Cet argent qui corrompt
Selon le dernier rapport de Transparency International, la corruption gagne du terrain en Europe et trois quarts des personnes interrogées considèrent que les actions de leurs gouvernements sont inefficaces pour la combattre. Les zones de non-droit dans la «planète finance» se sont étendues avec d’autant plus de facilité que les logiques corruptrices étaient à l’œuvre et au-delà du mauvais classement de la France dans l’indice de perception de la corruption, de nombreuses études d’opinion nous rappellent que la politique et l’argent apparaissent toujours, dans notre pays, comme un couple sulfureux. Certes, depuis la fin des années 1980, de nombreuses règles ont été adoptées, encadrant le financement de la vie politique. Et depuis la fin des années 1990, notre pays s’est doté de nouveaux outils législatifs contre la corruption, en adaptant son arsenal juridique aux exigences des conventions de l’Union européenne et de l’OCDE en ratifiant enfin la convention des Nations unies.
Non seulement la loi française ne décourage pas assez les fraudeurs mais, plus grave encore, ceux qui devraient incarner de façon exemplaire le bien public, sont les premiers responsables de cette relation trouble qui s’aggrave entre l’argent et le pouvoir.
De ce point de vue le sarkozysme est un paroxysme, tant il est vrai qu’en voulant décomplexer la droite, le président sortant a surtout décomplexé les conflits d’intérêts, le mélange des genres et les logiques claniques au point que jamais notre pays n’a connu un tel climat délétère marqué par la collusion entre le monde de l’argent et la sphère publique. Le décalage entre les mots du président sortant et les maux qu’il prétendait combattre n’a cessé de s’aggraver depuis 2007. Et même au plan international, le discours de Cotonou de Nicolas Sarkozy en 2006, annonçant une rupture avec les mauvaises habitudes de la Françafrique, est bien loin et relève désormais de l’imposture.
Les conflits d’intérêts, s’ils ne tombent pas sous le coup de la loi pénale, contribuent à aggraver la porosité des frontières entre secteur privé et secteur public et des scandales ont montré que l’Europe elle-même et dans des secteurs aussi décisifs que la santé, n’est pas à l’abri de l’ingérence des logiques privées dans l’action publique. En septembre 2010, a été mise en place en France une Commission de réflexion pour la prévention des conflits d’intérêts dans la vie publique. Des propositions précises ont été élaborées, tant dans le champ de la répression que dans celui de la prévention, au premier rang desquelles un code de conduite des membres du gouvernement, des mécanismes d’alerte dans les services publics, l’obligation pour les fonctions publiques les plus exposées de rendre publiques leurs déclarations d’intérêts. On ne peut plus en différer la mise en œuvre.
Quant à la lutte contre les paradis fiscaux, elle reste timide et même si les divergences entre les membres du G20 sont importantes, il n’est plus possible d’accepter que les grands centres financiers, Royaume-Uni comme Etats-Unis, refusent de respecter les règles qu’ils cherchent à faire appliquer aux autres. La France doit être pionnière dans l’éradication de ce fléau, condition nécessaire d’une mondialisation humanisée et régulée. Et c’est à l’échelon européen que la France doit reprendre l’initiative pour faire avancer l’harmonisation des législations réprimant la corruption et la délinquance financière avec le parquet européen, dont le principe est inscrit dans le traité de Lisbonne pour renforcer la coopération entre les polices judiciaires contre la fraude et la corruption dans les transactions commerciales internationales.
La gauche devra permettre aux grandes associations anticorruption d’avoir leur place dans la mise en œuvre de l’action publique car elles ont montré notamment dans l’affaire des biens mal acquis qu’elles avaient la compétence et la légitimité pour le faire. Comme plusieurs ONG le proposent, il faudra aussi ajouter la grande corruption et la fraude fiscale à la liste des agissements criminels ou délictueux que la communauté internationale se donne l’objectif de prévenir et de réprimer. Enfin, il n’y aura pas de lutte efficace contre l’argent sale sans suspension de toute relation financière avec les centres offshore non coopératifs et un renforcement du contrôle du système des paiements internationaux comme des sociétés de compensation. Les nouveaux maires de Séoul et de Bogotá ont été désignés pour incarner l’intérêt général parce qu’ils ont été des militants infatigables de la lutte contre la corruption. En Inde, au Brésil et au Mexique, la société civile s’efforce de restaurer la crédibilité publique. La France peut, elle aussi, donner l’exemple et être au plan international comme à l’échelon européen une force de proposition.
La lutte contre la corruption devra être une des priorités du quinquennat de François Hollande. Et c’est parce que les logiques corruptrices incitent toujours le pouvoir à mettre l’autorité judiciaire sous tutelle dans les affaires qui le menacent, qu’il faudra restaurer l’indépendance de la justice et avec elle la confiance des citoyens dans le pacte républicain.
WILLIAM BOURDONANDRÉ VALLINI
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