Parfois, au cœur de la
nuit, je me dis que tout cela n’est qu’une vaste fumisterie, que nous sommes
tous morts, si nous avons jamais été vivants, et que c’est exactement ça
l’enfer : un endroit de merde où tout marche sur la tête.
Cela fait un bail que je
ne crois plus aux manifestations, mais ça n’en reste pas moins quelque chose
d’autrement plus concret que les foutues pétitions en ligne, tout aussi
inefficaces, mais qui flattent l’égo des fainéants individualistes et
productivistes en leur donnant l’illusion de continuer à participer aux
affaires du monde en un clic, le cul dans leur fauteuil de bureau à vérin
hydraulique.
Je suis donc allée à la
manifestation du bled en chef pour deux raisons très valables à mes yeux :
revoir les potes militants qui sont éparpillés dans tout le département, mais
que je suis à peu près certaine de revoir systématiquement à ce genre de
rassemblement et aller contempler de mes yeux la trahison socialiste.
Il faut comprendre à quel
point le socialisme français contemporain me sort littéralement par les trous
de nez : tous ces bons sentiments dégoulinants qui ne sont jamais traduits dans
les faits autrement que par l’accès au pouvoir symbolique et par la reddition
sans conditions à la logique capitaliste la plus gerbeuse.
Cela fait belle lurette que j’ai acté la trahison de l’élite dirigeante socialiste, trahison évidente depuis 2005, mais déjà largement consommée dès 1983, trahison relativement assumée ces dernières années, sous prétexte de pragmatisme économique et clairement énoncée par Terra Nova par le lâchage programmé des classes populaires, livrées avec paquet cadeau aux griffes des partis fachos.
Cela dit, je conservais quelques doutes quant à la sincérité de l’engagement des militants socialistes, ces hommes et ces femmes de terrain (mais surtout ces hommes, quand même, les femmes en positions éligibles restant anecdotiques!) qui parlent avec leurs tripes et qui croient encore au pacte républicain, même si le rouleau compresseur consumériste a bien aplati toute velléité de lutte des classes depuis longtemps.
Lors des dernières élections, j’avais eu des échanges intéressants avec des socialos de base qui notaient bien le désengagement de leur cadre quant à une quelconque justice sociale, mais qui avaient l’air de penser sincèrement qu’avec les socialistes au pouvoir, ce serait moins pire qu’avec le petit excité ami des riches et des puissants, que les socialos ne sont pas xénophobes, par exemple, qu’on aura forcément mieux que Guéant à l’Intérieur, etc. En gros, l’idée, c’était qu’entre la peste et le choléra, on pouvait encore choisir la dengue.
Cela fait belle lurette que j’ai acté la trahison de l’élite dirigeante socialiste, trahison évidente depuis 2005, mais déjà largement consommée dès 1983, trahison relativement assumée ces dernières années, sous prétexte de pragmatisme économique et clairement énoncée par Terra Nova par le lâchage programmé des classes populaires, livrées avec paquet cadeau aux griffes des partis fachos.
Cela dit, je conservais quelques doutes quant à la sincérité de l’engagement des militants socialistes, ces hommes et ces femmes de terrain (mais surtout ces hommes, quand même, les femmes en positions éligibles restant anecdotiques!) qui parlent avec leurs tripes et qui croient encore au pacte républicain, même si le rouleau compresseur consumériste a bien aplati toute velléité de lutte des classes depuis longtemps.
Lors des dernières élections, j’avais eu des échanges intéressants avec des socialos de base qui notaient bien le désengagement de leur cadre quant à une quelconque justice sociale, mais qui avaient l’air de penser sincèrement qu’avec les socialistes au pouvoir, ce serait moins pire qu’avec le petit excité ami des riches et des puissants, que les socialos ne sont pas xénophobes, par exemple, qu’on aura forcément mieux que Guéant à l’Intérieur, etc. En gros, l’idée, c’était qu’entre la peste et le choléra, on pouvait encore choisir la dengue.
Et puis, surtout, je me
souvenais de la déferlante socialo lors des dernières grandes manifs contre la
réforme pourrie des retraites qui se proposait, déjà, de voler deux ans de vie
aux travailleurs. Appel à la grève, farandole d’écharpes tricolores en tête de
cortège, les socialos gueulaient avec nous contre l’aspect inique de
l’allongement de la vie au travail, autrement dit, la réduction brutale de
l’espérance de ne pas vieillir dans la misère pour les jeunes générations.
Le fait est qu’entre la
réforme de 2010 et celle de 2013, la seule chose qui a changé, c’est la couleur
symbolique du gouvernement qui nous l’impose. Personnellement, quand je me fais
avoir de cette manière-là, peut m’importe de savoir qui nous la met bien
profond, à l’arrivée, on a tous mal au cul de la même manière. En moins fleuri
: UMP ou PS, la misère que sèment ces honteuses soumissions aux appétits du
MEDEF et de ses potes des organisations internationales de la misère sans
frontières aura exactement la même sale saveur en bouche quand elle nous
tombera dessus. Et pour être encore plus claire : je me tamponne des discours
des uns et des autres, je juge la politique à ses actes et pour le coup, bien
malin qui m’expliquera la différence entre une politique antisociale de droite
et une politique antisociale de gauche.
Donc, j’étais là, dans le
matin gris et humide de cette année merdique que le printemps a déjà déserté
que l’automne s’apprête à faire de même, j’étais là et nous étions bien peu à y
être. Disparus, les camarades socialos, disparue, la belle solidarité de
classe, disparu, le légitime mécontentement alors que tout ce qui fait l’État
solidaire est tranquillement démoli pour faire la place au cauchemar économique
de la logique assurantielle.
Je savais, au fond de moi, que le socialisme contemporain n’avait plus rien à voir depuis longtemps avec l’idée humaniste et généreuse qu’en avait son fondateur. Je savais, depuis longtemps, que le jeu politique a été confisqué dans son intégralité par une seule classe sociale bourgeoise qui nous joue la comédie démocratique de l’alternance pour mieux continuer ses petites affaires lucratives entre amis. Je savais aussi qu’une grande part de notre corps social s’est fait pondre dans la tête par des décennies de propagande libérale et consumériste et que les gens qui ont encore une conscience politique inspirée par ce qui est gravé aux frontons de nos mairies pourront bientôt tous tenir dans un placard à balais de chiottes, je savais qu’on ne peut être trahi que par ses amis ou tout au moins ceux qui se prétendent comme tels, mais ça fait toujours un peu mal au cul de se rendre compte, une fois de plus, qu’on avait absolument raison sur toute la ligne.
Je savais, au fond de moi, que le socialisme contemporain n’avait plus rien à voir depuis longtemps avec l’idée humaniste et généreuse qu’en avait son fondateur. Je savais, depuis longtemps, que le jeu politique a été confisqué dans son intégralité par une seule classe sociale bourgeoise qui nous joue la comédie démocratique de l’alternance pour mieux continuer ses petites affaires lucratives entre amis. Je savais aussi qu’une grande part de notre corps social s’est fait pondre dans la tête par des décennies de propagande libérale et consumériste et que les gens qui ont encore une conscience politique inspirée par ce qui est gravé aux frontons de nos mairies pourront bientôt tous tenir dans un placard à balais de chiottes, je savais qu’on ne peut être trahi que par ses amis ou tout au moins ceux qui se prétendent comme tels, mais ça fait toujours un peu mal au cul de se rendre compte, une fois de plus, qu’on avait absolument raison sur toute la ligne.
La gauche socialiste
populaire est morte et enterrée. Je l’ai vue avaler son extrait de naissance
par sa criante absence à un combat que nous ne pouvons pas nous permettre de
perdre.
Je me souviens d’avoir
prévenu les associations de blogueurs de gauche que l’antisarkozysme primaire
était un piège mortel, que nous ne combattions pas un homme, mais un système,
une vision du monde, une organisation sociale fondée sur le creusement des
inégalités, l’exploitation de la misère, la prédation de tous contre tous.
Remplacer Sarko par Hollande n’a absolument rien changé au programme de
destruction sociale en cours, pire, les oripeaux de gauche dans lesquels se
drape notre nouveau laquais des pouvoirs financiers bloquent une bonne part de
l’esprit contestataire de ce pays, tant les gens sincèrement de gauche ont
l’impression confuse, mais néanmoins bien ancrée que de dénoncer la politique
économique et sociale du PS reviendrait à tirer contre son propre camp.
J’ai vu, j’ai parcouru, je
suis revenue. J’ai pu comptabiliser la maigreur de nos troupes, la dispersion
de nos idées. J’ai pris plaisir à échanger avec les amis et les gens qui
restent fidèles à leurs idéaux, envers et contre tout, et j’ai acté la mort
clinique et sans retour du socialisme en tant que force politique.
La bonne nouvelle, c’est
que maintenant la ligne de fracture politique entre la gauche et la droite est
parfaitement invisible et que nul ne pourra prétendre que le PS est encore un
parti de gauche.
Agnès Maillard
Photo : manifestation contre les gaz de schiste à Montélimar
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