Plongée dans la centrale la plus dangereuse de France
C’est le
plus grand site nucléaire de France, qui réunit une centrale électrique
et près de dix usines et entrepôts atomiques. Les incidents s’y
multiplient depuis quelques années. L’endroit est-il le plus dangereux
du pays ? Reporterre y est allé voir.
Reportage, Pierrelatte (Drôme)
Des fuites de tritium incontrôlées, des arrêts d’urgence de réacteurs à répétition, l’explosion d’une pompe hydraulique touchant trois ouvriers contaminés par des effluents liquides radioactifs, l’intrusion de vingt-neuf militants de Greenpeace au sein de la centrale, le non-respect des mesures élémentaires de sécurité et de confinage, un directeur de centrale remplacé au pied levé...
Ces derniers mois, la centrale nucléaire de Tricastin a connu une actualité chargée d’ inquiétants incidents. Alors qu’est débattue l’idée de prolonger la durée de fonctionnement des réacteurs à cinquante voire soixante ans, Reporterre s’est donc posé la question : Tricastin est-elle la centrale la plus dangereuse de France ?
Nous sommes partis enquêter sur place. A Pierrelatte précisément, ville de 13 000 habitants, chef-lieu d’un canton de la Drôme, à dix km du site nucléaire de Tricastin. Où l’on a posé le sac à l’hôtel du Tricastin.
L’hôte étant accueillant, on a discuté. A-t-il peur, lui, riverain, de la centrale de Tricastin ? « On n’y pense pas, en réalité. Cela fait tellement longtemps que c’est installé dans la région, on est habitué. Et puis, le risque écologique, on ne le voit pas, donc on vit bien avec ». Au point de donner à son hôtel le nom d’une centrale nucléaire ? « Non, l’hôtel a été fondé en 1963, il est antérieur à la centrale qui a vu le jour dans les années 1970. Tricastin, c’est le nom de cette région de la vallée du Rhône ».
Étymologiquement, le nom provient d’une tribu, les tricastini en latin, qui y vivaient lors de l’Antiquité. Saint-Paul-Trois-Chateaux, capitale de l’époque, en a également tiré son nom. Siège d’un évêché jusqu’à la Révolution, la commune tire aujourd’hui la majeure partie de sa taxe professionnelle des activités nucléaires. Et le nom de Tricastin incarne désormais une autre religion, celle du nucléaire.
Étendu sur une surface de plus de 600 hectares à cheval sur deux départements – Drôme et Vaucluse – et deux régions administratives, Tricastin constitue le plus grand site nucléaire de France, devant la Hague et son usine de retraitement du combustible. Tricastin n’est pas seulement une centrale de production d’électricité, mais un complexe industriel nucléaro-chimique qui réunit plusieurs exploitants et différents procédés de fabrication.
La première activité y est la fabrication du combustible nucléaire. Arrivant de Malvési dans l’Aude, l’uranium y est transformé par l’usine Comurhex pour être ensuite enrichi. Cet enrichissement a longtemps été réalisé par le procédé de diffusion gazeuse, au sein de l’usine Georges-Besse I (le site Eurodif) puis, depuis 2011, par centrifugation, plus économe en énergie, dans l’usine Georges-Besse II. D’autres usines s’adjoignent à ces activités : fabrication de composants d’assemblage, retraitement de l’uranium appauvri, confinement de substances chimiques et radioactives, et traitement des effluents liquides issus de ces activités.
Au total, six entreprises filiales de la compagnie Areva participent au cycle du combustible. Celui-ci est ensuite envoyé à Romans-sur-Isère où il est assemblé et rendu prêt à l’emploi dans les centrales nucléaires. L’uranium enrichi et produit au Tricastin alimente ainsi le parc des réacteurs nucléaires français et plus d’une trentaine d’autres en Europe et dans le monde. Tricastin est donc au cœur de la filière nucléaire française.
Occupant la majorité du site, Areva cohabite avec deux autres plateformes, plus petites. La première appartient au CEA (Commissariat à l’énergie atomique) et rappelle que la vocation originelle du site était militaire : de 1964 à 1996, l’usine de Pierrelatte y a enrichi l’uranium nécessaire aux bombes atomiques. L’usine est démantelée, mais reste occupée par le CEA, qui y mène des recherches en nucléaire civil.
Adossée à la rive droite du canal de Donzère-Mondragon, la centrale nucléaire EDF complète l’implantation du site de Tricastin, sur cinquante-cinq hectares . C’est une des plus petites centrales de France en termes d’emprise au sol ; elle fut construite essentiellement pour alimenter en énergie l’usine Georges-Besse I. « La centrale EDF est la pile qui fait fonctionner le générateur du nucléaire que représente le site de Tricastin », explique Olivier Veyret, adjoint au chef de division Sûreté à l’Autorité de Sûreté Nucléaire (ASN) à Lyon.
La centrale se compose de quatre réacteurs à eau pressurisée (REP) d’une puissance de 900 MW (mégawatts) chacun. Selon les derniers chiffres communiqués par EDF, la centrale de Tricastin a produit 24 TWh (terawatts-heure) en 2012, soit 6 % de la production électrique française. Alors que les deux-tiers de cette production étaient initialement consacrés à fournir en énergie le site Eurodif, le démantèlement annoncé de celui-ci a permis d’affecter une plus grande partie de cette électricité au réseau. Ainsi, EDF estime que sa production approvisionne « la consommation d’environ 3,5 millions d’habitants et […] répond aux besoins énergétiques de 45% de la Région Rhône-Alpes ».
La centrale de Tricastin est la troisième plus âgée du parc nucléaire français. Construite à partir de 1974, puis mise en service en 1980 (réacteurs 1 et 2) et 1981 (réacteurs 3 et 4), elle a dépassé sa durée de fonctionnement initialement fixée à trente ans. Le réacteur n°1 de Tricastin a d’ailleurs été le premier du parc français à obtenir l’autorisation de l’ASN d’une prolongation d’exploitation de dix ans, en décembre 2010.
Pourtant, plusieurs voix s’opposent à cette prolongation. Le collectif Stop Tricastin estime que le vieillissement des installations est un enjeu de sûreté et de sécurité. « Tricastin est une centrale périmée. Elle a été conçue pour durer trente ans et elle est arrivée à son terme. Les nombreuses détériorations nous prouvent qu’on ne devrait pas aller au-delà du temps de fonctionnement envisagé initialement », témoigne Alain Volle, militant du réseau Sortir du nucléaire dans la Drôme et cofondateur du collectif Stop Tricastin.
La centrale du Tricastin est-elle réellement dangereuse ?
Complément d’infos :
• Le dernier dossier de presse en date d’EDF sur la centrale nucléaire de Tricastin.
• L’analyse de Greenpeace sur les cinq centrales nucléaires à fermer en priorité – dont fait partie Tricastin.
. La région du Tricastin, approche géographique (écrit… en 1931).
Source : Barnabé Binctin pour Reporterre.
Lire la suite : Plus de mille incidents et le record français de fissures. Tout va bien à Tricastin.
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