"Ne le dites pas trop, hein, qu'on est si bien ici?". Voilà en
substance la phrase que l'on entend le plus en Auvergne. Et ça tombe
bien car, cachée au beau milieu de la France, la région se fait discrète
et s'aborde comme une île. (photos:
Matthieu Raffard)
Pas fanfaronne,
l’Auvergne, et pourtant elle est loin de manquer d’attractivité. Le Puy
de Dôme, «Grand site de France» depuis 2008, affiche près d’un demi
million de visiteurs ; Vichy, malgré son histoire trouble, séduit encore
les curistes et le Puy-en-Velay appelle à lui les curés. Les Auvergnats
semblent d’ailleurs ravis de «condenser les touristes» sur ces quelques
points. Ils n’ont, de toute évidence, aucune envie de les voir
s’éparpiller un peu partout sur leur territoire. Mais le véritable atout
de la région reste encore ses hommes et, bien sûr, ses paysages.
Volcans, gorges, plateaux, montagnes… il y en a pour tous et pour tous
les goûts. Des paysages au goût d’infini justement, ouverts aux quatre
vents, fermés seulement parfois par la silhouette imposante et presque
magique des Monts du Cantal. De la chaîne des volcans, à quelques
kilomètres à peine à l’ouest de Clermont-Ferrand, on aperçoit, les jours
de grand beau, le Puy Violent et celui de Peyre Arse dont les noms
immémoriaux n’auraient sans doute pas laissé indifférente l’imagination
poétique d’un Tolkien. Pas de violence, ici, pourtant, mais une nature
arrivée à maturité et comme lassée des excentricités.
Sur les plateaux, les burons recouverts de lauzes viennent ponctuer un
paysage que ne perturbent que les cloches des vaches, celles des
églises, et le bruit du vent. En bas, dans les vallées, les villages se
lovent au creux d’un repli du terrain avant de s’étendre sur les flancs.
Douce «Comté» que ce pays de Hobbits… La montagne elle-même, longuement
éprouvée, lissée par le temps, offre ses charmes avec facilité. Devant
cette «sauvagerie domestique», aucune envie d’exploits ni de sommets,
pas de marches forcées ni d’ascensions risquées, mais plutôt une
discrète et profonde envie d’y vivre, tout simplement, malgré le
printemps tardif qui, cette année, laisse les cheminées allumées.
Le retour à la terre
Y vivre, c’est le choix d’Hervé Richard depuis 2007. Sensation
d’épuisement et de vacuité, son boulot de commercial et sa vie dans le
sud de la France ne le satisfont plus. Mais en 1999, un de ses amis lui
propose de l’accompagner pour la transhumance, à la Meije… et c’est la
révélation. Après une formation, Hervé et sa compagne Anne se lancent
dans l’élevage bio de chèvres, des Massif Central, une race en voie
d’extinction. Résistantes, adaptées à la région, ces chèvres produisent
cependant bien moins de lait que les Alpines. Mais, là encore, c’est un
choix, et un choix dur, assumé de bout en bout. En arrivant à Lagarde,
Hervé et Anne n’ont rien, ou très peu. Ils construisent une cabane dans
les bois, puis montent une yourte avant de se lancer dans la
construction d’une grande étable pour les chèvres où ils projettent de
s’installer aussi, juste au-dessus des animaux.
L’arrivée de deux «étrangers» gêne un peu dans le village qui, avant
eux, en a vu d’autres s’installer… et repartir après avoir épuisé les
subventions. Il leur faudra donc attendre deux ans, une fois leur
détermination prouvée, avant que l’on vienne leur installer l’eau. A
partir de là, les choses commencent à se développer. Vente directe,
AMAP, marchés, Hervé propose un peu partout autour de lui des fromages
bio, certes, mais pas tradi : gruyère de chèvre, bleu de chèvre et même
quelques recettes maison idéales pour l’apéro !
Et si bien sûr la vie n’est pas toujours rose, Hervé se console facilement :
«moi, quand je me lève, ma journée commence avec ça»,
dit-il devant le paysage où se dresse le château de Léotoing, avec ses
magnifiques terrasses en écaille. Il faut dire que le panorama inspire.
Beaucoup comme eux ont fait le choix d’un nouveau «retour à la terre».
Moins idéalistes cependant que dans les années 70, d’anciens ouvriers de
chez Michelin, des commerciaux, des Parisiens, des Auvergnats égarés
dans les villes regagnent peu à peu les campagnes. Ce ne sont pas des
ouvriers ni des dilettantes, mais des gens prêts à relever leurs
manches, à travailler la terre, à vivre enfin au rythme des saisons,
malgré les étés trop courts et les hivers très longs.
Un pt’it coin de paradis
«Retrouver» la nature, c’est aussi le choix d’Hélène qui depuis deux ans
a repris un bistrot d’altitude sur le Cézallier, le «Ouessant des
montagnes» comme l’appelle Jean des Plantes qui partage avec elle la
maison. Ancienne libraire des Musées Nationaux à Clermont-Ferrand,
Hélène confesse sans animosité en avoir eu un peu marre des personnels
municipaux et de la politique menée.
«On devenait des marchands du Temple», dit-elle en jouant avec une tige de pissenlit.
«J’avais besoin de silence, continue-t-elle,
sans nature, je me sentais tronquée, et quand on a les oiseaux et le vent, on n’a plus besoin de radio». Il faut avouer que le lieu prête à la méditation.
De la maison, protégée du vent par des empilements savants de bûches et
d’herbes séchées, le regard porte loin, très loin même, vers la forêt et
les montagnes, et le terrain préserve habilement le regard des lumières
de la ville. Le choix d’Hélène n’a cependant pas été un choix de
rupture.
«Il y a une certaine continuité entre l’histoire de l’Art et l’art des plantes, non ?»,
dit-elle, maintenant dans la cuisine. Car Hélène s’est fait une
spécialité, ou plutôt plusieurs : épaule de veau farcie à la tomme et
aux herbes sauvages, tisane de jonquille
(«narcotique, dit Jean, resté dehors,
narcotique … »),
salade de pissenlits et omelette à l’oseille sont presque chaque jour
au menu. L’oseille, justement, il faut aller la chercher, dehors, au
pied d’un ancien volcan, et suivre les conseils de Jean pour choisir
celle qui sera la plus
«magnétique», la plus
«chargée».
L’isolement ? La question ne semble pas se poser pour Hélène qui reconnaît cependant avoir eu des débuts difficiles.
«Les gens du village me prenaient pour une sorcière».
Mais il n’y a rien de magique chez Hélène que sa cuisine. Imaginez un
peu : 1200 mètres d’altitude, pas un bruit, l’odeur de l’herbe et celle
du vent, une bière artisanale aux cèpes ou au miel, une petite table
dressée avec soin devant le volcan et la conversation d’Hélène, vive,
malicieuse, intelligente… un vrai plaisir.
De Jean des Plantes, on ne saura rien, pas même son nom. Chaque question n’appelle d’autres réponses qu’un
«on est bien, hein ?»
ou la fiche technique d’une plante au nom latin imprononçable.
Mystique? Peut-être, ce n’est pas impossible… N’est-t-il pas un grand
lecteur de Saint-Jean l’évangéliste ? N’accroche-t-il pas au-dessus de
son lit des dizaines de bouquets de plantes séchées pour favoriser son
sommeil ? Et, quand il a envie de prendre l’air, Jean s’en va avec
Hélène au Puy-en-Velay, en pèlerinage, pour monter une à une les marches
de la Cathédrale et
«s’élever en s’abaissant».
Pendant ces voyages, le bistrot ferme, mais ce n’est pas grave car
Hélène, en bonne Auvergnate, ne tient pas à avoir trop de monde :
«Ne le dites pas trop, hein, qu’on est si bien ici ?». Non, non, promis.
Albéric d’Hardivilliers
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