Tant qu'il y aura
des hommes
André Bucher était
l' invité du Café
Voltaire de Die .
Paysan de montagne dans les pré-alpes sèches du sud de la Drôme, militant bio de la première heure et pionnier d’un art de vivre alternatif, André Bucher est également le bouillant initiateur et animateur-poète de «la foire aux produits Bio de Monfroc ». Rencontre avec un « homme libre » qui dit son attachement à une région et à un métier auxquels il aura consacré sa vie et dont l’avenir, reposant sur si peu d’individus, lui semble aujourd’hui menacé.
« L’aventure commence au cœur de cette période turbulente de la fin des années soixante ». Celui qui retrace le fil de son existence est indiscutablement photogénique : Une silhouette grande et mince, dégingandée, un profil en lame de couteau sous un crâne dégarni qui trahi déjà la cinquantaine, de longs cheveux longs et grisonnants tombant filasses sur des épaules larges et une barbe broussailleuse de moine anachorète complète le tableau de quelqu’un qui n’a pas le souci de plaire à son patron... Oui, André Bucher est un ancien idéaliste des années 68, encore qu’il refuse toutes les étiquettes et se méfie de ces clichés trop hâtivement collés sur son allure. Ce fils de paysan sans terre (son père était modeste garde barrière en Alsace), commence par faire de brillantes études jusqu’à accéder à l’école normale des instituteurs qu’il abandonnera pour prendre « la route ». Devenant plusieurs années durant tour à tour cadre en entreprise, bûcheron, ouvrier agricole, routier, pécheur en Espagne, il finit par fonder dans la région d’Apt avec Marie Claude, la compagne de sa vie, et trois autres familles, une communauté agricole basée sur l’élevage et la culture bio en fermage. Nous sommes au début des années 70 et le groupe se prend à rêver d'un mode de vie de pionnier et d'une culture radicalement alternative. Les chemins de l'utopie passent par l'acquisition d'une terre suffisamment vaste pour accueillir tout ce monde, suffisamment isolée et dure à vivre pour pouvoir être acquise à un prix abordable pour les modestes finances du groupe.
Ce sera GRIGNON où en 1974, s’installe une quinzaine de personnes (dont 6 enfants), sur les hauteurs de Monfroc, à 1080 mètres d’altitude dans une bergerie abandonnée. « L'endroit était à la fois merveilleux et terrifiant… » se souvient André. Merveilleux, le site l’est en effet toujours, accroché aux pentes abruptes de la vallée du Jabron qui serpente en gorges à cet endroit et fait face à l’imposante montagne de Lure qui culmine à plus de 1800 mètres. La nature de ces premiers contreforts alpins y est ici superbe, grandiose et sauvage. Terrifiant aussi, car sur les 200 hectares achetés par le groupe, il n’y en a que 33 de terres travaillables (dans des conditions difficiles, toutes en pentes pouvant aller jusqu’à 25% et qui seraient considérées comme des friches par un agriculteur de la vallée du Rhône), le reste étant recouvert de bois et de landes plus ou moins accessibles s’étageant entre 1000 et 1500 mètres. La bergerie elle, est en ruine et il faudra commencer avant toute chose à la rendre habitable pour le premier hiver. Puis ce sera les travaux de reconstruction, de terrassement, de voirie sur la méchante route qui monte de Monfroc (grimpant en 4 kms de 700 à 1100 mètres le long de précipices vertigineux) et les chemins d’accès aux terres, bois et pâturages qu’il faut constamment refaire, entretenir et aménager. Dans le même temps un important effort de reboisement est entrepris : En 10 ans, 18 000 arbres (des pins sylvestres mais aussi des noyers, accacias, savoniers, mélèzes, cèdres et séquoias) seront plantés par André et ses compagnons sur plus de 15 hectares permettant le développement du sylvo-pastoralisme. Pour subsister le groupe fait de l’élevage de brebis et de chèvres, fabrique des fromages, cultivent des céréales et des légumes bios dont la commercialisation ne connaît pas alors l’engouement d’aujourd’hui.
Dire que les débuts furent difficiles est un euphémisme. Du premier groupe, il ne subsiste plus aujourd’hui à Grignon, 24 ans plus tard, que deux familles avec deux exploitations agricoles distinctes. André et Marie Claude Bucher continuent eux, à faire sur les hauteurs de Monfroc des céréales et légumes bios dont la qualité est reconnue par le circuit de distribution. Leurs trois enfants élevés à la ferme sont partis (même s’ils sont restés ancrés dans la région entre Montbrun et Sisteron), ils ont donné des petits enfants aux fermiers de Grignon… André s’interrompt. Pas facile de dire ce que fut ce quart de siècle passé sur cette terre, accroché à ces montagnes. Cette existence de pionniers, rude comme le décor, riche d’une solidarité vitale qu’il partage avec tous ceux qui y vivent. « Dans la montagne, il y a plus d'individus que d'habitants… » La formule fait mouche et dit assez les qualités humaines qu’il faut déployer pour subsister ici. Combien ceux-là sont maintenant viscéralement attachés au pays, combien leur rôle fut et reste prépondérant pour la sauvegarde d’un équilibre essentiel à la vie de la région. « On a beaucoup glosé sur ces soixante-huitards venus des villes réaliser un retour à la terre en s'installant dans des zones montagneuses du sud de la France. Mais on oublie trop souvent de dire que bien souvent sans eux ces régions seraient exsangues… »
Et André s’inquiète de ne pas voir les nouvelles générations prendre le relais. « Et pourtant ce n’est pas le travail qui manque… Combien d'« exclus » pourraient trouver ici le chemin d’une réinsertion sociale… ? Mais pour cela il faudrait reconnaître le rôle formateur et pédagogique de ceux qui vivent dans ces zones isolées de montagne. Encore faudrait-il également mettre en place une réelle politique volontariste qui lèverait les nombreux freins à l'implantation de nouveaux entrepreneurs ». Et sur ce sujet, André Bucher est intarissable. « Dans nos montagnes les producteurs qu’ils soient en agriculture bio ou pas, paysans ou artisans seront toujours handicapés par rapport aux entreprises de plaine : récoltes moins nombreuses et tardives, climat moins productif, difficultés de transport et d’accès, morcellement des exploitations, prix de revient plus élevés, etc… Par conséquent, tant que l’on continuera à fonctionner en vertu des sacro-saints principes du libéralisme absolu, les habitants des montagnes seront toujours pénalisés. Et en l’absence d’une politique de différenciation des aides tenant compte de la spécificité de ces régions, le producteur de montagne est appelé à disparaître un jour ou l’autre quel que soit son courage et sa détermination à rester… »
Et celui qui parle sait de quoi il parle… Du courage et de la détermination André Bucher n’en a jamais manqué depuis 24 ans dans ses chères montagnes du sud de la Drôme : Car ce diable d’homme ne s’est pas contenté de jouer les nouveaux Candides en « cultivant son jardin », fut-il biologique… Membre du conseil municipal de sa commune depuis 1975, président de l’association départementale de développement de l’agriculture biologique dans la Drôme pendant 5 ans, membre de l’association des fermiers Drômois, assesseurs auprès du tribunal paritaire des Baux ruraux 6 années durant, initiateur et principal animateur de la Foire aux produits Biologiques de Monfroc qui connaît une notoriété croissante depuis 15 ans, André Bucher est également un poète, passionné de littérature qui en est à son 7 éme manuscrit proposé à diverses maisons d’édition.
Oui décidément la vie d’André Bucher semble sortir tout droit d’un récit de Giono, à moins que ce ne soit d’un reportage d’Arthur London, de Joseph Kessel ou de l’un de ces romans américains qu’il affectionne tant et dont les rayons de sa bibliothèque sont remplis. A n’en pas douter cet homme là est un « Homme Libre » ! Une liberté qui s’exprime et s’enrichit au contact de la montagne, qui elle-même s’entretient et se valorise par la présence et le travail de ces hommes là : Paysans de montagne, libres et fiers de l’être. Tant qu’ils pourront mutuellement se nourrir l’un de l’autre… Tant qu’il y aura des hommes…
Alain Bosman
Paysan de montagne dans les pré-alpes sèches du sud de la Drôme, militant bio de la première heure et pionnier d’un art de vivre alternatif, André Bucher est également le bouillant initiateur et animateur-poète de «la foire aux produits Bio de Monfroc ». Rencontre avec un « homme libre » qui dit son attachement à une région et à un métier auxquels il aura consacré sa vie et dont l’avenir, reposant sur si peu d’individus, lui semble aujourd’hui menacé.
« L’aventure commence au cœur de cette période turbulente de la fin des années soixante ». Celui qui retrace le fil de son existence est indiscutablement photogénique : Une silhouette grande et mince, dégingandée, un profil en lame de couteau sous un crâne dégarni qui trahi déjà la cinquantaine, de longs cheveux longs et grisonnants tombant filasses sur des épaules larges et une barbe broussailleuse de moine anachorète complète le tableau de quelqu’un qui n’a pas le souci de plaire à son patron... Oui, André Bucher est un ancien idéaliste des années 68, encore qu’il refuse toutes les étiquettes et se méfie de ces clichés trop hâtivement collés sur son allure. Ce fils de paysan sans terre (son père était modeste garde barrière en Alsace), commence par faire de brillantes études jusqu’à accéder à l’école normale des instituteurs qu’il abandonnera pour prendre « la route ». Devenant plusieurs années durant tour à tour cadre en entreprise, bûcheron, ouvrier agricole, routier, pécheur en Espagne, il finit par fonder dans la région d’Apt avec Marie Claude, la compagne de sa vie, et trois autres familles, une communauté agricole basée sur l’élevage et la culture bio en fermage. Nous sommes au début des années 70 et le groupe se prend à rêver d'un mode de vie de pionnier et d'une culture radicalement alternative. Les chemins de l'utopie passent par l'acquisition d'une terre suffisamment vaste pour accueillir tout ce monde, suffisamment isolée et dure à vivre pour pouvoir être acquise à un prix abordable pour les modestes finances du groupe.
Ce sera GRIGNON où en 1974, s’installe une quinzaine de personnes (dont 6 enfants), sur les hauteurs de Monfroc, à 1080 mètres d’altitude dans une bergerie abandonnée. « L'endroit était à la fois merveilleux et terrifiant… » se souvient André. Merveilleux, le site l’est en effet toujours, accroché aux pentes abruptes de la vallée du Jabron qui serpente en gorges à cet endroit et fait face à l’imposante montagne de Lure qui culmine à plus de 1800 mètres. La nature de ces premiers contreforts alpins y est ici superbe, grandiose et sauvage. Terrifiant aussi, car sur les 200 hectares achetés par le groupe, il n’y en a que 33 de terres travaillables (dans des conditions difficiles, toutes en pentes pouvant aller jusqu’à 25% et qui seraient considérées comme des friches par un agriculteur de la vallée du Rhône), le reste étant recouvert de bois et de landes plus ou moins accessibles s’étageant entre 1000 et 1500 mètres. La bergerie elle, est en ruine et il faudra commencer avant toute chose à la rendre habitable pour le premier hiver. Puis ce sera les travaux de reconstruction, de terrassement, de voirie sur la méchante route qui monte de Monfroc (grimpant en 4 kms de 700 à 1100 mètres le long de précipices vertigineux) et les chemins d’accès aux terres, bois et pâturages qu’il faut constamment refaire, entretenir et aménager. Dans le même temps un important effort de reboisement est entrepris : En 10 ans, 18 000 arbres (des pins sylvestres mais aussi des noyers, accacias, savoniers, mélèzes, cèdres et séquoias) seront plantés par André et ses compagnons sur plus de 15 hectares permettant le développement du sylvo-pastoralisme. Pour subsister le groupe fait de l’élevage de brebis et de chèvres, fabrique des fromages, cultivent des céréales et des légumes bios dont la commercialisation ne connaît pas alors l’engouement d’aujourd’hui.
Dire que les débuts furent difficiles est un euphémisme. Du premier groupe, il ne subsiste plus aujourd’hui à Grignon, 24 ans plus tard, que deux familles avec deux exploitations agricoles distinctes. André et Marie Claude Bucher continuent eux, à faire sur les hauteurs de Monfroc des céréales et légumes bios dont la qualité est reconnue par le circuit de distribution. Leurs trois enfants élevés à la ferme sont partis (même s’ils sont restés ancrés dans la région entre Montbrun et Sisteron), ils ont donné des petits enfants aux fermiers de Grignon… André s’interrompt. Pas facile de dire ce que fut ce quart de siècle passé sur cette terre, accroché à ces montagnes. Cette existence de pionniers, rude comme le décor, riche d’une solidarité vitale qu’il partage avec tous ceux qui y vivent. « Dans la montagne, il y a plus d'individus que d'habitants… » La formule fait mouche et dit assez les qualités humaines qu’il faut déployer pour subsister ici. Combien ceux-là sont maintenant viscéralement attachés au pays, combien leur rôle fut et reste prépondérant pour la sauvegarde d’un équilibre essentiel à la vie de la région. « On a beaucoup glosé sur ces soixante-huitards venus des villes réaliser un retour à la terre en s'installant dans des zones montagneuses du sud de la France. Mais on oublie trop souvent de dire que bien souvent sans eux ces régions seraient exsangues… »
Et André s’inquiète de ne pas voir les nouvelles générations prendre le relais. « Et pourtant ce n’est pas le travail qui manque… Combien d'« exclus » pourraient trouver ici le chemin d’une réinsertion sociale… ? Mais pour cela il faudrait reconnaître le rôle formateur et pédagogique de ceux qui vivent dans ces zones isolées de montagne. Encore faudrait-il également mettre en place une réelle politique volontariste qui lèverait les nombreux freins à l'implantation de nouveaux entrepreneurs ». Et sur ce sujet, André Bucher est intarissable. « Dans nos montagnes les producteurs qu’ils soient en agriculture bio ou pas, paysans ou artisans seront toujours handicapés par rapport aux entreprises de plaine : récoltes moins nombreuses et tardives, climat moins productif, difficultés de transport et d’accès, morcellement des exploitations, prix de revient plus élevés, etc… Par conséquent, tant que l’on continuera à fonctionner en vertu des sacro-saints principes du libéralisme absolu, les habitants des montagnes seront toujours pénalisés. Et en l’absence d’une politique de différenciation des aides tenant compte de la spécificité de ces régions, le producteur de montagne est appelé à disparaître un jour ou l’autre quel que soit son courage et sa détermination à rester… »
Et celui qui parle sait de quoi il parle… Du courage et de la détermination André Bucher n’en a jamais manqué depuis 24 ans dans ses chères montagnes du sud de la Drôme : Car ce diable d’homme ne s’est pas contenté de jouer les nouveaux Candides en « cultivant son jardin », fut-il biologique… Membre du conseil municipal de sa commune depuis 1975, président de l’association départementale de développement de l’agriculture biologique dans la Drôme pendant 5 ans, membre de l’association des fermiers Drômois, assesseurs auprès du tribunal paritaire des Baux ruraux 6 années durant, initiateur et principal animateur de la Foire aux produits Biologiques de Monfroc qui connaît une notoriété croissante depuis 15 ans, André Bucher est également un poète, passionné de littérature qui en est à son 7 éme manuscrit proposé à diverses maisons d’édition.
Oui décidément la vie d’André Bucher semble sortir tout droit d’un récit de Giono, à moins que ce ne soit d’un reportage d’Arthur London, de Joseph Kessel ou de l’un de ces romans américains qu’il affectionne tant et dont les rayons de sa bibliothèque sont remplis. A n’en pas douter cet homme là est un « Homme Libre » ! Une liberté qui s’exprime et s’enrichit au contact de la montagne, qui elle-même s’entretient et se valorise par la présence et le travail de ces hommes là : Paysans de montagne, libres et fiers de l’être. Tant qu’ils pourront mutuellement se nourrir l’un de l’autre… Tant qu’il y aura des hommes…
Alain Bosman
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