« Ma France, ce sont des odeurs d’aubépine, des cris de marché du Nord où des accents divers vous vantent les nems, les frites ou les merguez, des vols de guêpes sur les abricots mûrs, des jeux d’écoliers enfin libérés, des pique-niques en forêt, des plages encombrées où le ressac fait oublier les moteurs des automobilistes à la recherche d’une ultime place, où l’iode l’emporte sur l’ambre solaire et les effluves de la pizzeria. Cette France-là, c’est celle de l’enfance, des sensations simples, et les plus vives douleurs sont celles qu’infligent les orties ou les méduses. Et puis, il y a notre France d’adultes, lourde de stratégies, de paroles, de colères, d’enthousiasmes, de drames, de responsabilités. Celle où nos images d’enfance sont devenues des concepts et des enjeux : l’immigration, la dette, le chômage, la carte scolaire, l’effet de serre, la pollution … Et le tableau s’est noirci : la croissance, idole vieillissante, n’apporte plus l’emploi ; les droits essentiels comme la santé, la culture ou l’information sont vendus au plus offrant; et à quelques heures de nos frontières on coupe la forêt primaire pour nos salons de jardins, et nos chalutiers vident les rivages somaliens de leurs poissons, sous la garde de militaires bleu-blanc-rouge. Mon pays se lit hélas dans les yeux des mineurs afghans de Calais, des enfants des salariés de France Telecom, des veuves de l’amiante. Alors, la France des droits de l’Homme, des trains qui arrivent à l’heure, du bureau de poste du quartier, de la baguette qui croustille, terre d’asile, de diversité et de culture, est-elle soluble dans la privatisation des services publics, dans les hypermarchés, dans l’égoïsme et la violence, dans les séries et jeux télévisés ; dans le coup de menton d’un ministre débouté du socialisme qui cuisine la précarité des réfugiés comme un mauvais ragoût de communication nauséabonde ; dans la mégalomanie d’un président dont l’hyperactivité n’a d’égal que l’irresponsabilité vis-à-vis des générations futures à qui il lèguera toutes ses factures ? Je ne le crois pas. Il reste au cœur des gens suffisamment d’espoir et de grandeur pour qu’à des alternances politiques, davantage mues par le rejet du sortant que par l’adhésion au programme du suivant, succède une vraie alternative généreuse. Une France qui parierait sur la fécondité de sa démocratie. Un Hexagone où l’expression des territoires s’imposerait à des centralismes jacobins et prétentieux, et empêcherait la manœuvre grossière de les priver de ressources. Un espace où l’expression des habitants s’imposerait à des logiques économistes suicidaires, véritables machines à détruire la planète, à ruiner l’emploi, à produire toute forme d’exclusion et de violence : économies mafieuses, drogue, délinquance ou vote Front National. Une école et une université où l’on transmet et produit de la connaissance et de l’altérité, avant de juger, classer, hiérarchiser, et exclure ceux qui ne s’annoncent pas comme rentables. Une entreprise où la belle ouvrage ne soit pas laminée par la spéculation, qui tue les hommes et anéantit la transmission des savoirs. Une société où la culture, la parole, le débat, accouchent d’innovations, d’ouverture, de solidarité. Un Président qui n’instrumentalise pas notre mémoire et notre quotidien pour activer à nouveau des tentations identitaires suspectes. Une Marseillaise revue et corrigée, avec des paroles pacifistes, et l’abandon de thèmes provocateurs de haine, comme le sang impur. Faudra-t-il un déclic ? Un pas de plus vers l’inacceptable des licenciements, des sans-abri, des reconductions aux frontières ? La conjonction des pêcheurs de Boulogne, des producteurs de lait, des amiantés et des licenciés de Gandrange ? Toujours est-il que notre avenir est dans cette France vigilante, où des femmes veillent à ce qu’un prétendu ordre moral ne les bafoue pas, où des centaines d’associations défendent la biodiversité, où des familles hébergent les sans papiers, où des enseignants entrent en résistance, où des milliers d’étudiants ne sont pas prêts à renoncer à leur droit à l’université, où des hommes et des femmes raisonnent autrement qu’en termes de PIB ou de compte d’exploitation. Loin des banques aux primes insolentes, loin du béton et des lobbies, ma France est verte, plurielle, vivante, bavarde, imaginative, impertinente. Elle est dans le cœur des gens, ceux qui ne veulent plus construire la misère du monde, et qui, en attendant, ont l’ambition de l’accueillir. »
Marie Christine Blandin,
le 3 novembre 2009.
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