VUE DU SUD : La tyrannie de l’aide
En septembre dernier, je suis allé présenter une communication sur le thème «société et religion en Afrique», lors des rencontres pour la paix organisées par la communauté Sant’Egidio à Munich. Il y avait dans mon panel deux évêques africains, une Européenne qui s’occupe d’une ONG de lutte contre le sida en Afrique et un ministre africain. Lors des débats, l’on en vint à la question de l’aide à l’Afrique. Celui qui posa la question fit remarquer que depuis plus de cinquante ans, une aide considérable a été accordée à l’Afrique, et pourtant la pauvreté ne fait qu’avancer au lieu de reculer. «Comment doit-on aider l’Afrique?» demanda-t-il. Chacun apporta sa réponse qui consistait globalement à dire qu’il fallait faire en sorte que l’aide parvienne directement aux personnes qui en ont le plus besoin, en évitant les gouvernements qui sont tous plus ou moins corrompus. Pour ma part, je répondis en citant un poète africain-américain qui, dans les années cinquante, avait dit: «si le Noir n’est pas capable de se tenir debout, laissez-le tomber. Tout ce que je vous demande, c’est de ne pas l’empêcher de se tenir debout.» Et j’ajoutai que puisque l’aide à l’Afrique ne lui permet pas de sortir la pauvreté, et que plusieurs études menées par des économistes de renom ont démontré le côté nocif de l’aide à l’Afrique, la meilleure façon d’aider le continent noir serait peut-être d’arrêter de l’aider, et de laisser les Africains se débrouiller comme des adultes. J’ajoutai que le continent ne manquait ni de femmes et d’hommes intelligents, compétents dans tous les domaines, ni de richesses de tous ordres permettant aux populations de vivre décemment, et qu’il serait peut-être temps de laisser l’Afrique se prendre en charge toute seule. Personne ne m’applaudit lorsque je finis de parler, contrairement à la dame qui luttait contre le sida dont l’expérience avait été chaudement ovationnée. Le lendemain, je croisai un jeune prêtre burkinabé et une jeune Congolaise originaire de la ville de Goma qui se trouvaient dans le public. «J’ai beaucoup aimé votre communication, me dit le prêtre burkinabé, mais je ne suis pas du tout d’accord avec ce que vous avez dit à propos de l’aide.
–Vous pensez que l’Afrique doit toujours tendre la main?
–Non, ce n’est pas ce que je voulais dire. Vous avez raison sur le fond, mais ce n’était pas ici qu’il fallait le dire. Il y avait dans la salle les représentants de tous ceux qui nous permettent, à nous religieux, de venir en aide à nos populations. Et plusieurs d’entre eux n’ont pas apprécié que vous disiez que l’Afrique doit se passer de l’aide. Ce sont des gens de bonne volonté qui se dévouent pour nous, et je pense que c’était déplacé de dire comme ça qu’il faut arrêter d’aider l’Afrique.
–Et sans l’aide de l’organisation de cette dame qui lutte contre le sida, renchérit la jeune Congolaise, je vous assure que mon pays se serait probablement vidé d’une bonne partie de sa population.»
Ainsi donc, je serais non seulement un ingrat, incapable de dire merci à ceux qui lui permettent de survivre, mais en plus j’ai l’outrecuidance de dire que je ne veux plus être aidé. Mon cas était très grave. Je restais silencieux, en pensant à ces véhicules tout-terrain bien climatisés de cette cohorte d’«humanitaires», aux joues roses, bien propres sur eux, qui sillonnent nos brousses, pour nous aider à creuser des puits, planter des arbres, construire des latrines, balayer nos cases, soigner nos nombreuses et vilaines maladies, organiser nos élections sans trop les truquer, pour nous apprendre à alimenter nos enfants, à en faire moins, à respecter les droits de l’homme et surtout de la femme... Je revoyais tous ces religieux arpentant dans leurs soutanes nos chemins caillouteux pour nous faire connaître un Dieu moins sauvage que ceux que nous adorions. Je pensais à tous ces femmes et hommes en Europe, qui avaient voué leur vie à aider cette pauvre Afrique incapable de se prendre en main, et qui collectaient des médicaments, des livres, des lits d’hôpitaux, des lunettes, des souliers, des béquilles, des vêtements, des vieux ordinateurs, se décarcassaient pour les envoyer dans nos noires contrées. Que deviendront tous ces braves gens si un jour il nous prenait l’envie de renoncer à leur aide, ou, ce qui est plus probable, si pour cause de grave crise économique en Europe, l’aide à l’Afrique devrait s’arrêter? Je crois que si cela devait se produire, les plus malheureux ne seront pas nécessairement en Afrique. Et je compris que ce n’est pas demain la veille que l’Afrique arrivera à se tenir toute seule sur ses jambes. Parce qu’il y a aussi bien en Europe qu’en Afrique, des personnes, certainement de bonne volonté, qui n’ont aucune envie de la laisser essayer de se tenir toute seule sur ses jambes.
–Vous pensez que l’Afrique doit toujours tendre la main?
–Non, ce n’est pas ce que je voulais dire. Vous avez raison sur le fond, mais ce n’était pas ici qu’il fallait le dire. Il y avait dans la salle les représentants de tous ceux qui nous permettent, à nous religieux, de venir en aide à nos populations. Et plusieurs d’entre eux n’ont pas apprécié que vous disiez que l’Afrique doit se passer de l’aide. Ce sont des gens de bonne volonté qui se dévouent pour nous, et je pense que c’était déplacé de dire comme ça qu’il faut arrêter d’aider l’Afrique.
–Et sans l’aide de l’organisation de cette dame qui lutte contre le sida, renchérit la jeune Congolaise, je vous assure que mon pays se serait probablement vidé d’une bonne partie de sa population.»
Ainsi donc, je serais non seulement un ingrat, incapable de dire merci à ceux qui lui permettent de survivre, mais en plus j’ai l’outrecuidance de dire que je ne veux plus être aidé. Mon cas était très grave. Je restais silencieux, en pensant à ces véhicules tout-terrain bien climatisés de cette cohorte d’«humanitaires», aux joues roses, bien propres sur eux, qui sillonnent nos brousses, pour nous aider à creuser des puits, planter des arbres, construire des latrines, balayer nos cases, soigner nos nombreuses et vilaines maladies, organiser nos élections sans trop les truquer, pour nous apprendre à alimenter nos enfants, à en faire moins, à respecter les droits de l’homme et surtout de la femme... Je revoyais tous ces religieux arpentant dans leurs soutanes nos chemins caillouteux pour nous faire connaître un Dieu moins sauvage que ceux que nous adorions. Je pensais à tous ces femmes et hommes en Europe, qui avaient voué leur vie à aider cette pauvre Afrique incapable de se prendre en main, et qui collectaient des médicaments, des livres, des lits d’hôpitaux, des lunettes, des souliers, des béquilles, des vêtements, des vieux ordinateurs, se décarcassaient pour les envoyer dans nos noires contrées. Que deviendront tous ces braves gens si un jour il nous prenait l’envie de renoncer à leur aide, ou, ce qui est plus probable, si pour cause de grave crise économique en Europe, l’aide à l’Afrique devrait s’arrêter? Je crois que si cela devait se produire, les plus malheureux ne seront pas nécessairement en Afrique. Et je compris que ce n’est pas demain la veille que l’Afrique arrivera à se tenir toute seule sur ses jambes. Parce qu’il y a aussi bien en Europe qu’en Afrique, des personnes, certainement de bonne volonté, qui n’ont aucune envie de la laisser essayer de se tenir toute seule sur ses jambes.
Venance Konan est journaliste et écrivain ivoirien. Intellectuel à tendance afro-sarcastique, il collabore avec de nombreuses publications en France, dont Libération, Le Monde et Afrique Magazine. Il est aujourd'hui directeur général du groupe de presse «Fraternité Matin» à Abidjan
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