Nous avons juste eu le
temps de nous réjouir de l'arrivée d'un nouveau président et d'une majorité de
gauche ainsi que de quelques avancées, comme la retraite à 60 ans pour une
certaine catégorie de travailleurs, le blocage des loyers, la loi contre le
harcèlement sexuel. Pour le reste, seuls des projets sont annoncés, tous
reportés à 2013. Année mythique où les promesses de François Hollande seront
enfin réalisées ? A moins d'un nouveau report en 2014...
Certes, l'impatience n'est
pas bonne conseillère, mais trop de prudence non plus. Point de miracle en vue,
pourtant, à l'horizon économique et social. Nous voulons bien rêver de jours
meilleurs, mais pas dans l'attentisme. Et si la consultation est un principe
démocratique louable, il ne faut pas qu'elle devienne une sorte de salle
d'attente.
Admettons que la
commission dirigée par l'ex-premier ministre Lionel Jospin serve à calmer
l'inquiétude de nos cumulards. On aurait préféré, en revanche, que le traité
sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG) de l'union
économique et monétaire donne lieu à un grand débat en cette période de crise
profonde pour l'Europe. Celui-ci n'aura pas lieu, ainsi l'a décidé le Conseil
constitutionnel. Décision éminemment politique qui permet d'éviter la réforme
constitutionnelle au profit d'une loi organique requérant le vote majoritaire
des assemblées.
Piège pour la crédibilité
de l'Europe, accusée par tant de nos concitoyens de soumettre la France à ses
diktats – dont le TSCG, négocié par la chancelière Angela Merkel et Nicolas
Sarkozy ; notre nouveau président n'ayant pu obtenir que le déblocage de 120
milliards d'euros. Ce complément ne représente que 1 % du PIB de l'Union
européenne, et on ne voit pas qu'il puisse régler la question de la croissance
européenne. M. Hollande en campagne ne s'était-il pourtant pas prononcé pour la
"renégociation du traité d'austérité
dans le sens de la croissance et de l'emploi", et ce "pour engager de grands projets d'avenir et
nous protéger de la concurrence déloyale dans la mondialisation"
?
Cent jours, c'est peu. Et
force est de constater, non sans soulagement, que le climat a changé. Attention
cependant au marasme qui nous guette. A défaut de pouvoir changer la donne
économique d'un revers de main, François Hollande et son gouvernement se
doivent d'innover. Nos ministres semblent ne pas avoir toute la marge de
liberté nécessaire pour engager, certes dans la concertation, des mesures
susceptibles, au moins dans le domaine sociétal, de mettre un peu de baume au
cœur de la gauche, et au-delà, de la France. Dès que l'une ou l'autre amorce
une réflexion constructive, le démenti ne tarde pas à tomber.
Ainsi, au début du mois
d'août, lorsque la ministre de la justice laissait entendre que les centres
d'éducation fermés pour les délinquants mineurs ne devraient pas se substituer
aux structures ouvertes et que des remèdes au surpeuplement des prisons sont à trouver
d'urgence. La gauche sénatoriale s'était pourtant opposée avec vigueur à la
proposition de loi d'affichage du député UMP Eric Ciotti pour l'enfermement des
mêmes mineurs...
Les parlementaires de
gauche, ceux d'entre eux qui sont porteurs de convictions fortes, et ils sont
nombreux, se demandent s'ils ne risquent pas d'être confinés dans un rôle de
godillots, entérinant sans murmure les lois venant d'en haut, ou s'ils auront
encore les moyens d'aiguillonner le gouvernement et de le pousser à réformer
dans des délais raisonnables.
Certains d'entre nous
s'émeuvent de voir rejouer, cet été, en version plus ou moins soft, les
scénarios de l'ancien régime. Evacuations de camps de Roms au mépris du respect
des garanties contre les expulsions arbitraires et les traitements
discriminatoires dictées par l'Union européenne, et sans que soient esquissées
des solutions alternatives d'intégration, de logement et d'emploi ;
restrictions toujours sévères à l'immigration, qui ont poussé une immigrée
clandestine à tenter, au prix de sa vie, de traverser la Manche à la nage pour atteindre
la côte britannique...
Et, finalement, dans la
nuit du 13 au 14 août, prenant le relais des violences survenues il y a peu à
Toulouse, de graves émeutes dans les quartiers nord d'Amiens. Le bilan de ces
affrontements entre les forces de police et une centaine de jeunes est lourd :
seize policiers blessés, des poubelles, des voitures et des bâtiments publics
incendiés, dont une école primaire. Le laxisme, en ces domaines, n'est pas une
solution. Mais le "sécuritarisme", rengaine sarkozyste, l'est encore
moins.
Si Manuel Valls souhaite
s'ériger en ministre de l'intérieur à la main de fer, libre à lui. Il est clair
que son action n'est pas dictée par la volonté de stigmatisation de telle ou
telle "communauté" et qu'il est tenu de répondre aux urgences du
moment. Il gagnerait pourtant en efficacité et en crédibilité s'il marquait sa
distance avec certaines des méthodes appliquées par ses prédécesseurs,
lesquelles n'ont manifestement pas donné les résultats escomptés.
Si le changement, c'est
bien maintenant, pourquoi ne pas déjà enlever au ministère de l'intérieur la
gestion des politiques d'immigration et d'intégration, de manière à effacer toute
trace de cette recomposition des compétences emblématique de l'ère sarkozyste,
et vivement critiquée, alors, par la gauche et par le monde associatif ?
Immigration et intégration ne sont pas seulement ni prioritairement des
questions de police.
N'est-il pas temps, aussi,
d'instaurer, à un niveau interministériel, des états généraux des banlieues,
pour se donner les moyens de réformes possibles ? N'est-il pas urgent de lutter
contre les contrôles au faciès par la délivrance d'un récépissé ? On peut fort
bien sanctionner les émeutiers brûleurs d'école et, dans le même temps, travailler
à rétablir la confiance entre les policiers et nos jeunes. Pourquoi ne pas
créer, enfin, un ministère de plein droit voué à lutte contre les inégalités et
les discriminations ?
La ministre des sports est
bien chargée de contribuer à "la
définition et à la mise en œuvre de la politique du gouvernement en matière
d'égalité des chances et de lutte contre les discriminations".
Certes, la discrimination est un sport au quotidien, mais tout de même... Il y
a peu de chances d'obtenir des résultats tangibles en la matière sur fond
d'occultation de l'un des facteurs majeurs des violences secouant nos quartiers
populaires.
La société civile a des
attentes, elle a aussi des idées. Et c'est en concertation étroite et continue
avec elle que doit travailler un ministère de l'intérieur aux priorités mieux
définies. La gauche a des devoirs qui lui sont propres. Au premier chef un devoir
d'humanisme, qui n'est pas de ceux qu'on abandonne aux technocrates. Remettons
l'humain au centre, le peuple de France le demande.
Esther Benbassa, (photo) sénatrice EELV du Val-de-Marne
Esther Benbassa est
directrice d'études à l'Ecole pratique des hautes études.
Des jeunes et des policiers se sont affrontés dans
la nuit du lundi 13 au mardi 14 août 2012 dans les quartiers d'Amiens-Nord.
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