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jeudi 12 avril 2012

Décès de Raymond Aubrac....


Mort du résistant Raymond Aubrac
Le grand résistant Raymond Aubrac, l'une des dernières personnalités de la Résistance à avoir connu Jean Moulin, est mort à l'âge de 97 ans. Cofondateur du mouvement «Libération Sud», Raymond Aubrac était le dernier survivant des chefs de la Résistance réunis et arrêtés en juin 1943 à Caluire (Rhône) avec le chef du Conseil national de la Résistance (CNR).
En 1947 et 1950, il avait été témoin à charge lors des deux procès du résistant René Hardy (décédé en 1987), accusé d'avoir livré Jean Moulin à la Gestapo et acquitté au bénéfice du doute. Sa femme, Lucie Aubrac, qu'il avait épousée en 1939, elle aussi héroïne de la Résistance, est morte en 2007 à l'âge de 92 ans. Ils avaient trois enfants et dix petits-enfants.
Raymond Aubrac, l'un des derniers cadres de la Résistance, est mort mardi 10 avril au soir à l'âge de 97 ans à l'hôpital militaire du Val-de-Grâce, a indiqué sa fille dans la matinée de mercredi.
De son vrai nom Raymond Samuel, il était né le 31 juillet 1914, le jour de l'assassinat de Jean Jaurès, au sein d'une famille de commerçants juifs. Après avoir échoué à l'entrée au concours à l'école Polytechnique, il devient ingénieur des Ponts, décroche un diplôme de l'université Harvard et rencontre Lucie Bernard, qui vient elle-même de recevoir une bourse pour étudier en Amérique. Une vie confortable s'annonce, quand surviennent la guerre et les lois antijuives. Ils s'engagent et participent à la création des premiers mouvements de contestation de Vichy Libération Sud.
"Raymond Aubrac : l'esprit de Résistance"
M. Aubrac était l'une des dernières personnalités de la Résistance à avoir connu Jean Moulin. Il était le dernier survivant des chefs de la Résistance réunis et arrêtés en juin 1943 à Caluire (Rhône) avec le chef du Conseil national de la Résistance (CNR). Lucie Aubrac, elle aussi héroïne de la Résistance, est morte en 2007, à l'âge de 92 ans.
En 1947 et 1950, il avait été témoin à charge lors des deux procès du résistant René Hardy (mort en 1987), accusé d'avoir livré Jean Moulin à la Gestapo et acquitté au bénéfice du doute. Ci-dessous, Raymond Aubrac raconte sa rencontre avec Jean Moulin.
Raymond Aubrac était resté un citoyen très actif et avait notamment été ovationné en février 2008 après un discours défendant la laïcité, lors du meeting de campagne de Bertrand Delanoë pour les municipales.
Ses médecins lui ont récemment rappelé qu'il a 96 ans. "Ça me désole un peu, mais ils ont raison : j'ai trop tendance à oublier mon âge", convient Raymond Aubrac. Il n'est pas le seul. Car l'ancien résistant, né le 31juillet 1914, le jour de l'assassinat de Jean Jaurès, est de ces hommes à la voix ferme et à la mémoire infaillible que le temps semble avoir épargnés. Alors que deux livres et un documentaire lui sont consacrés, il nous reçoit chez lui, à Paris, dans un salon lumineux où chaque objet rappelle un moment de sa vie: dans une vitrine, des fossiles et des pointes de flèches trouvés au Maroc. Sur une petite table, quelques ouvrages sur l'histoire de la seconde guerre mondiale. Au mur, une peinture de maternité que son "ami" Hô Chi Minh lui offrit pour son 32e anniversaire. Et face à la baie vitrée, une grande photographie en noir et blanc de celle qui partagea sa vie pendant près de trois quarts de siècle, Lucie, disparue il y a quatre ans, à 94 ans.
Comme d'autres grandes figures de la Résistance, Daniel Cordier, Jean-Louis Crémieux-Brilhac ou Stéphane Hessel, vous êtes plus que jamais sollicité pour évoquer votre passé. Comment vivez-vous la curiosité dont vous faites l'objet ?
Ses médecins lui ont récemment rappelé qu'il a 96 ans. "Ça me désole un peu, mais ils ont raison : j'ai trop tendance à oublier mon âge", convient Raymond Aubrac. Il n'est pas le seul. Car l'ancien résistant, né le 31juillet 1914, le jour de l'assassinat de Jean Jaurès, est de ces hommes à la voix ferme et à la mémoire infaillible que le temps semble avoir épargnés. Alors que deux livres et un documentaire lui sont consacrés, il nous reçoit chez lui, à Paris, dans un salon lumineux où chaque objet rappelle un moment de sa vie: dans une vitrine, des fossiles et des pointes de flèches trouvés au Maroc. Sur une petite table, quelques ouvrages sur l'histoire de la seconde guerre mondiale. Au mur, une peinture de maternité que son "ami" Hô Chi Minh lui offrit pour son 32e anniversaire. Et face à la baie vitrée, une grande photographie en noir et blanc de celle qui partagea sa vie pendant près de trois quarts de siècle, Lucie, disparue il y a quatre ans, à 94 ans.
Comme d'autres grandes figures de la Résistance, Daniel Cordier, Jean-Louis Crémieux-Brilhac ou Stéphane Hessel, vous êtes plus que jamais sollicité pour évoquer votre passé. Comment vivez-vous la curiosité dont vous faites l'objet ?
Raymond Aubrac : quand on atteint 75 ans, vos opinions sur le présent et l'avenir n'intéressent plus personne. En revanche, on commence à vous poser des questions sur le passé. Depuis vingt ans, c'est ce qui m'arrive: je suis condamné à parler du passé. Je le fais volontiers, bien sûr. Mais je dois quand même vous dire que cela me préoccupe, car j'estime que le passé obsède un peutrop nos contemporains. Les bons esprits devraient consacrer plus de temps et d'énergie à réfléchir à l'avenir.
"J'aimerais parler avec toi du présent et du futur", confiez-vous à votre petit-fils, Renaud, au début du livre d'entretiens, Passage de témoin, que vous publiez ensemble ces jours-ci.
C'est cela qui est important. J'ai passé les dernières années à courir d'école en collège et de collège en lycée pour rencontrer des ados. Et ce que j'ai constaté m'inquiète. Il y a actuellement une génération de jeunes à laquelle on ne propose rien. Ils n'ont pas le sentiment que la société aura besoin d'eux, qu'ils doivent se préparer à y jouer un rôle. Quand ils me disent qu'ils seront au chômage, quoi qu'ils fassent, je trouvecela gravissime. Il faut absolument redonner espoir à la jeunesse.
Vous aviez 20ans quand Hitler est arrivé au pouvoir. C'était une période très sombre, celle de la Grande dépression consécutive au krach de 1929. Aviez-vous alors le sentiment d'appartenir à une génération sans espoir ?
C'était très différent. Nous étions inquiets, bien sûr, mais nous avions le sentiment de comprendre à peu près la façon dont fonctionnait lemonde. Pour ma part, j'ai été très influencé par le marxisme. Cela m'a beaucoup aidé, car le marxisme nous expliquait à la fois la société présente et le sens de l'histoire. Aujourd'hui, les choses sont infiniment plus compliquées et angoissantes, car aucun système ne permet plus de déchiffrer le présent et d'imaginer l'avenir.
Le marxisme vous aide-t-il encore à penser le monde ?
Le marxisme en général, non. Mais certains points du marxisme, oui. Je pense au partage de la plus-value résultant de la production des biens et des services. La question de la répartition des profits entre les salaires des travailleurs, les investissements des entreprises et les dividendes des actionnaires n'a rien perdu de son actualité et, sur ce point, les analyses marxistes me semblent toujours pertinentes.
Puisque vous me parlez des théories qui peuvent nous aider à penser le monde, laissez-moi aussi vous dire un mot de Joseph Schumpeter. J'ai eu la chance, quand j'étais étudiant à Harvard, à la fin des années 1930, de suivre son séminaire. L'une des idées de ce grand économiste était que les changements technologiques majeurs n'influent pas seulement sur l'économie, mais qu'ils ont aussi un effet sur la civilisation. Il nous parlait bien sûr de la machine à vapeur et de l'électricité. Aujourd'hui, nous vivons la même chose avec l'informatisation et Internet. Je ne sais pas s'il y a assez de gens pour réfléchir aux conséquences de ces phénomènes sur le devenir de notre civilisation.
Comment expliquez-vous le succès de la brochure de Stéphane Hessel, Indignez-vous! (éd. Indigène), qui s'est vendue à près d'un million d'exemplaires depuis sa parution en octobre2010 ?
Je ne me l'explique pas, et Stéphane, qui était assis dans cette même pièce il y a quelques jours, est le premier surpris de ce succès. On peut penser ce que l'on veut du texte et, pour ma part, je pense qu'il n'aurait pas dû aborder le problème d'Israël et de la Palestine, car cela a créé une polémique inutile. Mais l'écho qu'il rencontre prouve que les idéaux de démocratie et de justice sociale du programme du Conseil national de la Résistance (CNR) font bel et bien partie de l'identité française.
"Indignez-vous!": c'est aussi ce que vous dites aux jeunes d'aujourd'hui ?
Comme je vous le rappelais, j'ai consacré des centaines d'heures de ma vie à parler de la Résistance devant des jeunes gens. Chaque fois, je me pose la même question: à quoi servent tous ces beaux discours? C'est le message suivant que j'essaie de faire passer.
L'histoire de la Résistance a été faite de beaucoup de moments très difficiles. Mais dès le premier jour, dès l'appel du 18juin 1940 dans lequel de Gaulle a expliqué que la perte d'une bataille ne voulait pasdire que nous avions perdu la guerre,une seule chose nous a guidés: l'optimisme, la conviction qu'en nous engageant, nous pouvions changer les choses. Voici ce que je dis aux jeunes: si vous partez battus, vous n'arriverez à rien; si vous vous battez, alors vous aurez peut-être une chance d'arriver àquelque chose.
En 1996, vous avez publié vos souvenirs sous le titre Où la mémoire s'attarde (éd. Odile Jacob). Aujourd'hui, Pascal Convert vous consacre une biographie. Qu'avez-vous ressenti à sa lecture ?
J'ai appris beaucoup de choses en lisant ce livre. Je vous donnerai un exemple, sur un épisode qui se situe pendant la guerre du Vietnam. En 1967, j'ai servi de porteur de messages entre les Américains et les Nord-Vietnamiens. Je ne savais pas, à l'époque, que Lyndon Johnson, le président des Etats-Unis, avait créé un petit comité chargé d'étudier le résultat de cette mission. Grâce à ses recherches dans les archives américaines, Pascal a reconstitué cette partie de l'histoire. Il donne des informations qui complètent ce que l'on sait du rôle joué à l'époque par le secrétaire à la défense, Robert McNamara, en faveur de l'ouverture de négociations avec les Nord-Vietnamiens. C'était ce qu'on appelait la filière "Pennsylvania".
Des années plus tard, McNamara m'a offert son livre sur la guerre du Vietnam avec la dédicace: "Si nous avions été suivis, des millions d'hommes auraient été sauvés…"
Les livres qui vous entourent en témoignent: les travaux consacrés à la seconde guerre mondiale continuent de paraître en très grand nombre. Croyez-vous qu'il reste encore beaucoup à apprendre sur cette période ?
Il y a deux semestres singuliers dans ma vie: celui qui commence en juin1940 et celui qui commence en juin1944. Le premier est connu jour après jour. Le second est bourré d'événements militaires et politiques tout aussi nombreux, mais il est beaucoup moins bien compris, et ce pour une raison toute simple: la France était à l'époque complètement disloquée, bien plus encore qu'elle ne l'était quatre ans plus tôt. Il y avait de Gaulle, certes, mais ce n'était qu'une parole, et pas une action. Il y avait un gouvernement, bien sûr, mais il ne gouvernait pas. Si bien que j'attends l'historien qui, à partir de l'immense masse de documents monographiques existant, expliquera comment la France est sortie de ce chaos.
La mémoire de cette époque, marquée par l'épuration, reste douloureuse. Vous étiez alors commissaire de la République à Marseille, d'août1944 à janvier1945. C'est une période dont vous dites avoir conservé des "cauchemars", et pour laquelle vous avez étéattaqué, certains vous reprochant d'avoir pratiqué une épuration trop sévère…
C'est une période affreuse, où il fallait faire des choix très difficiles. Voici un exemple, qui date de novembre1944. Je suis dans le bureau d'Adrien Tixier, alors ministre de l'intérieur, quand le préfet du Vaucluse appelle : une explosion vient de faire 25morts dans un cantonnement de FFI [Forces françaises de l'intérieur] au château de La Simone, à Pertuis, au bord de la Durance. Il nous apprend que les gens du pays ont arrêté 25 personnes et ont décidé de les exécuter au moment de l'enterrement des jeunes FFI, ce qui était naturellement inacceptable. Que faire? Je suis immédiatement parti en voiture et, une fois sur place, j'ai demandé à Tixier que le canton de Pertuis soit déclaré en état de siège afin de pouvoir, en tant que commissaire de la République, disposer de tous les pouvoirs. Cela n'était pas possible: l'état de siège ne peut être déclaré qu'en conseil des ministres et celui-ci ne pouvait se réunir, car le général de Gaulle était envoyage à Moscou…
Que s'est-il passé ?
Je me suis débrouillé comme j'ai pu. A mon arrivée à Pertuis, vers 2 heures du matin, j'ai été arrêté par un barrage de femmes habillées en noir et armées de mitraillettes et de grenades.
Quelques-unes étaient les mères des jeunes FFI morts dans l'explosion.
Elles m'ont finalement laissé accéder à la mairie. Là, dans le bureau du maire, il y avait trente personnes et, sous le plancher, à la cave, les otages. L'atmosphère était très tendue. Nous sommes d'abord allés nous recueillir sur les lieux. Puis, comme tous étaient convaincus que les FFI avaient été victimes d'un attentat et non d'une explosion, je leur ai proposé la chose suivante : nous transportons les otages à Avignon pour que les magistrats puissent travailler ; je fais venir à Pertuis le chef de la Milice du Vaucluse, arrêté quelques jours plus tôt ; je crée une branche de la cour de justice et vous rendrez justice vous-mêmes.
Un gars s'est alors levé et a dit : "Le commissaire de la République nous roule dans la farine : comme il dispose du droit de grâce, le type va s'en sortir même si nous le condamnons à mort." J'ai dû m'engager à refuser la grâce d'un homme qui n'était pas encore traduit devant un tribunal qui n'existait pas encore ! Je suis allé à Avignon, j'ai dû exiger qu'on transporte le prisonnier… Quelques heures après, je reçois un coup de fil. J'apprends que le tribunal s'est réuni, que le type a été condamné à mort et qu'il a signé un recours en grâce. On me demande ce que je décide. Je refuse la grâce.
Trois jours après, François de Menthon, alors Garde des sceaux, est venu à la demande du gouvernement enquêter sur l'affaire du château de La Simone. A son retour, il m'a dit : "Tu as fait la plus extraordinaire collection d'infractions au code pénal qu'on puisse imaginer. Mais tu as réussi à sauver les otages."
Vous aviez alors 30 ans…
Oui, 30 ans seulement. J'avoue que j'ai du mal à le croire.
Avez-vous des regrets ?
Bien sûr. Plus que des regrets, même. Par exemple quand je repense à la "solution finale", qui éveille chez moi un grand sentiment de culpabilité. Mes parents habitaient Dijon. J'ai pu les persuader de venir à Lyon et d'accepter des faux papiers, mais je n'ai jamais pu les décider à partir en Suisse. Ma mère était tentée, mais mon père, paradoxe de l'époque, faisait encore confiance au maréchal Pétain. Je m'en veux de ne pas avoir su les convaincre de partir. Ils ont été dénoncés par la Milice puis assassinés à Auschwitz.
Et de quoi êtes-vous le plus fier ?
Du choix de ma compagne. Je dois dire que c'était bien joué. La réciproque est vraie, je crois que Lucie en convenait. Dans la vie, vous savez, il n'y a que trois ou quatre choix fondamentaux à faire.
Tout le reste est affaire de hasard.
Propos recueillis par Philippe Dagen et Thomas Wieder

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