La substance active du Cruiser intoxique les abeilles même à faible dose. Le ministère de l'Agriculture a annoncé qu'il envisageait d'interdire le pesticide Cruiser OSR de Syngenta, suite à la publication hier d'une étude française prouvant l'impact de sa matière active, le thiaméthoxam, dans la survie des abeilles.
(Photo : An.Te. )
Face aux dénégations du fabricant du Cruiser, les scientifiques confirment que ce pesticide fait courir des dangers aux abeilles mais soulignent que le risque doit être encore avéré en plein champ.
Co-auteur, avec Mickaël Henry, d'une étude française publiée jeudi dans la revue scientifique américaine Science sur le thiaméthoxam, le chercheur français Axel Decourtye a aussi souligné que la mission de statuer sur les risques de l'utilisation du pesticide Cruiser OSR fabriqué par le groupe suisse Syngenta revient "aux instances officielles".
Dans une étude parue jeudi 29 mars dans la revue Science, l'équipe de scientifiques français de l'Institut national de la recherche agronomique (Inra) d'Avignon, de l'Association de coordination technique agricole (Acta) et du CNRS a mis en évidence pour la première fois ''le rôle d'un insecticide dans le déclin des abeilles, non pas par toxicité directe mais en perturbant leur orientation et leur capacité à retrouver la ruche''.
Pour réaliser leur étude, les chercheurs ont collé des micropuces électroniques RFID de 3 milligrammes fixées sur le thorax de plus de 650 abeilles permettant de suivre leurs déplacements. Ils ont pu constater l'importance du non-retour à leur ruche de la moitié des butineuses préalablement nourries en laboratoire, avec une solution sucrée contenant des doses très faibles d'un insecticide de la famille des néonicotinoïdes, le thiaméthoxam. Il s'agit de lasubstance active utilisée pour l'enrobage des semences dans de nombreux produits phytosanitaires, comme le Cruiser du fabricant Syngenta sur le maïs et sur le colza, déjà accusé d'être à l'origine d'une surmortalité d'abeilles par les apiculteurs et les ONG environnementales.
Les abeilles désorientées par une faible dose
En comparant les proportions de retours à la ruche des deux groupes d'abeilles ayant reçu une solution sucrée avec ou sans pesticides, les chercheurs ont évalué le taux de disparition imputable à l'ingestion du produit testé. Résultats : cet insecticide agit sur les abeilles à des doses bien inférieures à la dose létale en interférant avec leur système cérébral de géolocalisation, ce qui a entraîné la mort d'un grand nombre d'entre elles. "Lorsqu'elle est combinée à la mortalité naturelle", cette disparition liée à l'insecticide aboutit à une mortalité journalière de 25% à 50% chez les butineuses intoxiquées. Soit jusqu'à trois fois le taux normal (environ 15% des butineuses par jour), précise l'étude.
Afin d'évaluer l'impact de l'augmentation du taux de mortalité en période de floraison, les chercheurs ont établi une simulation basée sur ces résultats qui ''laisse penser que l'impact de l'insecticide sur les colonies pourrait être significatif." Celle-ci montre que si la majorité des butineuses étaient contaminées chaquejour, l'effectif de la colonie pourrait chuter de moitié pendant le temps de la floraison – et jusqu'à 75 % dans les scenarii les plus pessimistes. "Ce déclin démographique serait critique, à une période où la population de la colonie devrait atteindre un maximum, un préalable nécessaire au stockage de réserves alimentaires et à la production de miel". Cette désorientation a donc "le potentiel de déstabiliser le développement normal de la colonie", ce qui peut en outre la rendre vulnérable aux autres facteurs de stress que sont les pathogènes (varroa, Nosema, virus) ou les variations de la disponibilité des ressources florales naturelles. Et de conclure :une exposition des abeilles butineuses à un insecticide néonicotinoïde ''pourrait affecter à terme la survie de la colonie, même à des doses bien inférieures à celles qui conduisent à la mort des individus''.
Vers un retrait du marché du Cruiser OSR ?
Face aux résultats de toxicité démontrée par l'étude - venant confirmer par la même les craintes des apiculteurs et ONG - le ministère de l'Agriculture a réagi dès le 29 mars au soir en indiquant qu'il envisageait l'interdiction de l'usage du pesticide Cruiser OSR utilisé sur le colza, après ''réévaluation" du produit. Le pesticide est autorisé en France depuis juin 2011 sur la base d'un avis favorable de l'Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses). Or, le ministère a déclaré attendre un nouvel avis de l'Anses, qu'il saisira sur cette étude d'ici le 31 mai, "avant la campagne de semences en juillet", selon un responsable interrogé par l'AFP. Le ministère a également demandé à l'Inra et à l'Acta "d'accélérer les recherches en plein champ" pour évaluer si les résultats de leur expérimentation "se retrouvent en condition réelle".
En cas de confirmation des résultats de l'équipe française, l'autorisation de mise sur le marché du Cruiser OSR serait alors retirée. De quoi satisfaire France Nature Environnement (FNE) et l'Union nationale de l'apiculture française (Unaf) qui avaient déjà demandé le retrait du pesticide. Mais les apiculteurs et la fédération écologiste avaient été déboutés en juillet 2011 en référé par le Conseil d'Etat qui s'était déclaré incompétent pour traiter cette affaire. Dans un communiqué, l'Unaf qui a déjà déposé un autre recours contre le pesticide, a réclamé ce vendredi 30 mars une interdiction "immédiate" du Cruiser OSR.
La fédération appelle également au retrait de ''l'ensemble des pesticides néonïcotinoides tueurs d'abeilles''alors que le Cruiser 350 utilisé sur le maïs ''peut toujours être commercialisé dans l'attente d'une décision de justice pour l'AMM 2011", selon elle. "L'article publié dans Science intervient alors que le colza est en pleine floraison, et que selon les chiffres de Syngenta, 600.000 ha de colza enrobé au Cruiser OSR auraient été semés l'été dernier. Le Ministre a annoncé renvoyer à l'Anses l'évaluation de l'étude, mais un avis de l'Anses au 31 mai interviendrait trop tard par rapport au calendrier de commande des graines de colza, semées en août'', prévient la fédération apicole. "Le temps n'est plus aux études mais à l'action politique courageuse !", a déclaré Olivier Belva, président de l'Unaf.
De son côté, FNE qui "se bat" également ''depuis 4 ans pour l'interdiction de ce produit" a vu "un message extrêmement positif" dans l'annonce du gouvernement. ''Nous attendons l'avis de l'Anses mais le fait que les pouvoirs publics réagissent enfin est une excellente nouvelle pour les abeilles, dont chacun sait qu'elles sont indispensables à l'équilibre des écosystèmes et à notre alimentation", a déclaré Bruno Genty, président de FNE.
Syngenta conteste l'étude
En revanche, le fabricant suisse Syngenta a, lui, contesté les conclusions de l'étude française estimant dans un communiqué qu'elle comporte "deux biais fondamentaux". Selon lui, la dose d'insecticide administrée est "au moins trente fois plus élevée que celle du nectar de colza protégé avec du Cruiser OSR". Pour atteindre la quantité de thiaméthoxam retenue dans l'étude, l'abeille "devrait consommer quotidiennement jusqu'à sept fois son propre poids en nectar. Cette quantité correspond également à deux fois la dose maximale retenue comme « pire cas » par l'Anses" dans son avis d'octobre 2010, affirme Syngenta. Ce dernier conteste également les conséquences du pesticide sur ''la chute de moitié des colonies" pendant le temps de la floraison alors que les études fournies à l'appui du dossier d'autorisation de mise sur le marché "n'auraient montré aucune baisse de poids des colonies". Le groupe assure ''que le Cruiser OSR a déjà été utilisé sur plus de trois millions d'hectares de colza en Europe sans incident''.
Mickaël Henry (Institut français de la recherche scientifique) et Axel Decourtye (réseau des instituts techniques agricoles) ont marqué 653 abeilles en collant sur leur thorax une puce à radio-identification permettant de suivre leurs déplacements.
Ils ont ensuite donné à certaines d'entre elles une dose de thiaméthoxam et constaté qu'elles avaient du mal à retrouver leur ruche, réduisant d'autant leurs chances de vivre. Un modèle mathématique établit d'ailleurs que les populations d'abeilles exposées au pesticide chutaient à un niveau ne permettant plus leur renouvellement.
Dès jeudi soir, le ministre français de l'Agriculture Bruno Le Maire a indiqué avoir demandé l'avis de l'Agence de sécurité sanitaire pour qu'elle confirme -ou non- d'ici deux mois, c'est à dire avant la nouvelle campagne de semences, que les dangers présentés par le pesticide dans le cadre de l'étude se confirmaient en plein champ.
"Si ces nouvelles données étaient confirmées, l'autorisation de mise sur le marché" du Cruiser OSR, qui protège les semis de colza, "serait retirée", a-t-il indiqué.
Axel Decourtye a de son côté contesté les arguments de Syngenta, indiquant que l'étude avait été conduite avec une dose qui peut être rencontrée en conditions réelles. Il a par ailleurs fait valoir qu'en tout état de cause le travail des chercheurs consistait à "regarder le danger de ce pesticide sur l'abeille, pas l'exposition des abeilles en conditions réelles".
"Chacun son boulot, ce n'est pas à nous, et encore moins à la firme, de définir s'il y a risque ou pas, ce sont les instances officielles qui ont mission de statuer là-dessus", a-t-il indiqué.
Ecologistes et apiculteurs français ont applaudi vendredi la publication de l'étude et réitéré leurs appels à interdire le Cruiser.
L'Union nationale de l'apiculture française (Unaf), qui milite de longue date contre ce pesticide, s'est réjouie du "nouvel éclairage apporté par l'étude" et a demandé une interdiction immédiate.
Selon l'Unaf, un avis au 31 mai serait trop tardif par rapport au calendrier de commande des graines de colza. "Le temps n'est plus aux études mais à l'action politique courageuse", estime le syndicat des apiculteurs.
Le réseau France Nature Environnement (FNE) a pour sa part vu "un message extrêmement positif" dans la réaction du ministère>.
Michèle Rivasi, députée européenne écologiste, s'est félicitée également de l'annonce du ministère. Elle a rappelé aussi que "les abeilles ne sont pas les seules victimes des phytosanitaires", "de plus en plus d'agriculteurs" étant affectés par ces produits.
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