Edgar Morin : « Nous avançons comme des
somnambules vers la catastrophe »
Que faire dans cette
période de crise aiguë ? S’indigner, certes. Mais surtout agir. A 91 ans, le
philosophe et sociologue nous invite à résister au diktat de l’urgence. Pour
lui, l’espoir est à portée de main. Entretien.
Pourquoi la
vitesse est-elle à ce point ancrée dans le fonctionnement de notre
société ?
La vitesse fait partie du
grand mythe du progrès, qui anime la civilisation occidentale depuis le XVIIIe
et le XIXe siècle. L’idée sous-jacente, c’est que nous allons grâce à lui
vers un avenir toujours meilleur. Plus vite nous allons vers cet avenir
meilleur, et mieux c’est, naturellement. C’est dans cette optique que se sont
multipliées les communications, aussi bien économiques que sociales, et toutes
sortes de techniques qui ont permis de créer des transports rapides. Je pense
notamment à la machine à vapeur, qui n’a pas été inventée pour des motivations
de vitesse mais pour servir l’industrie des chemins de fer, lesquels sont eux-mêmes
devenus de plus en plus rapides. Tout cela est corrélatif par le fait de la
multiplication des activités et rend les gens de plus en plus pressés. Nous
sommes dans une époque où la chronologie s’est imposée.
Cela est-il donc si
nouveau ?
Dans les temps anciens,
vous vous donniez rendez-vous quand le soleil se trouvait au zénith. Au Brésil,
dans des villes comme Belém, encore aujourd’hui, on se retrouve « après la
pluie ». Dans ces schémas, vos relations s’établissent selon un rythme temporel
scandé par le soleil. Mais la montre-bracelet, par exemple, a fait qu’un temps
abstrait s’est substitué au temps naturel. Et le système de compétition et de
concurrence – qui est celui de notre économie marchande et
capitaliste – fait que pour la concurrence, la meilleure performance est
celle qui permet la plus grande rapidité. La compétition s’est donc transformée
en compétitivité, ce qui est une perversion de la concurrence.
Cette quête de vitesse
n’est-elle pas une illusion ?
En quelque sorte si. On ne
se rend pas compte – alors même que nous pensons faire les choses
rapidement – que nous sommes intoxiqués par le moyen de transport lui-même
qui se prétend rapide. L’utilisation de moyens de transport toujours plus
performants, au lieu d’accélérer notre temps de déplacement, finit
– notamment à cause des embouteillages – par nous faire perdre du
temps ! Comme le disait déjà Ivan Illich (philosophe autrichien né en
1926 et mort en 2002, ndlr) : « La voiture nous ralentit
beaucoup. » Même les gens, immobilisés dans leur automobile, écoutent
la radio et ont le sentiment d’utiliser malgré tout le temps de façon utile.
Idem pour la compétition de l’information. On se rue désormais sur la radio ou
la télé pour ne pas attendre la parution des journaux. Toutes ces multiples
vitesses s’inscrivent dans une grande accélération du temps, celui de la
mondialisation. Et tout cela nous conduit sans doute vers des catastrophes.
Le progrès et le rythme
auquel nous le construisons nous détruit-il nécessairement ?
Le développement
techno-économique accélère tous les processus de production de biens et de
richesses, qui eux-mêmes accélèrent la dégradation de la biosphère et la
pollution généralisée. Les armes nucléaires se multiplient et on demande aux
techniciens de faire toujours plus vite. Tout cela, effectivement, ne va pas
dans le sens d’un épanouissement individuel et collectif !
Pourquoi cherchons-nous
systématiquement une utilité au temps qui passe ?
Prenez l’exemple du
déjeuner. Le temps signifie convivialité et qualité. Aujourd’hui, l’idée de
vitesse fait que dès qu’on a fini son assiette, on appelle un garçon qui se
dépêche pour débarrasser et la remplacer. Si vous vous emmerdez avec votre
voisin, vous aurez tendance à vouloir abréger ce temps. C’est le sens du
mouvement slow food dont est née l’idée de « slow life », de
« slow time » et même de « slow science ». Un mot
là-dessus. Je vois que la tendance des jeunes chercheurs, dès qu’ils ont un
domaine, même très spécialisé, de travail, consiste pour eux à se dépêcher pour
obtenir des résultats et publier un « grand » article dans une
« grande » revue scientifique internationale, pour que personne
d’autre ne publie avant eux. Cet esprit se développe au détriment de la
réflexion et de la pensée. Notre temps rapide est donc un temps antiréflexif.
Et ce n’est pas un hasard si fleurissent dans notre pays un certain nombre
d’institutions spécialisées qui prônent le temps de méditation. Le yoguisme,
par exemple, est une façon d’interrompre le temps rapide et d’obtenir un temps
tranquille de méditation. On échappe de la sorte à la chronométrie. Les
vacances, elles aussi, permettent de reconquérir son temps naturel et ce temps
de la paresse. L’ouvrage de Paul Lafargue Le droit à la paresse (qui
date de 1880, ndlr) reste plus actuel que jamais car ne rien faire signifie
temps mort, perte de temps, temps non-rentable.
Pourquoi ?
Nous sommes prisonniers de
l’idée de rentabilité, de productivité et de compétitivité. Ces idées se sont
exaspérées avec la concurrence mondialisée, dans les entreprises, puis
répandues ailleurs. Idem dans le monde scolaire et universitaire ! La
relation entre le maître et l’élève nécessite un rapport beaucoup plus
personnel que les seules notions de rendement et de résultats. En outre, le
calcul accélère tout cela. Nous vivons un temps où il est privilégié pour tout.
Aussi bien pour tout connaître que pour tout maîtriser. Les sondages qui
anticipent d’un an les élections participent du même phénomène. On en arrive à
les confondre avec l’annonce du résultat. On tente ainsi de supprimer l’effet
de surprise toujours possible.
A qui la faute ? Au
capitalisme ? A la science ?
Nous sommes pris dans un
processus hallucinant dans lequel le capitalisme, les échanges, la science sont
entraînés dans ce rythme. On ne peut rendre coupable un seul homme. Faut-il
accuser le seul Newton d’avoir inventé la machine à vapeur ? Non. Le
capitalisme est essentiellement responsable, effectivement. Par son fondement
qui consiste à rechercher le profit. Par son moteur qui consiste à tenter, par
la concurrence, de devancer son adversaire. Par la soif incessante de
« nouveau » qu’il promeut grâce à la publicité… Quelle est cette
société qui produit des objets de plus en plus vite obsolètes ? Cette
société de consommation qui organise la fabrication de frigos ou de machines à
laver non pas à la durée de vie infinie, mais qui se détraquent au bout de
huit ans ? Le mythe du nouveau, vous le voyez bien – et ce, même
pour des lessives – vise à toujours inciter à la consommation. Le
capitalisme, par sa loi naturelle – la concurrence –, pousse ainsi à
l’accélération permanente, et par sa pression consommationniste, à toujours se
procurer de nouveaux produits qui contribuent eux aussi à ce processus.
On le voit à
travers de multiples mouvements dans le monde, ce capitalisme est questionné.
Notamment dans sa dimension financière…
Nous sommes entrés dans
une crise profonde sans savoir ce qui va en sortir. Des forces de résistance se
manifestent effectivement. L’économie sociale et solidaire en est une. Elle
incarne une façon de lutter contre cette pression. Si on observe une poussée
vers l’agriculture biologique avec des petites et moyennes exploitations et un
retour à l’agriculture fermière, c’est parce qu’une grande partie de l’opinion
commence à comprendre que les poulets et les porcs industrialisés sont frelatés
et dénaturent les sols et la nappe phréatique. Une quête vers les produits
artisanaux, les Amap (Associations pour le maintien d’une agriculture
paysanne, ndlr), indique que nous souhaitons échapper aux grandes surfaces
qui, elles-mêmes, exercent une pression du prix minimum sur le producteur et
tentent de répercuter un prix maximum sur le consommateur. Le commerce
équitable tente, lui aussi, de court-circuiter les intermédiaires prédateurs. Certes,
le capitalisme triomphe dans certaines parties du monde, mais une autre frange
voit naître des réactions qui ne viennent pas seulement des nouvelles formes de
production (coopératives, exploitations bio), mais de l’union consciente des
consommateurs. C’est à mes yeux une force inemployée et faible car encore
dispersée. Si cette force prend conscience des produits de qualité et des
produits nuisibles, superficiels, une force de pression incroyable se mettra en
place et permettra d’influer sur la production.
Les
politiques et leurs partis ne semblent pas prendre conscience de ces forces
émergentes. Ils ne manquent pourtant pas d’intelligence d’analyse…
Mais vous partez de
l’hypothèse que ces hommes et femmes politiques ont déjà fait cette analyse.
Or, vous avez des esprits limités par certaines obsessions, certaines
structures.
Par obsession, vous
entendez croissance ?
Oui ! Ils ne savent
même pas que la croissance – à supposer qu’elle revienne un jour dans les
pays que l’on dit développés – ne dépassera pas 2 % ! Ce n’est donc pas cette croissance-là qui
parviendra à résoudre la question de l’emploi ! La croissance que l’on
souhaite rapide et forte est une croissance dans la compétition. Elle amène les
entreprises à mettre des machines à la place des hommes et donc à liquider les
gens et à les aliéner encore davantage. Il me semble donc terrifiant de voir
que des socialistes puissent défendre et promettre plus de croissance. Ils
n’ont pas encore fait l’effort de réfléchir et d’aller vers de nouvelles
pensées.
Décélération
signifierait décroissance ?
Ce qui est important,
c’est de savoir ce qui doit croître et ce qui doit décroître. Il est évident
que les villes non polluantes, les énergies renouvelables et les grands travaux
collectifs salutaires doivent croître. La pensée binaire, c’est une erreur.
C’est la même chose pour mondialiser et démondialiser : il faut poursuivre
la mondialisation dans ce qu’elle créé de solidarités entre les peuples et
envers la planète, mais il faut la condamner quand elle crée ou apporte non pas
des zones de prospérité mais de la corruption ou de l’inégalité. Je milite pour
une vision complexe des choses.
La vitesse en soi n’est
donc pas à blâmer ?
Voilà. Si je prends mon
vélo pour aller à la pharmacie et que je tente d’y parvenir avant que celle-ci
ne ferme, je vais pédaler le plus vite possible. La vitesse est quelque chose
que nous devons et pouvons utiliser quand le besoin se fait sentir. Le vrai
problème, c’est de réussir le ralentissement général de nos activités.
Reprendre du temps, naturel, biologique, au temps artificiel, chronologique et
réussir à résister. Vous avez raison de dire que ce qui est vitesse et
accélération est un processus de civilisation extrêmement complexe, dans lequel
techniques, capitalisme, science, économie ont leur part. Toutes ces forces
conjuguées nous poussent à accélérer sans que nous n’ayons aucun contrôle sur
elles. Car notre grande tragédie, c’est que l’humanité est emportée dans une
course accélérée, sans aucun pilote à bord. Il n’y a ni contrôle, ni
régulation. L’économie elle-même n’est pas régulée. Le Fonds monétaire
international n’est pas en ce sens un véritable système de régulation.
Le politique n’est-il
pas tout de même censé « prendre le temps de la réflexion » ?
On a souvent le sentiment
que par sa précipitation à agir, à s’exprimer, il en vient à œuvrer sans nos
enfants, voire contre eux… Vous savez, les politiques sont embarqués dans cette
course à la vitesse. J’ai lu une thèse récemment sur les cabinets ministériels.
Parfois, sur les bureaux des conseillers, on trouvait des notes et des dossiers
qualifiés de « U » pour « urgent ». Puis sont apparus les
« TU » pour « très urgent » puis les « TTU ». Les
cabinets ministériels sont désormais envahis, dépassés. Le drame de cette
vitesse, c’est qu’elle annule et tue dans l’œuf la pensée politique. La classe
politique n’a fait aucun investissement intellectuel pour anticiper, affronter
l’avenir. C’est ce que j’ai tenté de faire dans mes livres comme Introduction
à une politique de l’homme, La voie, Terre-patrie… L’avenir
est incertain, il faut essayer de naviguer, trouver une voie, une perspective.
Il y a toujours eu, dans l’Histoire, des ambitions personnelles. Mais elles
étaient liées à des idées. De Gaulle avait sans doute une ambition, mais
il avait une grande idée. Churchill avait de l’ambition au service d’une grande
idée, qui consistait à vouloir sauver l’Angleterre du désastre. Désormais, il
n’y a plus de grandes idées, mais de très grandes ambitions avec des petits
bonshommes ou des petites bonnes femmes.
Michel Rocard déplorait
il y a peu la disparition de la vision à long terme…
Il a raison, mais il a
tort. Un vrai politique ne se positionne pas dans l’immédiat mais dans
l’essentiel. A force d’oublier l’essentiel pour l’urgence, on finit par oublier
l’urgence de l’essentiel. Ce que Michel Rocard appelle le « long
terme », je l’intitule « problème de fond », « question
vitale ». Penser qu’il faut une politique planétaire pour la sauvegarde de
la biosphère – avec un pouvoir de décision qui répartisse les
responsabilités car on ne peut donner les mêmes responsabilités à des pays
riches et à des pays pauvres –, c’est une politique essentielle à long
terme. Mais ce long terme doit être suffisamment rapide car la menace elle-même
se rapproche.
Le président de la
République Nicolas Sarkozy n’incarne-t-il pas l’immédiateté et la présence
médiatique permanente ?
Il symbolise une agitation
dans l’immédiateté. Il passe à des immédiatetés successives. Après
l’immédiateté, qui consiste à accueillir le despote libyen Kadhafi car il a du
pétrole, succède l’autre immédiateté, où il faut détruire Kadhafi sans pour
autant oublier le pétrole… En ce sens, Sarkozy n’est pas différent des autres
responsables politiques, mais son caractère versatile et capricieux en font
quelqu’un de très singulier pour ne pas dire un peu bizarre.
Edgar Morin, vous avez
90 ans. L’état de perpétuelle urgence de nos sociétés vous rend-il
pessimiste ?
Cette absence de vision
m’oblige à rester sur la brèche. Il y a une continuité dans la discontinuité.
Je suis passé de l’époque de la Résistance où j’étais jeune, où il y avait un
ennemi, un occupant et un danger mortel, à d’autres formes de résistances qui
ne portaient pas, elles, de danger de mort, mais celui de rester incompris, calomnié
ou bafoué. Après avoir été communiste de guerre et après avoir combattu
l’Allemagne nazie avec de grands espoirs, j’ai vu que ces espoirs étaient
trompeurs et j’ai rompu avec ce totalitarisme-là, devenu ennemi de l’humanité.
J’ai combattu cela et résisté. J’ai ensuite – naturellement – défendu
l’indépendance du Vietnam ou de l’Algérie, quand il s’agissait de liquider un
passé colonial. Cela me semblait si logique après avoir lutté pour la propre
indépendance de la France, mise en péril par le nazisme. Au bout du compte,
nous sommes toujours pris dans des nécessités de résister.
Et aujourd’hui ?
Aujourd’hui, je me rends
compte que nous sommes sous la menace de deux barbaries associées. Humaine
tout d’abord, qui vient du fond de l’histoire et qui n’a jamais été
liquidée : le camp américain de Guantánamo ou l’expulsion d’enfants et de
parents que l’on sépare, ça se passe aujourd’hui ! Cette barbarie-là est
fondée sur le mépris humain. Et puis la seconde, froide et glacée, fondée sur
le calcul et le profit. Ces deux barbaries sont alliées et nous sommes
contraints de résister sur ces deux fronts. Alors, je continue avec les
mêmes aspirations et révoltes que celles de mon adolescence, avec cette
conscience d’avoir perdu des illusions qui pouvaient m’animer quand, en 1931,
j’avais dix ans.
La
combinaison de ces deux barbaries nous mettrait en danger mortel…
Oui, car ces guerres
peuvent à tout instant se développer dans le fanatisme. Le pouvoir de
destruction des armes nucléaires est immense et celui de la dégradation de la
biosphère pour toute l’humanité est vertigineux. Nous allons, par cette
combinaison, vers des cataclysmes. Toutefois, le probable, le pire, n’est
jamais certain à mes yeux, car il suffit parfois de quelques événements pour
que l’évidence se retourne.
Des femmes et des
hommes peuvent-ils aussi avoir ce pouvoir ?
Malheureusement, dans
notre époque, le système empêche les esprits de percer. Quand l’Angleterre
était menacée à mort, un homme marginal a été porté au pouvoir, qui se nommait
Churchill. Quand la France était menacée, ce fut De Gaulle. Pendant la
Révolution, de très nombreuses personnes, qui n’avaient aucune formation
militaire, sont parvenues à devenir des généraux formidables, comme Hoche ou
Bonaparte ; des avocaillons comme Robespierre, de grands tribuns. Des
grandes époques de crise épouvantable suscitent des hommes capables de porter
la résistance. Nous ne sommes pas encore assez conscients du péril. Nous
n’avons pas encore compris que nous allons vers la catastrophe et nous avançons
à toute allure comme des somnambules.
Le philosophe
Jean-Pierre Dupuy estime que de la catastrophe naît la solution. Partagez-vous
son analyse ?
Il n’est pas assez
dialectique. Il nous dit que la catastrophe est inévitable mais qu’elle
constitue la seule façon de savoir qu’on pourrait l’éviter. Moi je dis :
la catastrophe est probable, mais il y a l’improbabilité. J’entends par
« probable », que pour nous observateurs, dans le temps où nous
sommes et dans les lieux où nous sommes, avec les meilleures informations
disponibles, nous voyons que le cours des choses nous emmène à toute vitesse
vers les catastrophes. Or, nous savons que c’est toujours l’improbable qui a
surgi et qui a « fait » la transformation. Bouddha était improbable,
Jésus était improbable, Mahomet, la science moderne avec Descartes, Pierre
Gassendi, Francis Bacon ou Galilée était improbables, le socialisme avec Marx
ou Proudhon était improbable, le capitalisme était improbable au Moyen-Age…
Regardez Athènes. Cinq siècles avant notre ère, vous avez une petite cité
grecque qui fait face à un empire gigantesque, la Perse. Et à
deux reprises – bien que détruite la seconde fois – Athènes
parvient à chasser ces Perses grâce au coup de génie du stratège Thémistocle, à
Salamine. Grâce à cette improbabilité incroyable est née la démocratie, qui a
pu féconder toute l’histoire future, puis la philosophie. Alors, si vous
voulez, je peux aller aux mêmes conclusions que Jean-Pierre Dupuy, mais ma
façon d’y aller est tout à fait différente. Car aujourd’hui existent des forces
de résistance qui sont dispersées, qui sont nichées dans la société civile et
qui ne se connaissent pas les unes les autres. Mais je crois au jour où ces
forces se rassembleront, en faisceaux. Tout commence par une déviance, qui se transforme
en tendance, qui devient une force historique. Nous n’en sommes pas encore là,
certes, mais c’est possible.
Il est donc possible de
rassembler ces forces, d’engager la grande métamorphose, de l’individu puis de
la société ?
Ce que j’appelle la métamorphose,
c’est le terme d’un processus dans lequel de multiples réformes, dans tous les
domaines, commencent en même temps.
Nous sommes déjà dans un
processus de réformes…
Non, non. Pas ces
pseudo-réformes. Je parle de réformes profondes de vie, de civilisation, de
société, d’économie. Ces réformes-là devront se mettre en marche simultanément
et être intersolidaires.
Vous appelez cette
démarche « le bien-vivre ». L’expression semble faible au regard de
l’ambition que vous lui conférez.
L’idéal de la société
occidentale – « bien-être » – s’est dégradé en des choses
purement matérielles, de confort et de propriété d’objet. Et bien que ce mot
« bien-être » soit très beau, il fallait trouver autre chose. Et
quand le président de l’Equateur Rafael Correa a trouvé cette formule de
« bien-vivre », reprise ensuite par Evo Morales (le président
bolivien, ndlr), elle signifiait un épanouissement humain, non seulement au
sein de la société mais aussi de la nature. L’expression « bien
vivir » est sans doute plus forte en espagnol qu’en français. Le terme est
« actif » dans la langue de Cervantès et passif dans celle de
Molière. Mais cette idée est ce qui se rapporte le mieux à la qualité de la
vie, à ce que j’appelle la poésie de la vie, l’amour, l’affection, la communion
et la joie et donc au qualitatif, que l’on doit opposer au primat du
quantitatif et de l’accumulation. Le bien-vivre, la qualité et la poésie de la
vie, y compris dans son rythme, sont des choses qui doivent
– ensemble – nous guider. C’est pour l’humanité une si belle
finalité. Cela implique aussi et simultanément de juguler des choses comme la
spéculation internationale… Si l’on ne parvient pas à se sauver de ces pieuvres
qui nous menacent et dont la force s’accentue, s’accélère, il n’y aura pas de bien-vivre.
MCD-APL
Edgar Morin en dates
8 juillet 1921 Naissance à Paris
1939 Rejoint la Résistance
1941 Entre au Parti communiste, dont il s’éloigne avant
d’en être exclu définitivement en 1951
1977 Publication du premier tome de La Méthode
1993 Ecrit Terre-Patrie et appelle à « une
prise de conscience de la communauté du destin terrestre »
2009 Publie Edwige, l’inséparable (Fayard)
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