Invivable. La fin d’ un monde (5)
L’apocalypse n’est pas la
fin du monde mais, selon son étymologie, dévoilement, révélation. Tout comme
l’étude de Nature que nous
avons choisi de mettre en exergue. Etayée, fondée sur des centaines d’études
précédentes, revue par des scientifiques de renom, elle annonce de fait la fin
de notre monde. Selon ce texte, ce monde tel qu’il est, avec la pression
démographique actuelle, avec le niveau de développement et de consommation
afférent, est intenable. L’écosystème tel qu’il se pratique en ce siècle, ce
lien entre les hommes et leur terre, sera invivable. Trop de terres exploitées
par l’homme, condamnant trop d’espèces animales et végétales à mourir. Le
verdict est implacable, comme le sont les solutions préconisées par ces
scientifiques : décroissance économique et réduction drastique et forcée de la
démographie.
On peut - et on doit -
disputer ces prophéties apocalyptiques.
Mais on aurait tort de les
ignorer, comme l’a fait le dernier sommet de Rio. On se souvient des négationnistes
du réchauffement climatique qui aujourd’hui sont venus à résipiscence.
Entre millénarisme
terroriste et ignorante inconscience, à nous d’inventer une union libre mais
responsable entre la Terre et ses habitants.
La Terre voit venir le changement d’ère
Selon «Nature», l’action
de l’homme sur son environnement mène la planète à un point de
basculement. Le dernier date de 12 000 ans.
D’ordinaire, à Hollywood,
la fin du monde se présente, au choix, sous la forme d’une météorite géante,
d’un cataclysme ou d’une guerre nucléaire. Dans une
étude parue dans la revue scientifique Nature
(1), elle n’a jamais autant ressemblé à la main de l’homme. Pas celle qui
appuie sur le bouton rouge mais celle de tous les hommes unis dans la pression
qu’ils exercent sur les écosystèmes. Publié en juin par une équipe
pluridisciplinaire et internationale d’une vingtaine de chercheurs, l’article
n’y va pas par quatre chemins : nous approchons à grands pas d’un effondrement
imminent et irréversible des écosystèmes, dont les civilisations humaines
dépendent. S’ils s’effondrent, notre destin est plus qu’incertain. Parmi les
chercheurs, certains avouent être «terrifiés»
par leurs conclusions.
Inconnu. La biosphère est au bord d’un changement d’état,
d’une sorte de basculement vers l’inconnu. Plusieurs phénomènes se télescopent
: accélération de la perte de la biodiversité, intensification des épisodes
climatiques extrêmes, modifications rapides des flux de production et de
dépense d’énergie… «Lorsqu’on modifie les
modalités de fonctionnement d’un écosystème, on est dans ce qu’on appelle un
changement d’état, explique Bruno David, chercheur au labo de
biogéosciences du CNRS, à Dijon. Nous sommes
actuellement à la veille d’une de ces modifications brutales.»
Dans les crises passées,
c’est la biogéochimie de la Terre, des éruptions volcaniques ou une météorite
gigantesque qui ont déclenché des changements radicaux. Cette fois, les
chercheurs pointent du doigt l’homme. Pour le groupe de Tony Barnosky,
paléo-écologiste, qui a coordonné les travaux des chercheurs, nous sommes «suffisamment puissants» pour faire
basculer les conditions de vie sur Terre, en modifiant radicalement des
écosystèmes et des climats locaux. «En
clair, ce sont les comportements et les besoins humains qui précipitent le
changement d’état», d’après Steve Carpenter, de l’Université du
Wisconsin.
Ces changements d’état
peuvent être infimes et locaux, se limiter à un lac, un étang… «Ceux-là, on les comprend assez bien. Mais les plus
gros points de basculement sont encore difficiles à cerner»,
explique Marten Scheffer, pionnier de la recherche dans ce domaine. Surtout,
Scheffer n’est pas convaincu qu’un seul point de basculement est imminent. «Il y a eu d’énormes points de basculement
planétaires dans le passé et il y en a en cours. La différence, aujourd’hui,
c’est qu’on les voit arriver…»
Deux choses provoquent un
changement d’état : l’effet de seuil ou l’effet de masse. Le premier est
difficile à prévoir, puisque le seuil critique est atteint par palier, et qu’on
ne connaît jamais la valeur de la criticité d’avance. En revanche, l’effet de
masse ne vient jamais par surprise : comme, par exemple, la destruction d’une
forêt par un bulldozer. Or, les humains modifient la composition des espèces
locales et les fonctions des écosystèmes, provoquant des changements à petite
échelle, lesquels combinés les uns aux autres forment une cascade alimentant
une bascule plus globale.
Ricochet. Pour l’équipe de Barnosky, c’est d’abord le
changement d’usage des terres qui est à l’origine du problème et seulement
ensuite le changement climatique. Au cours de son histoire, l’humanité a
modifié 43% des terres émergées de la planète, rasant les forêts pour y
développer l’agriculture intensive, balayant les espaces naturels pour y
implanter les villes. «Par ricochet, cela
affecte quasiment toutes les surfaces restantes : un tiers de l’eau potable est
détourné pour les usages humains et 20% de la production terrestre primaire
sont réservés aux besoins humains», explique Barnosky.
Pour la planète, c’est
loin d’être une première. Des basculements se sont produits sur les récifs
coralliens ou dans le désert du Sahara, zone luxuriante et fertile il y a
encore 5 500 ans. Sauf que celui qu’évoque l’équipe de Berkeley sera
brutal : les pires changements pourraient survenir au cours de ce siècle,
peut-être avant 2050. «Les preuves sont
assez nettes. Nous ne pouvons pas ignorer certaines réalités biologiques»,
insiste Barnosky. D’ordinaire, les changements d’état se déroulent sur des
milliers, voire des millions d’années. En l’espace de 500 millions d’années, la
Terre a ainsi connu cinq grandes crises ayant conduit à cinq extinctions
massives. La dernière a eu lieu il y a 65 millions d’années et a conduit à la
fin des dinosaures. Autre exemple : il y a 12 000 ans, le passage de l’ère
glaciaire à l’ère interglaciaire s’est déroulé sur un millénaire. Depuis, le
climat est globalement stable, ce qui a permis à l’homme de se développer,
jusqu’à pouvoir aller sur la Lune.
Que va-t-il se passer? On
assistera probablement à de vastes mouvements d’espèces sur des parties
inhabitées de la Terre, des pertes colossales de biodiversité, l’émergence de
nouveaux biotopes et, pourquoi pas, des forêts tropicales en Antarctique. «La dernière fois que c’est arrivé, il y a 12 000
ans, la moitié des mammifères de plus de 50 kg ont disparu»,
raconte Barnosky. «Les changements d’état
contiennent de nombreuses surprises, mais nous en savons assez pour savoir que
le monde sera très différent de ce qu’il a été durant les 11 000 dernières
années, prévient-il. Et, à 7
milliards d’humains sur Terre, nous allons probablement en sentir les effets.»
LAURE NOUALHAT
L’après, source d’inspiration
De la Planète des singes à la Route, cinéma (mais aussi
littérature) regorgent d’œuvres abordant la fin du monde et autres joyeusetés
civilisationnelles. Pour la fin de l’été, on conseille Take Shelter qui plonge «ceux qui
savent» dans une solitude confinant à la psychose. Le Jour d’après est une bonne fable climato-flippante,
bien que ses fondements scientifiques soient abracadabrantesques. Avec 2012, on se régale de la rapacité de la
nature humaine, car, dans ce film, seuls les riches s’en sortent en montant à
bord d’arches de Noé, moyennant un ticket à 1 milliard de dollars.
Repères : La fin d'un monde
- «Le
singe humain, plus doué et plus vicieux que les autres, a réussi à mettre les
autres espèces et la totalité de la nature sous sa coupe.» Yves Michaud philosophe
- 43% des
terres émergées ont été modifiées par l’homme. Au-delà de 50%,
l’effondrement est irréversible, selon les chercheurs.
«Nature»
- La revue hebdomadaire à
comité de lecture est l’un des journaux scientifiques les plus réputés du
monde, dont le facteur d’impact se mesure au nombre de citations de ses
articles (actuellement 400 000).
Le contexte
Une étude scientifique
annonce des changements brutaux et irréversibles des conditions de vie sur
Terre.
L'enjeu
Les pires modifications
pourraient avoir lieu au cours de ce siècle, d’ici à 2050.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire