10%. Et, hier soir, il s’est bien sûr gardé de prôner d’emblée le vote Sarkozy. Marine Le Pen, elle, dira ses intentions le 1er mai. Créditée d’un peu moins de 20% des voix, elle a pulvérisé le record présidentiel frontiste: les 16,86% de son père, le 21 avril 2002. Et son parti a confirmé son statut de troisième force du pays.
Grâce à lui, le total des voix de la droite au sens (très) large est important. Mais, pour Nicolas Sarkozy, ce total reste potentiel: hypothétique. Pour en bénéficier, et donc pour l’emporter, il devra encore se droitiser. Comme jamais, la droite républicaine n’avait dû, dans le passé, se rapprocher autant de la droite extrême.
C’est Marine Le Pen qui sera l’arbitre
Avec une Marine Le Pen autour de 20% et un François Bayrou sous la barre des 10%, c’est à un grand écart complètement déséquilibré que va être contraint Nicolas Sarkozy, dans les quinze jours qui séparent du second tour.
Arithmétiquement, le finaliste de la droite n’a d’autre choix que de durcir encore le ton, déjà très droitier, de sa campagne, dans l’espoir de bénéficier de nombre de reports de voix FN. En effet, même dans l’hypothèse, très improbable, où tous les électeurs centristes du premier tour voteraient pour lui au second, Nicolas Sarkozy serait très loin des 50%.
Vu le poids pris par l’extrême droite dans le paysage politique, cette élection présidentielle pourrait donc, sur cet aspect-là aussi, innover par rapport à toutes les précédentes. En effet, on avait coutume de dire qu’«une présidentielle se gagne au centre», l’issue du scrutin dépendant habituellement de la manière dont les électeurs centristes basculent plus ou moins nettement dans un camp plutôt que dans un autre. Cette fois, ce sont les électeurs de Marine Le Pen qui se retrouvent en position d’arbitres.
Au demeurant, Nicolas Sarkozy peut d’autant moins adopter un profil centriste que, d’après les sondages d’avant le premier tour, déjà seule une petite moitié des lepénistes du premier tour envisageait de voter UMP au second. A la présidentielle de 2007, en revanche, 65% des électeurs frontistes du premier tour s’étaient reportés sur Nicolas Sarkozy.
Moins bon François Hollande bénéficie d’un rapport de forces gauche-droite qui est correct, mais qui est loin d’être aussi bon que prévu: c’est dû au moins bon score qu’attendu de Jean-Luc Mélenchon. Le socialiste ne pourra donc pas se passer des voix du Front de gauche, et ce dernier voudra qu’il se «mélenchonise».
Le socialiste avait déjà commencé à ce faire, dans la dernière ligne droite de sa campagne. Il avait mis de côté ses réticences, et concédé «un coup de pouce» au salaire minimum, que le Front de gauche veut voir porté à 1700 euros brut. Mais il refusait catégoriquement de se rapprocher de deux autres piliers du programme mélenchoniste: la retraite à 60 ans à taux plein (François Hollande ne l’envisage que pour ceux ayant commencé à travailler très jeunes), et la remise en cause du mécanisme européen de stabilité.
Cohérence Lui qui a toujours mis en avant sa «cohérence» risque d’avoir des difficultés à transiger sur ces deux dossiers. D’autant plus que, s’il cède à Jean-Luc Mélenchon en la matière, il effraiera les électeurs bayrouistes qui envisageaient de voter pour lui. Peut-être, donc, le socialiste prendra-t-il le risque, calculé, de ne pas faire de gestes supplémentaires envers Jean-Luc Mélenchon, comptant sur ce qu’annoncent les sondages: le report de toute manière massif (à concurrence de 85%) des mélenchonistes sur lui. Mais c’est peu dire que ni lui, ni Nicolas Sarkozy n’auront un entre-deux-tours aisé à gérer.
Bernard Delattre

Le retour du Front national
Grand nombre d’indécis ont penché hier en faveur de Marine Le Pen lors du premier tour de l’élection présidentielle française. La frontiste a battu le score de son père, Jean-Marie Le Pen, lorsqu’il avait réalisé l’exploit de passer au second tour de l’élection présidentielle de 2002, avec 16,8% des voix (en tout l’extrême droite en avait obtenu 19%). La fille atteint aujourd’hui près de 20%, en troisième position, pas si loin de Nicolas Sarkozy. Blonde à l’extérieur, brune à l’intérieur, Marine Le Pen a su lisser et moderniser le discours du Front national. Mais pas seulement: elle a aussi abandonné le discours libéral en matière économique de son père pour lui substituer des harangues interventionnistes, protectionnistes et anti-mondialistes. Marine Le Pen s’est adaptée à l’air du temps en allant bien au-delà de sa politique habituelle du bouc émissaire, désignant à tort les migrants comme responsable du chômage, de la précarité et de l’insécurité. Elle a repris à son compte un certain discours de gauche en matière économique et renoue en cela avec le fascisme des années 1920 et 1930. On a vu combien ce cocktail pouvait être explosif…
Inattendu, ce nouveau record du FN n’en est pas moins parfaitement compréhensible. Aux prises à la crise d’origine financière, à l’augmentation de la pauvreté, à la hausse exponentielle des rythmes de travail pour les uns et du sous-emploi pour les autres, de nombreux citoyens souhaitent une rupture avec l’ordre établi. Un ordre représenté tout autant par Nicolas Sarkozy que par François Hollande, lequel n’a pas annoncé de mesures de rupture. Force est de constater que davantage de citoyens français écoutent les sirènes de la droite ultra-nationaliste que les arguments de la gauche de la gauche, qui sait qu’on ne peut lutter contre l’insécurité sociale et matérielle qu’en redistribuant les richesses. Qui sait aussi que faire la chasse aux immigrés ou se draper dans une «pureté» culturelle imaginaire revient à se tirer une balle dans le pied. Au total, cette mouvance réunit tout de même près de 14% des voix en additionnant celle du Front de gauche, du Nouveau parti anticapitaliste et de la Ligue communiste révolutionnaire. Mais on se trouve loin des espoirs soulevés par les derniers sondages.
Pour Nicolas Sarkozy, qui a essuyé hier une cuisante défaite mais n’a pas perdu tout espoir de l’emporter au second tour contre François Hollande, le défi consiste dès maintenant à tenter de séduire les électeurs du Front national sans effaroucher ceux du centriste François Bayrou, qui pèse 8,5% des voix. Un délicat exercice d’équilibrisme puisque M. Sarkozy ne peut compter sur un large réservoir de voix alors que la gauche, traditionnellement mieux unie entre les deux tours, a rassemblé hier à elle seule 44% des suffrages. Le risque est élevé de voir le roi du bling-bling se livrer dans les trois prochaines semaines à une surenchère de déclarations sécuritaires, identitaires, voire franchement xénophobes, à laquelle il nous a déjà habitués. Face à lui, François Hollande cèdera-t-il à la tentation d’entrer dans ce jeu nauséabond, ignorera-t-il ces thèmes brûlants ou osera-t-il clairement identifier les vraies causes du malaise social?
Christophe Koessler

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