Démocratie participative ?
- Le débat national sur les nanotechnologies fait naufrage
Les nanotechnologies vont-elles s’imposer dans la société sans véritable débat démocratique, comme auparavant l’industrie nucléaire ou les OGM ? Lancé en grandes pompes par huit ministères en octobre dernier, le débat national sur les nanotechnologies touche à sa fin dans une relative indifférence médiatique. Pourtant, cette question concernera au premier chef les générations futures.
« Notre façon de vivre va être bouleversée par ces nanotechnologies. La question ce n’est pas d’être pour ou contre », affirme Jean-Louis Borloo, ministre de l’Écologie, dans le film projeté lors de chaque réunion publique du grand débat national. Drôle de manière d’entamer ce débat sur les nanotechnologies, qui fait couler beaucoup moins d’encre que celui sur l’identité nationale. Il aborde pourtant un enjeu crucial pour l’avenir : celui de la place que notre société accordera ou pas à ces nouvelles particules industrielles « intelligentes ». Huit ministères sont censés animer ce débat lancé suite au Grenelle de l’environnement. Pourtant, le ministère de la Santé ne prend pas la peine de mentionner son existence sur son site internet [1].
Informer et débattre des nanotechnologies, c’est-à-dire de la manipulation de particules, à l’échelle du nanomètre (soit un milliardième de mètre), pour fabriquer des structures utilisables dans des domaines aussi variés que la construction, la médecine, l’armement ou l’alimentation (voir notre article sur la « nano-bouffe »). Des technologies dont l’utilité sociale est contestée par de nombreuses associations et collectifs, qui mettent également en avant les dangers sanitaires et environnementaux, encore très mal identifiés, ou les risques de dérive vers une « tyrannie technologique ». Faisant fi de tout principe de précaution, le gouvernement multiplie les investissements pour assurer la « compétitivité » de la France dans le domaine.
- « Le débat on s’en fout, on veut pas de nanos du tout ! »
Dans le cadre de ce débat, 17 réunions publiques étaient prévues à travers l’hexagone, jusqu’au colloque final, à Paris, le 23 février. Ces réunions ont été fortement perturbées par des groupes de manifestants, au point, pour certaines, d’être annulées ou de se dérouler dans des conditions ubuesques. Exemple à Metz où les intervenants se sont exprimé depuis une salle isolée, séparés de l’assistance, le débat se faisant par vidéo-transmission. À Besançon, les participants doivent signer un engagement à ne pas perturber le débat, avant de pouvoir entrer dans la salle. Mais rien n’y fait : les opposants parviennent à semer la pagaille, jusqu’à faire battre en retraite les organisateurs. Leurs slogans ? « Nanomonde = maxi-servitude », « Les nanos, c’est pas vert, c’est juste totalitaire ! »
La réunion qui devait avoir lieu le 26 janvier à Orsay a été annulée au dernier moment, « pour protéger le public », comme l’affirme Jean Bergougnoux, président de la Commission du débat (et ancien PDG de la SNCF et DG d’EDF), suite à une dégradation de la salle la veille. Les internautes ont pu poser leurs questions à distance, à des intervenants retranchés dans un hôtel. Quelques opposants ayant réussi à les localiser, il a fallu, selon ces manifestants, l’intervention de la brigade anti-criminalité pour maintenir l’ordre et le bon déroulement de la visio-conférence.
- Quand les industriels viennent défendre leurs innovations
Dans la ligne de mire des opposants, l’organisation tardive de cette consultation publique, alors que les nanotechnologies sont déjà plus que présentes dans notre vie quotidienne. La teneur du débat également, dont l’intitulé laisse peu de place à la remise en question : « Débat public sur les options générales en matière de développement et de régulation des nanotechnologies ». Développer et réguler n’est pas suffisant pour les opposants, qui demandent que soit débattue l’utilité sociale des nanotechnologies de manière globale. Car le débat, pour des questions pratiques, a également été « tronçonné » en 17 thématiques : protection de l’environnement, matériaux, questions éthiques, alimentation,...
Un cloisonnement des questions parfois poussé à la caricature : ainsi à Clermont-Ferrand où le débat s’est concentré autour de la thématique « nanotechnologies et automobile ». Avec en introduction, une intervention d’un représentant de Michelin tentant, sous les huées de la salle, d’expliquer en quoi les nanotechnologies s’inscrivent dans l’histoire du développement du pneu et combien elles sont nécessaires. Affirmant que Michelin ne fait « aucun développement qui puisse présenter un risque pour la santé ou pour l’environnement », il décrit, pour tester l’innocuité des débris de pneus contenant des nanoparticules, une méthode qui laisse songeur : « Nous les avons regardés dans un premier temps sur la toxicité aiguë avec des algues, des daphnés et des poissons. Nous avons observé que les algues continuaient à croître, que les daphnés continuaient à frétiller et que les poissons étaient bien vivants (...). »
- Une campagne « d’acceptabilité sociale » ?
« Le grand public est au centre de notre mission », affirme la Commission du débat public Nanotechnologies sur son site. Pourtant, le succès n’est pas au rendez-vous et les réunions peinent à mobiliser les foules. La commission du débat attendait 10 000 à 12 000 personnes. Chaque réunion publique a mobilisé entre 200 à 300 personnes. Le collectif grenoblois Pièce et Main d’œuvre (PMO) dénonce le manque de communication en amont, dans les villes où ont lieu les réunions publiques. Peu d’affiches, quelques tracts. Et, selon PMO, des invitations en masse aux universités, laboratoires et instituts de recherche, pour remplir la salle de personnes favorables aux nano-sciences.
« Un débat public sans public est un simulacre de débat.
- Le débat national sur les nanotechnologies fait naufrage
Les nanotechnologies vont-elles s’imposer dans la société sans véritable débat démocratique, comme auparavant l’industrie nucléaire ou les OGM ? Lancé en grandes pompes par huit ministères en octobre dernier, le débat national sur les nanotechnologies touche à sa fin dans une relative indifférence médiatique. Pourtant, cette question concernera au premier chef les générations futures.
« Notre façon de vivre va être bouleversée par ces nanotechnologies. La question ce n’est pas d’être pour ou contre », affirme Jean-Louis Borloo, ministre de l’Écologie, dans le film projeté lors de chaque réunion publique du grand débat national. Drôle de manière d’entamer ce débat sur les nanotechnologies, qui fait couler beaucoup moins d’encre que celui sur l’identité nationale. Il aborde pourtant un enjeu crucial pour l’avenir : celui de la place que notre société accordera ou pas à ces nouvelles particules industrielles « intelligentes ». Huit ministères sont censés animer ce débat lancé suite au Grenelle de l’environnement. Pourtant, le ministère de la Santé ne prend pas la peine de mentionner son existence sur son site internet [1].
Informer et débattre des nanotechnologies, c’est-à-dire de la manipulation de particules, à l’échelle du nanomètre (soit un milliardième de mètre), pour fabriquer des structures utilisables dans des domaines aussi variés que la construction, la médecine, l’armement ou l’alimentation (voir notre article sur la « nano-bouffe »). Des technologies dont l’utilité sociale est contestée par de nombreuses associations et collectifs, qui mettent également en avant les dangers sanitaires et environnementaux, encore très mal identifiés, ou les risques de dérive vers une « tyrannie technologique ». Faisant fi de tout principe de précaution, le gouvernement multiplie les investissements pour assurer la « compétitivité » de la France dans le domaine.
- « Le débat on s’en fout, on veut pas de nanos du tout ! »
Dans le cadre de ce débat, 17 réunions publiques étaient prévues à travers l’hexagone, jusqu’au colloque final, à Paris, le 23 février. Ces réunions ont été fortement perturbées par des groupes de manifestants, au point, pour certaines, d’être annulées ou de se dérouler dans des conditions ubuesques. Exemple à Metz où les intervenants se sont exprimé depuis une salle isolée, séparés de l’assistance, le débat se faisant par vidéo-transmission. À Besançon, les participants doivent signer un engagement à ne pas perturber le débat, avant de pouvoir entrer dans la salle. Mais rien n’y fait : les opposants parviennent à semer la pagaille, jusqu’à faire battre en retraite les organisateurs. Leurs slogans ? « Nanomonde = maxi-servitude », « Les nanos, c’est pas vert, c’est juste totalitaire ! »
La réunion qui devait avoir lieu le 26 janvier à Orsay a été annulée au dernier moment, « pour protéger le public », comme l’affirme Jean Bergougnoux, président de la Commission du débat (et ancien PDG de la SNCF et DG d’EDF), suite à une dégradation de la salle la veille. Les internautes ont pu poser leurs questions à distance, à des intervenants retranchés dans un hôtel. Quelques opposants ayant réussi à les localiser, il a fallu, selon ces manifestants, l’intervention de la brigade anti-criminalité pour maintenir l’ordre et le bon déroulement de la visio-conférence.
- Quand les industriels viennent défendre leurs innovations
Dans la ligne de mire des opposants, l’organisation tardive de cette consultation publique, alors que les nanotechnologies sont déjà plus que présentes dans notre vie quotidienne. La teneur du débat également, dont l’intitulé laisse peu de place à la remise en question : « Débat public sur les options générales en matière de développement et de régulation des nanotechnologies ». Développer et réguler n’est pas suffisant pour les opposants, qui demandent que soit débattue l’utilité sociale des nanotechnologies de manière globale. Car le débat, pour des questions pratiques, a également été « tronçonné » en 17 thématiques : protection de l’environnement, matériaux, questions éthiques, alimentation,...
Un cloisonnement des questions parfois poussé à la caricature : ainsi à Clermont-Ferrand où le débat s’est concentré autour de la thématique « nanotechnologies et automobile ». Avec en introduction, une intervention d’un représentant de Michelin tentant, sous les huées de la salle, d’expliquer en quoi les nanotechnologies s’inscrivent dans l’histoire du développement du pneu et combien elles sont nécessaires. Affirmant que Michelin ne fait « aucun développement qui puisse présenter un risque pour la santé ou pour l’environnement », il décrit, pour tester l’innocuité des débris de pneus contenant des nanoparticules, une méthode qui laisse songeur : « Nous les avons regardés dans un premier temps sur la toxicité aiguë avec des algues, des daphnés et des poissons. Nous avons observé que les algues continuaient à croître, que les daphnés continuaient à frétiller et que les poissons étaient bien vivants (...). »
- Une campagne « d’acceptabilité sociale » ?
« Le grand public est au centre de notre mission », affirme la Commission du débat public Nanotechnologies sur son site. Pourtant, le succès n’est pas au rendez-vous et les réunions peinent à mobiliser les foules. La commission du débat attendait 10 000 à 12 000 personnes. Chaque réunion publique a mobilisé entre 200 à 300 personnes. Le collectif grenoblois Pièce et Main d’œuvre (PMO) dénonce le manque de communication en amont, dans les villes où ont lieu les réunions publiques. Peu d’affiches, quelques tracts. Et, selon PMO, des invitations en masse aux universités, laboratoires et instituts de recherche, pour remplir la salle de personnes favorables aux nano-sciences.
« Un débat public sans public est un simulacre de débat.
Ces rencontres resteront donc des débats d’experts qui veulent faire prévaloir leur point de vue, vision partisane qui aux yeux des citoyens n’a aucune justification, ni légitimité pour représenter l’intérêt général », résume un communiqué de l’association Les Amis de la terre. L’ONG avait fait le choix de participer à la consultation publique pour faire entendre son opposition aux nanotechnologies et sa demande de moratoire. Elle a récemment décidé de jeter l’éponge, estimant que le débat « s’enlise dans des rencontres d’experts partisans et peine à aborder les enjeux globaux, les risques et les finalités des « nanotechs » avec les citoyens ». Les militants ont le sentiment d’avoir servis de faire-valoir.
Libre expression ou propagande orchestrée par des consultants ?
Pièces et Main d’œuvre qualifie le débat de « campagne d’acceptabilité sociale » en faveur des nanotechnologies. Et critique également l’organisation du débat public. En cause : la délégation de service public à des entreprises de consultants. La Commission nationale du débat public (CNDP), autorité administrative indépendante, avait mandaté une « commission particulière du débat public » (CPDP) pour organiser cette consultation. Cette CPDP a pour mission de « diffuser une information complète, transparente et objective à destination du public ». Pour cela, elle a choisi de sous-traiter l’organisation du débat à deux sociétés privées : I&E Consultants et S’Cape Événement. Une situation vivement critiquée par le collectif Pièces et Main d’œuvre : ces sociétés n’auraient pas été choisies par la CNDP mais, après appel d’offre, par le ministère de l’Écologie, qui les paiera. « Totale indépendance » vis-à-vis du gouvernement, affirme pourtant la CNDP.
- I&E Consultants et S’Cape se partagent les 2 millions d’euros de budget de ce débat national. Soit entre 50 000 et 70 000 euros par soirée débat. I&E Consultants s’est déjà illustrée dans le milieu de la recherche. Elle devait se charger, suite à l’appel d’offre [2] du ministère de l’Enseignement et de la Recherche en novembre 2008, de « repérer les leaders d’opinion » au sein du mouvement social enseignant, « d’analyser leur potentiel d’influence » pour « anticiper et évaluer les risques de contagion et de crise ». Un flicage d’opinion des enseignants qui avait fait scandale. I&E est spécialisée en « stratégies d’opinion », « programmes de prévention des crises » ou « publicité d’opinion ». Pour la commission qui revendique transparence et libre expression, un choix pas très stratégique, donc. Quant à S’cape Evenement, Pièces et main d’œuvre critique la présence pendant le débat d’employés « chargés de la régie son et image, habillés de T-shirts aux couleurs de leur employeur, équipés de talkies-walkies, et n’hésitant pas à montrer leurs muscles pour tenter d’arracher le micro aux opposants, comme à Clermont-Ferrand ».
- Nanos et OGM : même combat ?
Du côté des organisateurs, Jean Bergougnoux, président de la Commission du débat, dénonce « les méthodes totalitaires de ceux-là mêmes qui craignent que les nanotechnologies conduisent à une société totalitaire ». La communication semble rompue. Et les oppositions réduites par certains intervenants à un affrontement entre technophiles et technophobes. Ainsi un expert affirme lors d’un des débats que le « corps démocratique n’a sans doute pas la maturité nécessaire ». Les opposants apprécieront... Ceux-ci fustigent notamment le fatalisme de certains promoteurs des nanos : cela ne servirait à rien de lutter, puisque nous sommes déjà envahis par les nanotechnologies en provenance de Chine ou des États-Unis. D’où un impératif : développer les « nanos français » pour rester compétitif. Tout ne serait ensuite qu’une question de contrôle politique, de règlementation, de vigilance citoyenne, pour fixer un cadre aux développements technologiques.
L’exemple des OGM montre malheureusement que la situation est beaucoup plus complexe : malgré une opinion publique défavorable aux OGM, le rapports de force est pour l’instant en faveur du lobby agro-chimique et des intérêts financiers des industriels. Une fois les portes ouvertes, auto-limitation et principe de précaution restent souvent des vœux pieux.
- Une des règles d’or de l’organisateur de début public national : toujours avoir sous la main une liste des questions susceptibles d’être posées. Comme pour le débat sur l’identité nationale, la liste de questions révèle ici les préjugés des organisateurs. 147 questions préparées par la Commission du débat et diffusées par PMO, laissent entrevoir une conception parfois très binaire des oppositions : « Les remèdes sont-ils dans des produits sophistiqués ou dans des solutions rustiques d’usage décentralisé ? », « Les sciences et technologies sont-elles embarquées dans une marche forcée guidée par les puissances du capital, la compétition et la spéculation ? », « Si tous les produits se fabriquaient tous seuls par des assembleurs, serait-ce la fin du travail / l’effondrement de l’économie / la fin de nos société ? ». Une formulation bien naïve des angoisses supposées des citoyens, plutôt préoccupés par la prolifération des nanos, le manque de contrôle citoyen ou les impacts sanitaires et environnementaux.
Au-delà des réunions publiques annulées pour cause de fortes perturbations, le naufrage de ce débat national montre les limites d’un tel exercice. Comment inviter des citoyens à débattre des nanotechnologies, alors que celles-ci se sont déjà immiscées dans notre quotidien, et cela sans débat préalable ? Comment faire croire aux citoyens que le débat est encore « ouvert » alors même que le gouvernement investit des millions d’euros dans le développement des nanotechnologies, comme avec le programme Nano-innov ? Comment faire croire à un débat « démocratique » quand on ne sait pas à quoi sont censés servir les échanges (une loi, des règlementations, un débat parlementaire,...) ? Et surtout quand on oppose citoyens et experts, les uns devant se contenter de poser les questions et les autres d’y apporter leurs réponses ?
Agnès Rousseaux
Libre expression ou propagande orchestrée par des consultants ?
Pièces et Main d’œuvre qualifie le débat de « campagne d’acceptabilité sociale » en faveur des nanotechnologies. Et critique également l’organisation du débat public. En cause : la délégation de service public à des entreprises de consultants. La Commission nationale du débat public (CNDP), autorité administrative indépendante, avait mandaté une « commission particulière du débat public » (CPDP) pour organiser cette consultation. Cette CPDP a pour mission de « diffuser une information complète, transparente et objective à destination du public ». Pour cela, elle a choisi de sous-traiter l’organisation du débat à deux sociétés privées : I&E Consultants et S’Cape Événement. Une situation vivement critiquée par le collectif Pièces et Main d’œuvre : ces sociétés n’auraient pas été choisies par la CNDP mais, après appel d’offre, par le ministère de l’Écologie, qui les paiera. « Totale indépendance » vis-à-vis du gouvernement, affirme pourtant la CNDP.
- I&E Consultants et S’Cape se partagent les 2 millions d’euros de budget de ce débat national. Soit entre 50 000 et 70 000 euros par soirée débat. I&E Consultants s’est déjà illustrée dans le milieu de la recherche. Elle devait se charger, suite à l’appel d’offre [2] du ministère de l’Enseignement et de la Recherche en novembre 2008, de « repérer les leaders d’opinion » au sein du mouvement social enseignant, « d’analyser leur potentiel d’influence » pour « anticiper et évaluer les risques de contagion et de crise ». Un flicage d’opinion des enseignants qui avait fait scandale. I&E est spécialisée en « stratégies d’opinion », « programmes de prévention des crises » ou « publicité d’opinion ». Pour la commission qui revendique transparence et libre expression, un choix pas très stratégique, donc. Quant à S’cape Evenement, Pièces et main d’œuvre critique la présence pendant le débat d’employés « chargés de la régie son et image, habillés de T-shirts aux couleurs de leur employeur, équipés de talkies-walkies, et n’hésitant pas à montrer leurs muscles pour tenter d’arracher le micro aux opposants, comme à Clermont-Ferrand ».
- Nanos et OGM : même combat ?
Du côté des organisateurs, Jean Bergougnoux, président de la Commission du débat, dénonce « les méthodes totalitaires de ceux-là mêmes qui craignent que les nanotechnologies conduisent à une société totalitaire ». La communication semble rompue. Et les oppositions réduites par certains intervenants à un affrontement entre technophiles et technophobes. Ainsi un expert affirme lors d’un des débats que le « corps démocratique n’a sans doute pas la maturité nécessaire ». Les opposants apprécieront... Ceux-ci fustigent notamment le fatalisme de certains promoteurs des nanos : cela ne servirait à rien de lutter, puisque nous sommes déjà envahis par les nanotechnologies en provenance de Chine ou des États-Unis. D’où un impératif : développer les « nanos français » pour rester compétitif. Tout ne serait ensuite qu’une question de contrôle politique, de règlementation, de vigilance citoyenne, pour fixer un cadre aux développements technologiques.
L’exemple des OGM montre malheureusement que la situation est beaucoup plus complexe : malgré une opinion publique défavorable aux OGM, le rapports de force est pour l’instant en faveur du lobby agro-chimique et des intérêts financiers des industriels. Une fois les portes ouvertes, auto-limitation et principe de précaution restent souvent des vœux pieux.
- Une des règles d’or de l’organisateur de début public national : toujours avoir sous la main une liste des questions susceptibles d’être posées. Comme pour le débat sur l’identité nationale, la liste de questions révèle ici les préjugés des organisateurs. 147 questions préparées par la Commission du débat et diffusées par PMO, laissent entrevoir une conception parfois très binaire des oppositions : « Les remèdes sont-ils dans des produits sophistiqués ou dans des solutions rustiques d’usage décentralisé ? », « Les sciences et technologies sont-elles embarquées dans une marche forcée guidée par les puissances du capital, la compétition et la spéculation ? », « Si tous les produits se fabriquaient tous seuls par des assembleurs, serait-ce la fin du travail / l’effondrement de l’économie / la fin de nos société ? ». Une formulation bien naïve des angoisses supposées des citoyens, plutôt préoccupés par la prolifération des nanos, le manque de contrôle citoyen ou les impacts sanitaires et environnementaux.
Au-delà des réunions publiques annulées pour cause de fortes perturbations, le naufrage de ce débat national montre les limites d’un tel exercice. Comment inviter des citoyens à débattre des nanotechnologies, alors que celles-ci se sont déjà immiscées dans notre quotidien, et cela sans débat préalable ? Comment faire croire aux citoyens que le débat est encore « ouvert » alors même que le gouvernement investit des millions d’euros dans le développement des nanotechnologies, comme avec le programme Nano-innov ? Comment faire croire à un débat « démocratique » quand on ne sait pas à quoi sont censés servir les échanges (une loi, des règlementations, un débat parlementaire,...) ? Et surtout quand on oppose citoyens et experts, les uns devant se contenter de poser les questions et les autres d’y apporter leurs réponses ?
Agnès Rousseaux
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