J'avais dix huit ans en 1983, amoureux, et cette fille de Toulouse, Marie-Joëlle, m'avait, en guise d'adolescent présent, offert une cassette audio, affectueusement compilée... En plus de mes souvenirs, me reste aujourd'hui cet enregistrement comme seule trace d'un heureux apprivoisement... Elle avait de ce monde, les yeux les plus étoilés.
- En ces temps lointains, j'écoutais, bouleversé depuis longtemps déjà, Ferré, Brassens, Barbara, Manset, Beaucarne et tant d'autres. Bien des feux sous la lune, bien des nuits d'amitié, luisent encore des chansons que l'on s'appropriait...
- Là je découvrais Môrice, son univers, sa tendresse, son humour, sa générosité rare...
De la Drôme à Casablanca, j'étais à mon tour fils de nomade, Juif ou Breton, je vivais miens ses récits, voyageait sur ses mélodies dont les racines luxuriantes enlaçaient l'Univers...
- Avec d'autres par la suite, je partageais comme un bon vin sa contagieuse humanité, sans jamais rencontrer quelqu'un de qui il fut déjà familier.
Ni télé, ni radio, pas un titre en gondole...
N'avait-il existé que pour le doux songe d'une primordiale initiation ?
- Aujourd'hui, les pères de mes "apprentis en cinéma" ont mon âge.
Des films communs à l'amitié, il n'y a souvent qu'un pas.
Yannick devint mon ami, un petit frère en somme.
"Mon père m'a beaucoup fait écouter Môrice Benin, un poète, tu connais ?"
Stupeur.
"Môrice Benin ?"
Comment expliquer mon sentiment ? Môrice existait donc bel et bien, et avait dû toucher l'âme et faire se révéler bien d'autres que moi, d'autres que cette fille... et depuis vingt ans je n'en savais rien...
- Pourtant sans télé ni radio, Môrice et ses musiciens arpentaient toujours la Terre, offraient mille concerts, façonnaient disque sur disque dont chacun semble une confidence dans un écrin satiné d'étoffes glanées tout au long d'une route de la soie toute personnelle, une route de soi, pourrait-on dire...
- Tout sauf une star, un "semblable" parmi ses semblables, chantre de la différence, pour qui chaleur et proximité tiennent lieu de raison d'être...
- Oui... tout cela vibrait de voisinage avec ce que nous tentions d'être nous-mêmes...
- Première rencontre.
Dans son regard bienveillant et curieux, sous sa tignasse de boucles argentées, des constellations étrangement familières...
Le nom de notre petit groupe l'intrigua.
J'évoquais Chesterton : "Aujourd'hui, le véritable aventurier ne serait pas celui qui part à la conquête de l'Everest, mais celui qui oserait franchir la barrière de son voisin".
Nous venions les poches vides, des idées plein le coeur.
Comme un rayon de soleil pour nos modestes espérances, petit sourire intimement complice : "Oui, c'est d'accord. J'en parle à mes musiciens".
Amis, auteurs, réalisateurs, artistes, parents, voisins, inconnus de tous bords et de toutes origines, " Rencontrez-vous " fut notre seule adresse aux invités d'une soirée hors du temps...
Les arbres du jardin s'enorgueillissaient de leur éphémère statut de fronton de cinéma de quartier, la façade sud de la maison de son grand écran blanc, ça et là des silhouettes ancestrales semblaient tenir colloque, une "grotte" obscure ou en guise de peintures rupestres, des clichés intemporels jonchaient la paroi...
Un voyage nocturne aussi délicatement flou qu'une soirée du Grand Meaulnes...
Guirlandes lumineuses...
Une scène entre les fruitiers pour de jeunes inconnus que j'aime, et dont le talent nous a fait frissonner juste avant le grand feu...
- Entre Fournier et Fellini...
Un Fellini qui s'auto-produirait, disons...
Une scène plus grande, blottie contre le bosquet, nous avait réunis en début de soirée.
L'herbe brillait, les planches étaient glissantes, les projecteurs fumaient, les flaques configuraient des continents plastiques sur les bâches opaques qui protégeaient "le son"...
- "L'ondée sera passagère"...
Des notes d'outre-mer au milieu des sapins, deux musiciens sur scène. Au parterre, quelques parapluies épars semblaient de singulières fleurs des champs...
D'un banc caché sous les frondaisons vint lentement Môrice, souriant, rassurant comme un de ces grands-pères, qui, à l'orée de l'enfance, sans prononcer un mot, nous offrent déjà l'aura d'une tendre sagesse...
Le mien avait son âge lorsque j'étais marmot. Dans ses rides d'alors je lisais sa bonté.
"Cessez de perdre du temps. Aimez vous, nom de Zeus", "Ni dieu, ni maître, ni haine", ou "Fichez-moi la paix"...
Et Môrice embrassait d'un seul coup nos enfances, nos rêves, nos passions, nos raisons d'être ici, nos solitudes mêlées, nos différences encore, le vin de nos partages, nos amours et la vie.
La pluie vêtait l'instant de son essence unique, offrant à chaque oreille de précieux accords, et à l'herbe gorgée de l'été finissant, l'odeur suave et ouatée d'une lessive encore tiède.
Comme un moment d'enfance ou s'entrevoit la vie...
Comme les instants de vie que l'on vole à tout âge...
Laurent Charles, Mythologie(s) de mon voisin
Eh bien oui ! mi-mars sera disponible le premier DVD entièrement
consacré à Morice en concert…
Pourquoi seulement maintenant un film, alors que Morice chante depuis
plus de 30 ans ? Tout simplement parce qu'il fallait la rencontre avec Yannick qui a mis son professionnalisme au service de Morice pour nous présenter aujourd'hui, ce "petit bijou"…
Pour en savoir plus sur cette rencontre, voir un extrait et passer commande rendez vous sur le lien :
http://www.sunless-editions.fr
Jeane Brouchon
j.brouchon@mbenin.fr
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