La fermeture définitive de la dernière usine de lingerie Lejaby en Haute-Loire est, à elle seule, une métaphore de l’effondrement de l’industrie tricolore, qui, en dix ans, aura perdu 750 000 emplois. C’est l’histoire d’un artisanat familial devenu une grande marque nationale en l’espace de quatre générations, fauchée par la folle machine des délocalisations. Il suffit d’entendre la colère et le désespoir des salariés mis sur le carreau pour en mesurer la violence. Avec l’usine Lejaby devraient aussi tomber quelques idées reçues. La première considère que la spécialisation dans le haut de gamme suffit à elle seule pour résister au vent de la mondialisation. Si les règles du jeu ne changent pas, nul n’est plus à l’abri, pas même la nouvelle usine de Sfax, en Tunisie, où le repreneur de Lejaby a choisi d’installer sa production. Il y a fort à parier que demain, l’usine connaîtra un nouvel exil, toujours aimantée par des coûts plus bas. La seconde idée reçue, très en vogue à l’approche de la présidentielle, considère qu’une nouvelle taxe nationale - la fameuse TVA sociale - peut constituer une digue solide pour protéger nos emplois. Cette taxe a deux défauts majeurs : elle reposera en grande partie sur les épaules du consommateur et, surtout, elle ne changera rien à la concurrence dévastatrice que se livrent les pays de l’Union européenne. Aussi, cette TVA sociale ne rompt-elle pas avec une compétition absurde sur les salaires. A l’opposé, une digue bâtie à l’échelle européenne, fondée sur les valeurs sociales de l’Union, et avec des barrières tarifaires ciblées, modul
VINCENT GIRET
Lejaby : «On nous arrache les tripes»
Sur le site d’Yssingeaux, condamné à la fermeture, les salariées dénoncent le mépris du gouvernement.
out est encore en place, comme si l’activité s’était juste interrompue pour la pause déjeuner. Les bobines de fil sur les machines à coudre, les boîtes dans lesquelles des soutiens-gorge à différents stades de fabrication sont empilés. Dans les bureaux aussi, rien n’a bougé. Ni les ordinateurs ni les dossiers. De ce hangar pas très sexy, les ouvrières de l’usine Lejaby d’Yssingeaux (Haute-Loire), ont fait un lieu chaleureux. Il y a des plantes vertes, un réfrigérateur, un évier sur lequel sèchent des tasses. Et des affiches de mannequins portant des soutiens-gorge Lejaby.
D’ici un mois, tout aura disparu. Le 22 décembre, la société a été mise en liquidation. Mercredi, le tribunal de commerce de Lyon a choisi comme repreneur Alain Prost, ex-PDG de l’italien La Perla, associé au sous-traitant de Lejaby en Tunisie. Celui-ci a annoncé qu’il conserverait un seul site, celui de Rillieux (Rhône), siège de la société. L’usine d’Yssingeaux sera fermée. Et ses 93 salariés - dont 90 femmes - licenciés.
En avril 2010, les ouvrières auvergnates avaient senti le vent du boulet. Les sites de Bourg-en-Bresse, Bellegarde-sur-Valserine (Ain) et Le Teil (Ardèche) ayant fermé. «On nous avait dit : "A Yssingeaux, vous ne risquez rien, vous êtes l’usine pilote"», ironise l’une d’elles. Cinq mois plus tard, des rumeurs sur l’état de santé du groupe commencent à circuler. Le 27 octobre, l’entreprise est placée en redressement judiciaire. «Un coup de tonnerre», confie une salariée. Hier, l’atelier était à l’arrêt. Mais les ouvrières étaient là. «On vient tous les jours pointer. On attend notre lettre de licenciement.» Difficile, néanmoins, de se projeter : «Pour beaucoup, Lejaby a été la seule entreprise. Certaines ont trente-huit ans de boîte.» Pas de résignation, mais de la colère : «On construit notre combat, mais on a de la haine. On nous arrache les tripes.» Particulièrement mal ressentie, l’intervention du ministre du Travail, Xavier Bertrand, annonçant hier que 98% de leur salaire net serait maintenu pendant un an, en vertu du contrat de sécurisation professionnelle, alors qu’il s’agit simplement de l’application de la loi. «Un faux jeton», souffle une salariée.
En début d’après-midi, Bernard Gallot, le maire (divers droite) d’Yssingeaux, pousse la porte. Les filles se plaignent de ne pas l’avoir beaucoup vu. «Ça n’est pas parce qu’on ne se montre pas qu’on ne porte pas les angoisses des gens et qu’on n’essaie pas de trouver des solutions», proteste l’élu. Aussi critiqué, Laurent Wauquiez, ministre et maire voisin du Puy-en-Velay, qui «n’est jamais venu». Après s’être résigné à la fermeture, il a promis hier de «faire le maximum pour qu’on accompagne au mieux chaque salariée pour retrouver un emploi au plus vite», ajoutant avoir demandé à Xavier Bertrand «toutes les aides possibles». Pour l’heure, seul Arnaud Montebourg a annoncé sa visite, aujourd’hui, au moment où doit se tenir une nouvelle assemblée générale.
CATHERINE COROLLER
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